Je regardais autour de moi, il n'y avait plus rien. Les ombres s'étaient estompées et les morts avaient repris leur place. Les habitants avec qui j'avais partagé ce petit moment de vie étaient tous décimés. C'était un vrai carnage. Archanium était parti avec Tara.
Au final, peu importait les bons moments, peu importait qui je pouvais être. Seule ma nature comptait. J'étais un monstre, peu importait ce que je faisais de bien ou mal, je finirais toujours par apporter le chaos autour de moi.
Je me relevais doucement, mon cœur était brisé, au fond de moi, je savais qu'Archanium avait toujours eu raison. J'étais trop sensible. Désireux d'être aimé plus que tout, peut-être même étais-je jaloux ?
Archanium avait l'amour des humains, quoi qu'il fasse, peu importe ô combien il était sanguinaire et pervers. Je l'avais vu torturer, annihiler, massacrer, et toujours, toujours, des Hommes se tenaient devant lui pour le glorifier.
Oui… Je pense que j'étais jaloux… Du plus rare des trésors, il avait l'amour et ma précieuse Tara était partie le rejoindre.
Je me relevais et je marchais… J'allais rejoindre le petit, peut-être m'attendait-il encore, nous avions convenu de nous retrouver dans la taverne de la ville voisine. À chaque pas, je me sentais lourd. Je me sentais vide et seul. Tout autour de moi n'était que sombre et désespoir.
Je marchais sans même prendre la peine de cacher ma nature, mes ailes noires traînaient au sol et étalaient le sang dans lequel elles avaient baigné. Je pense que je devais vraiment ressembler à un monstre à ce moment.
Une fois à la ville, les gens se mirent à courir et à hurler de terreur. J'entrais dans la taverne et je vis le petit gentiment assis. Il croisait les bras et me regardait arriver.
Je m'assis. Tout le monde avait fui, il n'y avait plus que nous. Le petit prit une assiette et un verre de vin et me les tendit.
Il avait cet air sur le visage qui me redonnait un peu la foi. Je lui demandais.
« Quel est ton nom ? »
Le petit hocha la tête, il riait.
« Peu importe. Comment veux-tu m'appeler ? »
Après ce que je venais de vivre, mon regard était noir. Les ombres s'agglutinaient comme un parasite sur tout ce qui se trouvait à ma portée. Ma voix était glaciale.
« Atrotus, qu'en penses-tu ? Ça sonne bien... »
Le petit hocha la tête. Il parlait avec une voix calme et posée. Je prenais le temps de manger. Puis je regardais les lieux recouverts d'ombres.
« Je vais bâtir un château ici. J'en ai assez de vivre dans l'ombre. »
Le petit se mit à rire. « Je peux avoir une ferme ? J'ai toujours rêvé d'avoir une ferme. »
Je souriais. « Accordé » La situation me paraissait complètement ironique. Je pensais sérieusement à soumettre les humains pour quoi faire ? Les forcer à m'aimer ? Les forcer à m'aduler ? J'allais les contraindre par la force ? Peut-être qu'avec le temps, ils apprendraient…
Après tout, j'avais l'éternité devant moi pour faire des expériences. Ce jour-là, je décidais de devenir roi, un roi sans royaume, mais un roi tout de même. Avec les années, les Hommes verraient qu'ils vivraient mieux avec moi.
Je sortis de la taverne avec un air triomphant. Je déployais mes ailes et montait sur le toit de la taverne. Les humains restés tremblaient de peur devant moi. La rumeur du massacre du village voisin arrivait doucement à leurs oreilles et ils n'osaient plus bouger.
J'écartais les bras et appelais mes ombres. Devant leurs yeux ébahis se dressa mon château.
Un bâtiment absolument magnifique, les pierres s'amassaient en des voûtes, des colonnes, deux tours apparurent et les humains se retrouvèrent en un instant dans la salle du trône.
La taverne et tout ce qu'ils avaient connu avait disparu. Seule ma chaise restait, ma petite chaise de taverne… Elle traînait là, dans un coin. Je m'assis sur le trône et fermais les yeux.
Devant moi, je voyais mes ombres recouvrir mes terres. De la plaine où j'étais jusqu'à la mer. Elles apposaient mon sceau sur les bâtiments et je pouvais tout voir, tout contrôler. J'étais satisfait. Ma puissance était étalée au grand jour.
La douleur de la trahison de Tara avait fait un trou dans mon âme que je ne saurais sûrement jamais combler.
Je regardais le petit. « Choisis une terre et fais ce que tu veux. C'est à toi. »
Tous entendirent. Ils se regardèrent les uns et les autres, interloqués. Un homme massif vint à moi le premier. Il s'agenouilla devant moi.
« Mon Roi… Je souhaite une boutique en ville. Je souhaite vendre les plantes médicinales que je cueille dans un vrai bâtiment au lieu d'un étal au marché. »
Je souriais. Les choses prenaient enfin la place que je désirais. Et ma voix puissante résonnait.
« Accordé »
Petit à petit, une ville naquit autour de mon château et chacun trouvait sa place. Ma nature ne semblait pas être évoquée outre mesure dans les conversations. Ils s'arrangeaient entre eux pour ne pas en parler.
Le niveau de vie fut bien meilleur. J'abolissais les mariages arrangés, chaque union devait passer par moi afin que je sois sûre de l'accord des deux partis.
Mon expérience avec Tara et son amie m'avaient trop profondément marqué pour que je fasse comme si rien ne s'était passé.
Atrotus grandissait bien, avec les années, il venait régulièrement au château. Sa ferme était prospère. Il devint un adulte et il eut un fils. Il le nomma Fortis pour continuer la lignée.
Si j'étais craint, au fur et à mesure des ans, je devins respecté. Mon peuple commença même à m'aimer, mais cela n'atténuait pas la douleur.
J'appris que Tara fut renommée Yshnaa, elle prit le rôle de la déesse des nobles et des purs. Elle était vénérée par ceux qui aspiraient à avoir de puissantes et royales lignées.
Elle était vénérée par ceux que je combattais. Ceux qui mariaient leurs filles pour la richesse et envoyaient leurs fils combattre pour la gloire…
J'avais une fois été sûr qu'elle aurait pu être ce seul compagnon auquel j'avais droit. Cette personne chère et précieuse à mon âme pour rester à mes côtés pour toute l'éternité, en paix…
Et puis…
Un jour…
Je sentis une odeur délicieuse dans le monde.
J'allais au dehors, l'odeur était diffuse, elle était loin de moi.
Je me mis à la chercher.
Mais elle vint à moi…
J'étais à l'extérieur de la ville lorsque je vins à sa rencontre. Il marchait calmement en ma direction.
Ses cheveux longs étaient tels la neige éternelle du nord. Ses yeux rouges étaient deux rubis perçant mon âme. Il me vit et me sourit. Je sentais son sang, je sentais son être. Mon propre sang tourbillonnait. Cet homme, cette créature, elle était ma création. Il était mon compagnon.
Je le reconnaissais et pourtant, je ne l'avais jamais vu auparavant.
Il me sourit d'un sourire profond, il s'avança vers moi et je fus paralysé. Je ne savais plus bouger, mes membres ne m'obéissaient plus.
Il me prit dans ses bras et je sentis son amour inconditionnel. Je fermais les yeux, était-il un mirage ? Avais-je finalement perdu la raison ?
Sa peau de nacre était douce sous mes doigts. Je savourais d'un plaisir immense tout ce qui pouvait émaner de lui. Je glissais mon visage dans son cou et je sentis les larmes perler sur mon visage. Comme soulagé de l'avoir retrouvé sans pour autant l'avoir jamais vu. Mes pensées vagabondaient à mesure que mes doigts effleuraient son dos.
Je sentis son souffle froid, ses bras autour de moi. L'étreinte dura ce qui me semble une éternité. Un moment où le temps s'arrêta pour moi et où chaque seconde était une déferlante d'amour.
Chaque cellule de mon être, chaque parcelle de ma peau, chaque petite chose qui me constituait s'émerveillait de lui et de sa chaleur.
Puis, il me relâcha et me regarda droit dans les yeux. Il replaça une mèche de mes cheveux derrière mon oreille en souriant d'un sourire délicat. .
J'entendis sa voix pour la première fois et je me sentis transporté à travers le temps et l'espace. Tout chez lui n'était que douceur et tendresse.
« Tu me manquais. Je devais te voir ne serait-ce qu'un peu. » me dit-il.
J'avais des yeux ronds, j'étais perdu, je serrais ses mains dans les miennes. Ses mains étaient délicates, ses doigts longs et fins glissaient entre les miens, contrastant avec ma peau marquée et rugueuse.
J'étais silencieux, admiratif de son être, envoûté par sa présence.
Nous nous sommes assis sur une pierre et avons contemplé le ciel en silence. Dans les bras l'un de l'autre. Mon esprit vagabondait, je glissais ma tête sur ses genoux et je fixais son visage. Comme si je voulais mémoriser chaque détail de ce qui le rendait si unique à mes yeux. Je levais ma main et caressais sa joue. Sa peau était froide et pourtant, elle me réchauffait d'une chaleur douce et réconfortante. Rien au monde depuis mon existence n'avait été si puissant. Il posa ses yeux sur moi et me sourit. La nuit tombait et ses yeux se mirent à briller.
Tout à son sujet n'était que douceur et perfection. J'étais estomaqué et n'étais plus maître de moi-même.
Il se pencha doucement et déposa un baiser sur mes lèvres. Je n'attendais que ça… Tout mon corps réagit à son contact. J'attrapais sa nuque, je refusais de le laisser partir. Je voulais que ce baiser dure toujours. Je ne voulais plus que lui.
Il se redressa après un moment et me murmura.
« Je dois partir maintenant. »
Je ne comprenais pas ses mots. Alors qu'il se dégageait de mon étreinte, il se redressa et commença à partir. J'étais stupéfait, je l'admirais, je ne voulais pas qu'il parte. Je me relevais aussi vite que je le pus et je courus après lui.
Il me sourit avec amour et me dit d'une voix réconfortante.
« Ne t'inquiète pas. Tout ira bien, car je crois en toi. »
Je sentis des larmes couler sur mon visage, je ne savais pas y croire. J'avais besoin de plus. Plus de paix, plus d'amour, plus de passion, plus de lui…
Je ne lâchais pas sa main et le suppliais presque.
« Dis-moi au moins ton nom. »
Il mit sa main sur la mienne, il se pencha vers moi et déposa un baiser dans mon cou avant de murmurer.
« Miroïr. »
Je répétais son nom comme un mot magique, je le laissais partir. Je restais là, immobile. Incapable de comprendre cette journée. Il disparut de mon champ de vision et quelques minutes plus tard son odeur s'estompait, laissant un grand vide en moi en même temps que l'excitation de cette rencontre.
Il ne lui avait fallu qu'une journée, qu'une caresse, pour me faire oublier la douleur de Tara. Je me sentais complet, aimé, quelque chose, quelqu'un dans l'univers m'aimait enfin. Il m'aimait d'un amour unique et inébranlable.
Ce n'est que plusieurs siècles plus tard que je compris. Le temps d'un battement de ciel pour l'être immortel que j'étais.
Alors que la lignée d'Atrotus continuait et que leur ferme était un havre de paix paisible et prospère.
Si le petit gamin que j'avais sauvé autrefois n'était plus de ce monde, ses enfants, eux, étaient la famille la plus fidèle de mon royaume.
Puis un jour, j'entendis la nouvelle.
La cinquième génération était née… Deux jumeaux, l'un fort et solide, l'autre albinos…
Jäwell et Miroïr étaient venus au monde.
Alors, je t'attendrai mon amour. J'attendrai que nous soyons réunis, car je sais que tu es celui qui m'est destiné. Celui qui partagera toute mon éternité.
Je t'aime depuis notre premier jour en dehors de l'espace et du temps.
Et je t'aimerai toujours.