Le temps s'écoulait et Miranda commençait à s'inquiéter de mon obsession. Je passais mon temps enfermé dans mon laboratoire et ne sortait plus que pour aller observer les étoiles. Tara m'obsédait. Comment un être si fragile pouvait me heurter ? Je n'avais jamais entendu parler de cela auparavant et aucune de mes créatures n'avait jamais subi une telle chose. Aucun livre, aucune légende, rumeur, murmure ne parlait de cela.
Miranda toqua sur ma porte.
« Maître, il y a une fête des fleurs au village. Je pensais que nous pourrions y amener les enfants. Vous joindrez-vous à nous ? »
Je me levais. Elle avait raison. Une pause ne pouvait pas me faire de mal. Je poussais la porte et je vis la terreur dans ses yeux.
« Maître… N'oubliez pas de mettre votre mirage avant de sortir. »
Je touchais mon visage et me rendis compte que je n'avais pas utilisé de sort pour cacher mes traits. Je remédiais à la situation immédiatement puis je la suivi. Nous marchions sur le chemin menant au village.
Numéro 2 était restée au manoir, elle se sentait faible et Garde était resté avec elle.
Il n'y avait que Miranda, les enfants et moi. Nous ressemblions à une famille, je me surpris à sourire.
Les petits courraient sur le chemin heureux, Miranda les surveillait d'un air sévère.
« Tenez-vous bien une fois arrivés au village ou nous ne sortirons plus ! »
Ils se calmèrent une fois arrivés. La place était fantastique, les habitants avaient tout décoré avec des fleurs. Il y avait une quantité importante de roses. J'adorais leur parfum. Nous marchions dans les allées, les gens nous saluèrent aimablement, c'était un très agréable moment et j'oubliais un instant mes tracas. Je murmurais un merci à Miranda, elle sourit ravie. Nous avancions avec admiration lorsque nous vîmes une sorte de stand. Tara était derrière une table et servait du thé à la rose aux passants contre une pièce. Elle me fit signe lorsqu'elle me vit. Les enfants les premiers la rejoignirent pour goûter ses délicieuses pâtisseries. Je n'avais pas pris d'argent, mais, encore une fois, je fus sauvé par Miranda qui avait tout prévu.
« Maître, je me suis permise de prendre de quoi nous amuser aujourd'hui. »
J'acquiesçai, elle avait bien fait. Les enfants étaient réellement heureux. Certains hommes semblaient les reconnaître et baissèrent la tête en nous voyant. Le chef du village vint me voir et me demande de le suivre discrètement. Une fois à bonne distance des foules, il me parla à voix basse.
« Je ne pensais pas que vous auriez ramené vos achats en public. Sire Zarkhaïm, certains acheteurs ne se sentent pas à l'aise en leur présence. Je me vois dans l'obligation de vous demander de les emmener ailleurs. Dans un endroit plus convenable à leur condition. »
J'étais sidéré. Un humain me parlait d'autres humains comme s'ils étaient inférieurs. Ce petit monstre s'estimait légitime tandis que ces enfants devaient être cachés. Je me retournais et je constatais avec horreur les visages de dégoûts en direction de Miranda et des petits et je comprenais maintenant pourquoi Numéro 1 et Garde ne voulaient pas se joindre à nous.
Les enfants riaient de bon cœur, ignorant la situation, mais je m'aperçus que les autres enfants étaient retenus par leur père de venir les rejoindre pour jouer. Je m'indignais et une rage sans nom grondait.
« Nous ne nous cacherons pas. Je les ai achetés, ils sont ma possession et j'en fais ce que je veux. »
Le chef déglutit, il ne s'attendait pas à cela. Je le vis blêmir en face de moi.
« Soyez raisonnables. Vous ne souhaitez pas gâcher la fête n'est-ce pas ? Et puis un accident pourrait arriver... »
Au moment où il parla, je vis un homme s'approcher de la table et de Miranda. Il l'attrapa par la main et la gifla en lui hurlant dessus. Je vis les autres femmes autour baisser leurs yeux mouillés et les sourires précédents avaient tous disparu. 1Bis, un petit garçon d'environs une dizaine d'années, se dressa contre l'homme et le frappa de toutes ses forces au ventre en lui criant de dégager.
De mon côté j'étais furieux, j'attrapais le col du chef du village avant de le jeter par terre. Je n'avais plus de mots. Je rejoignis Miranda et m'assurais qu'elle aille bien, cette femme extraordinaire n'avait pas perdu sa dignité. Elle se tenait droite avec sa joue rouge sans broncher, défiant l'homme du regard.
Tara était en face, elle essaya de s'interposer, mais sa petite voix n'eut que peu de répercussions et son père la rejoignit immédiatement pour la faire taire.
J'étais profondément choqué de cette violence. Miranda attrapa mon visage avec ses deux mains et glissa mon visage dans sa nuque. Me recouvrant de ses cheveux.
« Votre visage. »
Je n'avais pas réalisé que mon illusion s'estompait. Dans la colère, je n'avais pas fait attention. Je plaçais mes mains autour d'elle et pris une grande inspiration. Lorsque je la relâchais tout était sous contrôle. Tara m'observait avec des yeux larmoyants. Je n'avais plus de mots. Miranda me prit par la main et nous prenions le chemin du retour. C'était la première fois que je repartais après avoir été vaincu. J'avais ce sentiment amer d'injustice, je me sentais chassé par ces petites créatures. Je les méprisais au plus haut point lorsque sur le chemin du retour j'entendis une petite voix m'appeler. Je me retournais et je vis Tara sur le chemin courir vers nous. À ma portée, elle prit ma main et me sourit. Son père derrière hurlait à pleins poumons.
« Si tu pars je te considère comme morte ! »
J'étais surpris, Tara semblait terrifiée, elle serrait ma main dans la sienne fortement. Je brûlais d'autant plus que j'étais à fleur de peau après l'incident. 3Bis vint de l'autre côté et lui prit la main. Au final, nous étions tous en train de marcher, nous serrant les mains les uns des autres. Mon cœur mort paraissait battre, je pense que j'étais sincèrement heureux à ce moment. Je me sentais aimé et respecté, j'avais trouvé ce qui me manquait depuis toujours.
Nous rentrions donc au manoir tous ensemble, Tara resta dans le hall alors que tous s'affairaient pour le dîner du soir.
Miranda alla vers elle et la guida à l'étage dans l'une des chambres vides. Elles discutèrent un bon moment mais je n'entendais pas leur échange. Je décidais donc de me faufiler dans les ombres pour les écouter discrètement. J'entendis la voix de Tara puis celle de Miranda.
« Sire Zarkhaïm a l'air d'un homme bon, il vous a tous recueillis ? C'est de là que viennent les enfants ? Je comprends mieux la réaction des hommes du village maintenant...
- Il l'est, nous travaillons honnêtement pour lui pour entretenir le manoir et nous le faisons avec plaisir. Tu peux rester autant que tu le désires, il y a assez de place et de ressources pour nous tous.
- Merci Miranda. J'ai encore du mal à concevoir que tu aies pu être giflée ainsi. Ce sont des monstres.
- Ne t'inquiètes pas Tara. Une fois que tu passes les portes du manoir, tout est envolé. Le maître est doué pour apaiser les âmes. Je vais aller préparer sa bibliothèque pour ce soir, si tu as besoin de quoi que ce soit n'hésites pas à le demander.
- Merci Miranda… »
Je vis Miranda sortir de la pièce, je glissais un œil par la porte pour apercevoir la belle Tara assise sur le bord du lit. Elle avait le visage dans les mains et pleurait à chaudes larmes. Je fus surpris de la voir ainsi et je trébuchais. Je fis du bruit et elle m'entendit. Alors que j'allais filer aussi vite que j'étais venu, elle m'interpella.
« Sire Zarkhaïm ? Est-ce vous ? »
J'étais pris sur le fait. Je balbutiai un oui. Elle s'était levée, avait séché ses larmes et m'ouvrit la porte. Elle m'invita à entrer. Être aussi proche d'elle me causait de grandes douleurs, si elle devait rester sous notre toit alors je devais percer ce secret au plus vite avant de perdre mes moyens. Je ne savais pas si le mirage qui cachait mon véritable visage allait tenir longtemps dans ces conditions.
Tara s'inclina devant moi.
« Je suis désolée de la façon dont vous avez été traités. Dites-moi comment je peux vous aider au manoir. Je souhaite rester avec vous désormais. »
En des millénaires d'existence je n'avais jamais entendu de plus douces paroles. Je fus pris d'une violente douleur au niveau du cœur. Un battement retentit. Ce fut comme un coup de poing à l'intérieur de moi. Je me sentais secoué, mais je ne laissais rien paraître.
« Reste avec nous autant que tu le veux. »
Je ne tenais plus, je devais m'éloigner un peu. Je sentais mes crocs apparaître, mes lèvres s'affinaient et mes paupières disparaître peu à peu. Je me levais et je partis dans ma bibliothèque sans me retourner.
Miranda avait tout préparé. J'avais une bouteille de sang ouverte et servie dans un verre qui n'attendait que moi. Je m'installais dans mon fauteuil et pris une grande inspiration. Des flammes apparurent dans la cheminée, elles étaient froides et vertes.