La détective me regarda pendant un moment, avant d'éclater de rire.
« Tu en as de ces questions ! » S'exclama-t-elle tout en réprimant son rire. « Pas besoin de m'appeler 'Patronne' ou un autre truc comme ça ! 'Hiraoka-san' suffira amplement! »
Ok. Hiraoka-san, dans ce cas.
Mais en y réfléchissant bien, il était clair qu'elle n'était probablement pas mariée, au vu de sa 'condition médicale'. Je la voyais mal devoir dissimuler, ou au contraire, révéler cela à quelqu'un.
Déjà qu'elle avait en quelque sorte été un peu contrainte de tout me dire…
Je me demandais tout de même si elle avait déjà eu quelqu'un dans sa vie.
Peut-être ce fameux 'TXT' ?
Dans ce cas, est-ce que je m'interposais entre eux ?
Levant le regard vers elle, je vis qu'elle était déjà en train d'empiler la vaisselle nouvellement utilisée dans l'évier, et ce sans aucune intention manifeste de la nettoyer. Elle savait sûrement que je serais là pour nettoyer derrière elle, et je ne lui en tiendrais pas rigueur.
Elle était bien trop terre à terre de ce côté-là. Aussi, vu l'état actuel de son appartement, je me doutais qu'elle ne devait pas recevoir beaucoup de monde, à commencer par ses clients. Peut-être était-ce pour cela qu'elle les rencontrait à l'extérieur ?
Non, impossible. Elle n'avait sûrement personne dans sa vie.
Et pourquoi je me posais ce genre de question, d'abord ?
Secouant la tête pour me remettre les idées en place, je me levais pour aller laver et ranger la pile d'assiettes et de tasses que la détective avait laissée dans son sillage. J'enfilais les gants verts foncés, et éponge à la main, me mis à frotter le verre et la céramique.
« Wow ! T'as même retrouvé des factures de l'année dernière ! » Entendis-je la jeune femme s'exclamer.
Au bruit de feuilles retournées et manipulées, je sus sans même avoir besoin de me retourner qu'elle était en train de toucher aux documents que j'avais réunis sur son bureau.
Cela m'agaça un peu, parce qu'au vu de sa méthode de classement, elle allait sûrement détruire mon tri et mélanger le tout. Ce qui me forcerait à de nouveau tout ranger après son passage.
Pour le coup, elle avait le même comportement qu'un typhon, laissant dans son sillage désordre et destruction. Et ce typhon était en approche, arrivant derrière moi à grande vitesse.
« Vu l'heure qu'il est, tu devrais rentrer chez toi, » Me dit-elle en se tenant juste à mes côtés.
Elle m'observait avec attention, comme hypnotisée ; ses yeux suivant le mouvement régulier de mes bras levant et posant les différentes pièces de vaisselle que je lavais.
Rester ainsi pendant plusieurs minutes dans le silence le plus total, ponctué uniquement par le bruit des tasses et des assiettes s'entrechoquant, se montra étonnamment apaisant.
« Je n'ai pas fini de ranger et de nettoyer... » Finis-je par lui répondre quelques minutes plus tard, tandis que j'essuyais une petite cuillère.
Elle claqua sa langue, mais je ne sus pas si c'était par ennui ou amusement.
« Tu fais vraiment les choses jusqu'au bout, si on ne t'arrête pas… Pas vrai ? » Observa-t-elle.
J'appréciais le travail bien fait, oui ; et je n'aimais pas laisser interrompu quelque chose qu'on m'avait demandé de faire.
En y réfléchissant bien, c'était à cause de cela que j'avais pu la rencontrer. J'avais obéi aux ordres de monsieur Chiba sans broncher, comme à mon habitude, et je ne considérais pas cela comme un tort de ma part. Pourtant, j'avais la sensation que ce trait de caractère faisait partie des raisons pour lesquelles les gens autour de moi ne m'appréciaient pas. Peut-être que le fait de suivre sans arrêt ce que me disaient les autres était un gros défaut ?
Si c'était le cas, il m'avait fallu longtemps, avant de m'en rendre enfin compte. Mais ce n'était pas comme si je pouvais changer ma personnalité du jour au lendemain…
Une feuille de papier se retrouva agitée sous mon nez, ce qui me força à m'arrêter dans le rangement des placards que je venais à peine de commencer.
La saisissant, j'observais ce qui y était inscrit, avant de me tourner vers la détective.
« Qu'est-ce que c'est ? » Lui demandais-je, soucieux.
« Les horaires auxquelles tu pourras venir m'aider, en dehors de tes heures de travail, » me répondit-elle en souriant. « Mais je n'ai pas beaucoup d'affaires en ce moment, alors je te contacterais si j'ai quelque chose qui se présente. »
C'était peut-être pour cela qu'elle avait du mal à payer ses factures, aussi. Le manque de clients. Mais j'étais également convaincu que ses ennuis venaient de ses honoraires un peu trop irréguliers.
Tout de même, c'était relativement délicat de sa part de ne pas oublier le fait que j'avais déjà un vrai travail.
« Je viendrais sur le terrain avec vous, alors ? » Demandais-je pour être sûr de ce qu'elle impliquait en me remettant cette feuille d'horaires.
Elle hocha de la tête, une expression sérieuse figeant son visage.
« J'ai encore quelques réticences, mais tu m'as déjà montré que ta capacité à observer les gens pouvait être un avantage. » Dit-elle. « J'aimerais donc voir si tu peux te servir de ce don pour m'assister. »
Je maugréais intérieurement.
Encore une fois, c'était loin d'être un don, et il y avait encore bien des signes que je n'arrivais pas à analyser. Alors je ne savais pas vraiment si j'allais pouvoir me montrer d'une quelconque aide…
Je sentis une main vivement me tapoter à plusieurs reprises l'épaule droite, et me tournant sur le côté, je vis que la détective avait déjà en main la plupart de mes affaires.
« Allez, rentre chez toi, Nijima-kun, » insista-t-elle.
Bon, puisqu'elle me chassait, je n'avais pas vraiment le choix.
Déroulant mes manches jusqu'à mes poignets puis enfilant ma veste avant de passer la lanière de mon sac sur mon épaule, je baissais légèrement la tête pour lui signifier que je m'en allais.
Elle me sourit amicalement, avant de me regarder me diriger vers la porte d'entrée, le carrelage gris clair claquant sous mes talons.
C'était assez étrange, d'éprouver de la réticence à quitter les lieux. Comme si je me complaisais dans cette proximité qui s'était établie entre nous.
J'avais déjà la main sur la poignée, lorsque quelque chose m'interrompit dans mon élan.
Je ne sus pas tout de suite pourquoi, mais sur le moment, la détective eut envie d'avoir le dernier mot, et s'adressa une dernière fois à mon intention.
« Bonne route et à bientôt! » Me cria-t-elle avant que la porte de son agence ne se referme derrière moi, me laissant seul dans l'obscurité du couloir.
Je n'avais pas pris la peine de me retourner, car je ne savait pas trop quoi lui répondre. C'était un peu soudain, comme salutation, mais également assez inhabituel à mes yeux. Je ne me souvenais même pas de la dernière fois où quelqu'un avait pu s'adresser à moi de la sorte.
Et puis, il y avait eu dans sa voix un je-ne-sais-quoi de malice, comme si, encore une fois, elle savait quelque chose que j'ignorais.