Nous naissons tous en pleurs. Curieux je n'avais jamais fait attention à ça, peut-être que nos esprits primitifs ont une sensibilité spirituelle supérieure, et que nous pleurons, car nous ressentons que cet univers est un piège malicieux. Notre existence n'ayant pour but que de satisfaire le plaisir sadique d'un dieu qui n'a rien de vertueux.
Ou tout simplement, c'est juste que naitre est l'une des plus grandes tortures. La lumière est agressive les sons transpercent le crâne, le premier contact entre l'air et la peau est extrêmement douloureux. Mon corps entier souffre le martyre, aucun membre ne répond correctement, et l'odeur… Un mélange de sang, d'alcool et de sueur, une odeur de mort.
"Apparemment, il y en a un deuxième !" s'exclame ce que je devine être un médecin, "Poussez madame !"
Un cri de douleur, une femme souffle.
"Le voilà !"
Un hurlement de nourrisson retentit avant de s'éteindre mon frère est posé à côté de moi.
- Félicitations ! Ce sont deux beaux garçons en bonne santé, leur avez-vous trouvé un nom ? Demande le médecin.
- Je ne m'attendais pas à des jumeaux, et le père n'est pas présent. Réponds ma mère.
- Madame je pense que monsieur fait confiance en votre jugement à ce sujet pourquoi n'en choisiriez-vous pas un nom biblique ? Ajoute une figure que je n'avais pas tout de suite remarquée et qui semble être un majordome.
On lui met les deux bébés dans les bras.
- Prenez-les peut-être que des noms vont vous venir en tête.
Ma mère me regarde tendrement et me dit : "tu seras Caïn" puis avec le même regard elle nomme mon frère "Abel".
Je ne rencontre mon père que deux jours plus tard, apparemment ma naissance n'était pas temporellement convenable pour lui. D'après ce que je compris, il était dirigeant d'une grande société et gérait plusieurs autres entreprises. Il n'était présent que trois heures par jour à la maison, lorsqu'il nous vit il avait cependant dans le regard cette fierté typique des pères qui se sentent accomplis par la transmission de leur patrimoine génétique. C'est donc notre mère qui avait la charge de s'occuper de nous. Et Dieu qu'elle était incompétente ! Elle était certes débordée, mais elle n'était pas faite pour être parent. Que ce soit, tiré le lait, nous porter convenablement, ou changer nos couches, rien ne lui venait intuitivement. Elle aurait pu se faire aider d'une nourrice, mais prit par cette fierté typiquement féminine elle se l'interdisait. J'ai plusieurs fois pris peur lorsqu'elle manqua de nous faire tomber à maintes reprises. Il faut dire que deux bébés ce n'est pas facile et mon frère était en constante demande, on pouvait souvent l'entendre pleurer le soir après nous avoir couchés regrettant de nous avoir mis au monde. Plusieurs soirs, un verre de vin à la main, avant l'arrivé de notre père, elle venait souhaiter notre mort dans notre chambre elle priait Dieu que l'un d'entre nous voire les deux disparaissent. Notre géniteur ne voyait rien de cela, pris par ses affaires il était le type de père à imaginer qu'il n'avait pas d'autres responsabilités qu'amener l'argent dans son foyer. Et ma mère perdit de plus en plus la tête tandis que nous grandissions mon frère était le plus insupportable, toujours en demande, toujours ayant besoin d'attention il fit craquer la mère déborder. Un soir, nous avions un peu moins d'un an, elle vint dans notre chambre, un couteau à la main, plus saoul que d'habitude, elle s'approcha menaçante, "vous m'avez tous pris" dit-elle, "votre père, si tôt votre naissance m'a abandonné, il s'amuse avec des femmes dont le corps n'a pas été déformé comme le mien, si seulement vous n'étiez pas là, si seulement vous étiez mort" puis elle mit à pleurer "je suis désolé mes chéris, je vous aime plus que tout, c'est juste tellement difficile" sur ces mots elle s'éclipsa.
Je compris ce que je devais faire elle était une menace à ma vie tranquille si ça continuait, elle nous tuerait et se suiciderait ensuite, par chance elle avait laissé le couteau dans notre berceau, il était un peu lourd pour moi, mais je pouvais l'utiliser. Père lorsqu'il rentrait passait toujours devant notre chambre et nous regardait dormir en lisant, vu l'heure il restait à peu près une quarantaine de minutes largement le temps. Vu son alcoolémie, mère ne reviendra pas avant demain matin, il fallait agir silencieusement et rapidement avec un corps d'enfant de dix mois "facile".
Je saisis le couteau, m'approcha de mon frère endormi dans le berceau, et planta la lame dans son petit corps, il n'eut même pas le temps de pousser un cri, il expira immédiatement.
L'acte accompli, je m'allongeais immédiatement pris de regret, j'avais agi à l'instinct, moi qui voulais vivre une vie tranquille j'avais déjà commis mon premier meurtre avant même de pouvoir marcher correctement. Non ! C'était la faute de ma mère, une incompétente et pathétique femme trop faible pour la responsabilité d'être mère et trop stupide pour demander de l'aide. Abel était un dommage collatéral, de toute façon il serait mort "Abel ?" je ris lorsque je me rendis compte de l'ironie symbolique. Le fait que je porte le nom du premier meurtrier et mon frère celui de la première victime, le destin ferait-il preuve d'humour noir ? Je décidai cependant ce jour-là que ce serait mon unique meurtre une extrémité nécessaire dans le but d'assurer mon futur.
La suite se déroula mieux que je l'avais anticipé, mon père rentre, il trouve le corps sans vie de mon frère moi à coté maculé de sang, il me saisit, cours vers la chambre parentale, ma mère ivre morte, dormait, il l'a réveil, ils pleurent, on appel la police. L'enquête est faite on retrouve les empreintes de mère sur le couteau, un journal où elle y écrit souhaiter notre mort est découvert, elle-même pense que c'est Dieu qui a écouté ses prières et se dit coupable, une arrestation, l'avocat plaide la folie elle est interné dans un hôpital psychiatrique.
Je grandis élevé par une domestique bien plus compétente, il y eut certes quelques incidents incluant des animaux, mais jusqu'à mon entrée en primaire j'eus une vie tranquille.