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Chapter 36 - La détective et moi - Hors limites.

Ces mots me paraissaient irréels. Autant que le geste de lui serrer la main, tout en sachant enfin son nom.

Comme si une limite qui nous tenait encore éloignés l'un de l'autre s'était effacée.

Certes, il y aurait sûrement d'autres entraves à enlever entre nous, mais j'avais déjà l'impression d'avoir fait quelque chose d'énorme.

Est-ce que c'était ça, que de réellement faire connaissance avec quelqu'un ?

Parce que si c'était le cas, ça n'avait strictement rien à voir avec toutes ces rencontres maussades et pleines de platitudes que j'avais faites jusqu'à présent. Les gens n'avaient jamais cherché à en savoir plus sur moi, et moi-même, je n'avais jamais pris la peine d'essayer de les connaître. Aussi, je trouvais cela plutôt agréable, bien que ce soit encore un petit peu en dehors de ma zone de confort.

Toutefois, je n'eus pas le temps de m'extasier plus en longueur sur cette nouvelle expérience, que déjà, la détective du nom d'Hiraoka Misato m'avait confié d'innombrables tâches.

Il était plus de 21h un vendredi soir, et je me retrouvais à ranger de fond en combles tout l'étage, en suivant ses indications sans rechigner.

« Je rédigerais un contrat de travail quand j'aurais le temps, » dit-elle sans vraiment être présente dans la conversation, la tête plongée dans son frigo.

Même en l'entendant dire ces mots, je doutais encore qu'elle fasse réellement cela.

Car durant la première demi-heure où elle m'avait confié le tri des documents empilés sur son bureau, ou négligemment répartis sur le sol, j'étais tombé sur plusieurs factures impayées ou en retard. Preuve que la détective ne roulait pas sur l'or, et semblait être rapidement à court d'argent.

Dans mes fouilles pour tous les documents ayant été éparpillés aux quatre vents dans la pièce principale de l'agence, j'avais également trouvé le reçu du paiement fait par madame Munehara, et son montant m'avait grandement déconcerté.

Le prix qu'elle avait payé était si… Dérisoire…

Je comprenais à présent l'expression affolée de la cliente, quand elle avait reçu la facture pour nos services ; et de mon côté, je me demandais vraiment si manquer de me faire poignarder à mort coûtait aussi peu.

« Ah, non, Munehara-san m'avait l'air déjà en position délicate sur le plan financier, » Expliqua la détective. « Alors je lui ai fait une grosse réduction. »

Je fronçais des sourcils.

Elle avait dit cela comme si c'était une évidence, et comme si c'était habituel pour elle de procéder comme cela.

Et encore une fois, j'ouvris ma bouche sans avoir le temps de m'arrêter.

« C'est pour ça que vous êtes aux abois pour payer votre loyer... » Dis-je en la regardant depuis derrière le canapé.

Elle s'était alors tournée vers moi, et depuis la cuisine ouverte où elle se préparait à nouveau du thé, me regarda droit dans les yeux.

Cela devait être un aspect de sa personnalité, à toujours être franche dans ses paroles comme dans son attitude.

« Je ne fais payer à mes clients que ce qu'ils méritent de payer, » répondit-elle.

Hein ? Qu'est-ce qu'elle voulait dire par là ?

Ses tarifs n'étaient pas les mêmes, selon le client ?

Préoccupée par la quantité de feuilles qu'elle mettait dans un infusoire en métal, elle ne me regardait déjà plus ; aussi repris-je le ramassage de plusieurs feuilles de papier qui avaient glissé sous le canapé.

J'avais remarqué que tous les documents étaient bien au nom qu'elle m'avait donné un peu plus tôt, ce qui tendait à prouver qu'il s'agissait de sa véritable identité. Une identité qui avait de gros ennuis de comptabilité, mais qui avait tout de même trouvé un moyen de déjà me faire travailler, malgré moi. J'étais un peu fatigué, oui, mais je ne contestais pas ses ordres pour autant.

Les poubelles avaient été sorties par mes soins, les cartons de nourriture et les sacs non fermés débordant de choses douteuses mises dans les containers de l'immeuble au rez-de-chaussée. Puis, j'avais passé un bon moment à nettoyer la zone de la cuisine, faisant la vaisselle et l'essuyant au fur et à mesure, avant de la ranger. J'avais même eu droit à un commentaire de madame Hiraoka, comme quoi 'je ferais un très bon homme au foyer'. Ça ne m'avait pas vraiment dérangé d'être appelé de la sorte, mais en y repensant…

Devais-je l'appeler madame, ou mademoiselle ?

Il était relativement clair qu'elle n'avait personne dans sa vie, vu la façon dont elle gérait les choses, et semblait totalement absorbée par son travail. Et puis, elle avait toujours été plus ou moins familière avec moi, alors je ne savais pas vraiment comment l'appeler en retour. Elle était d'apparence plus jeune que moi, mais semblait bien plus âgée sur le plan mental. Enfin, la plupart du temps.

Un paquet de plusieurs documents plus ou moins froissés ou recouverts de tâches de graisse en main, je me dirigeais vers son bureau pour les y poser, et contemplais longuement tout ce que j'avais trouvé : des récépissés de factures de ses clients, des factures d'eau ou d'électricité, des factures d'achats en ligne, mais aussi des flyers de restaurants livrant à domicile, et divers prospectus publicitaires.

C'est moi où… Elle ne rangeait ni jetait jamais rien ?

Je sentis tout à coup quelque chose de froid contre ma joue, ce qui me fit légèrement sursauter.

La détective était venue jusqu'à moi alors que j'avais le dos tourné vers elle, et avait pressé contre mon visage une cannette tout juste sortie du frigo de boisson à l'aloe vera.

« Fais un peu une pause, Nijima-kun, » me dit-elle en souriant, tandis que je prenais silencieusement la cannette en métal dans ma main gauche.

Je regardais la boisson dans ma main, puis la détective s'éloignant pour disparaître dans une des pièces fermées de l'appartement. Je me demandais ce qui pouvait bien s'y trouver…

Ouvrant la cannette, je me mis rapidement à engloutir le liquide froid et sucré.

Le rafraîchissement était le bienvenu, surtout après avoir passé plus de trois quarts d'heure à bouger dans tous les sens sans m'arrêter. J'avais même enlevé ma veste de costume, et avait roulé jusqu'à mes coudes les manches de ma chemise ; ce qui n'empêcha pas la chaleur ambiante de me faire transpirer et respirer bruyamment.

Une fois terminé, je me dirigeais vers la cuisine, et jetais dans la poubelle nouvellement nettoyée et réassortie d'un nouveau sac plastique la cannette en métal, avant de repartir dans la direction du bureau en bois pour commencer à trier tout ce que j'y avais regroupé.

J'avais dépassé le canapé et était presque arrivé à ma destination, quand, passant devant une des portes fermées, quelque chose attira mon attention.

Un bout de carton dépassait de sous la porte, ce qui me fit froncer les sourcils. J'avais dû le manquer jusqu'à présent, trop concentré sur le centre de la pièce pour mes recherches.

Avançant pour me positionner devant la porte, je m'accroupis pour poser la main sur le fin morceau de carton et le faire glisser vers moi. Toutefois, j'avais beau tirer dessus, même avec mes deux mains, qu'il ne bougeait pas. Il était probablement coincé par quelque chose, de l'autre côté de la porte. J'anticipais déjà l'état désastreux dans lequel la pièce que je n'avais pas encore explorée pouvait se trouver, et posant ma main sur la poignée, la fit basculer vers le bas pour déclencher l'ouverture.

Ce qui me frappa immédiatement, en plus de l'obscurité totale dans laquelle se trouvait la pièce en question, était l'air très froid qui s'en était dégagé.

Je tendis mon bras sur le côté de la porte situé à l'intérieur, pour chercher du bout des doigts l'interrupteur commandant la lumière de la pièce, quand la main de la détective surgit par mon côté gauche pour violemment empoigner mon bras.

Le geste et son intensité me surprirent, et tournant la tête vers là où se trouvait son corps, je vis une expression que je n'avais encore jamais vue sur son visage.

Elle était en colère. Et tout en me regardant avec des yeux plissés et des sourcils froncés, elle dit d'une voix grave et lente :

« Cette pièce est hors limite pour toi. »

Elle n'était pas seulement en colère. Elle était en colère contre moi.