Le lendemain matin, hall de Marline Insurance.
Takao scruta avec anxiété la foule d'employés qui envahissait les locaux de l'entreprise, se réunissant tous devant les portiques de sécurité malgré le fait qu'ils venaient tous de lieux éloignés les uns des autres, et de quartiers tout aussi différents les uns que les autres.
Certains employés le reconnurent et le saluèrent respectueusement avant de continuer leur chemin, tandis que d'autres passaient devant lui sans se préoccuper de l'homme qui les observait avec tant d'insistance.
« Oh ? Le type qui ressemble à mon frère ! Vous travaillez aujourd'hui ? » S'étonna avec le sourire Yamamoto Yuuto.
Le jeune homme s'empressa de se diriger vers Takao, et en toute amitié, lui tapota l'épaule.
« Vous attendez Shinohara-san, pas vrai ? » Demanda-t-il avec un sourire malin en continuant de le taper de sa main. « Elle devrait pas tarder à arriver ! »
L'employé se prit une main à l'arrière du crâne, et se retournant, il vit que le coupable de cette agression n'était autre qu'Hasami Mari.
« Hasami-san ! » S'écria Yuuto, ravi de la voir arrivée.
« Pitié, il n'est que huit heures du matin... » Dit-elle avec un air déjà fatigué.
Puis, tandis que Yuuto reprenait son calme et que Mari saluait à son tour Takao, Ren arriva, et sans fioritures, hocha de la tête pour dire bonjour aux trois personnes qu'il venait de rejoindre.
« Vous êtes déjà tous là ? » Demanda-t-il de sa voix calme et posée.
« Ouep ! Même ce type est déjà là, et apparemment il attends Shinohara-san ! » Sourit Yuuto.
Ren tourna alors un regard confus vers Takao, n'étant pas vraiment sûr de ce qui se passait ici.
« Si vous attendez vraiment Shinohara-san, elle n'arrivera que d'ici un petit quart d'heures, » révéla Ren. « Elle prends la ligne B vers le sud, donc elle met un peu plus de temps à arriver que nous. »
« Wah, t'es sacrément observateur, Ren ! » S'étonna Yuuto. « Comment tu sais ça ? »
Il se prit une tape de la main dans le dos avant se se faire pousser vers les portiques de sécurité.
« On a raccompagné Hana-chan l'autre soir, » Dit rapidement Mari en continuant de le pousser. « Alors arrête de poser des questions idiotes et libère le passage. »
« Y'a pleins d'autres portiques pour passer ! » S'exclama Yuuto.
Mari le poussa un peu plus, et malgré sa réticence, le jeune employé finit par passer sa carte sur les lecteurs pour ensuite franchir la barrière de sécurité et se trouver de l'autre côté. Puis, la femme se pencha vers Takao pour lui parler plus discrètement.
« Désolée pour ça, » S'excusa-t-elle à voix basse. « Yamamoto-kun a tendance à poser trop de questions et à se mêler de ce qui ne le regarde pas. »
Takao les salua une dernière fois, en même temps que les deux employés se dirigeaient les les ascenseurs, et Ren s'approcha de lui.
« Quelque chose ne va pas, Directeur Utagawa ? » Demanda à voix basse Ren.
Takao fut surpris de l'entendre l'appeler 'Directeur', et quand Ren lui lança un regard inexpressif, il comprit que l'employé était déjà au courant qu'il était leur supérieur hiérarchique.
« Vous n'avez pas vraiment envie que ça se sache, du moins, pour le moment, pas vrai ? » S'assura-t-il à voix basse.
Takao hocha de la tête. Le Chef Tsukasa l'avait déjà mis en garde sur le fait que certaines nouvelles circulaient très vite parmi les employés, et il ne pensait pas rencontrer de sitôt un des membres de cette chaîne d'informations clandestine.
Il se demandait combien de personnes étaient déjà au courant de sa position au sein de l'entreprise, et comme si Ren avait lu ses pensées, il ajouta :
« Seules les Ressources Humaines sont au courant pour l'instant, ainsi que les Chefs et Chefs adjoint de notre propre Département. »
Il fit une pause, observant le visage de Takao, avant de reprendre son explication comme si de rien n'était.
« Et moi, bien entendu. »
« Dans ce cas, combien de temps cela prendra-t-il pour que la nouvelle arrive à tous les employés ? » Demanda Takao, anxieux.
Du coin de l'oeil, Takao aperçut alors la personne qu'il attendait depuis tout ce temps enfin approcher du bâtiment de Marline, et Ren, suivant son regard, lui répondit :
« Tôt ou tard, les employés finiront tous par le savoir. » Déclara-t-il comme s'il s'agissait d'un fait immuable.
Takao reporta alors son regard sur l'homme qui le dépassait au moins d'une tête en taille, et tenta de déchiffrer l'expression neutre que celui-ci arborait sur son visage.
Ito Ren. Le Chef Adjoint Ogawa lui avait parlé de lui. Il s'agissait de quelqu'un qui non seulement savait toujours tout ce qui se passait au sein de l'entreprise, mais qui en plus possédait de grandes capacités d'observation. Aussi, il ne fut pas surpris par la pertinence de la remarque que lui avait fait l'employé. Il devait probablement avoir compris que le Directeur en face de lui accordait une importance inhabituelle à Shinohara Hana.
« Comme vous dites, tôt ou tard... » Reprit Takao.
« Sur ce fait... » S'excusa Ren.
L'homme élégant franchit d'un pas fluide et sans défaut le portique de sécurité avant de se joindre à la masse d'employés qui s'étaient regroupés devant les portes des deux ascenseurs desservant l'immeuble tout entier.
Puis, Takao reporta à nouveau son attention sur la jeune femme aux longs cheveux noirs qui venait tout juste de franchir les portes automatiques du hall pour se diriger vers lui et les portiques.
Il appréhendait le moment où la jeune femme allait l'aborder, et se demandait si quelque chose s'était passé la veille ou non, après le conseil qu'il avait donné à Nana.
Est-ce que Nana et Hana avaient enfin eu une discussion ? Et si oui, Hana était-elle au courant qu'il avait connaissance de l'existence de Nana ?
Avec nervosité, il suivit du regard Hana s'approcher des portiques de sécurité, passer son badge d'employée sur les lecteurs, et franchir la barrière pour continuer à avancer sans même lui prêter la moindre attention.
Takao fut un peu déçu, mais peut-être était-elle trop plongée dans ses pensées pour faire attention à ce qui l'entourait. Il devait aussi prendre en compte le fait qu'ils ne se connaissaient pas vraiment, Hana et lui. Après tout, c'était plus avec Nana qu'il avait eu des conversations pleines d'informations.
Quant à Hana, elle n'avait pas vraiment répondu concernant le fait de devenir amis ; et Takao sentit que peut-être, il devrait d'abord essayer d'observer et de comprendre Hana pour qui elle était, et pas comme une copie de Nana.
Il entreprit donc de traîner dans le Département Catastrophes Naturelles, en restant suffisamment à distance pour ne pas trop attirer les regards ; et pour cela, rester près des portes des ascenseurs serait l'idéal.
Toute la matinée, il vit la jeune femme travailler à son poste, faire des copies pour d'autres employés, et aussi se faire réprimander plusieurs fois par le Chef Kobayashi. Tout ce qui était banal, comme activités d'employée.
Cependant, Hana était aussi plutôt prompte à proposer son aide de façon spontanée.
Si une collègue passait en portant de lourds dossiers, elle demandait à en porter une partie.
Si une autre personne avant besoin d'un document spécifique, elle se dévouait pour aller le chercher dans l'armoire qui contenait toutes les copies papier des dossiers en cours. Ou encore, si quelqu'un ne pouvait pas répondre au téléphone, elle prenait l'appel pour faire patienter le client à l'autre bout du fil.
Takao la vit également apporter plusieurs fois des cafés depuis le distributeur situé dans la salle de pause, pour les poser devant ses collègues mais aussi les Chefs et Chefs adjoints de section. C'était notamment lors de ces occasions que Kobayashi Shinsuke s'énervait un peu plus et la réprimandait.
Toutefois, il fallait aussi voir les choses du point de vue de Shinsuke.
Depuis que la jeune femme avait été embauchée, elle n'arrêtait pas de se mêler de ce qui ne la regardait pas. Elle pouvait aider dans une certaine limite d'autres personnes – après tout, les internes étaient aussi faits pour ça – mais elle ne devait pas passer son temps qu'à aider les autres pour finir par avoir du retard dans son propre travail. C'était probablement ce qui énervait le plus Shinsuke. Elle voulait bien faire, mais ne se rendait pas compte que ses allers et retours intempestifs stressaient ses collègues, et qu'elle perdait du temps pour de petites attentions dont personne ne se souviendrait arrivé la pause de midi.
De plus, la jeune femme souriait en permanence, peu importe ce que les gens lui disaient. Même quand c'était lui qui lui criait dessus. Cela le déstabilisait grandement, car il ne savait pas si c'était son caractère qui la poussait à sourire, ou si elle se forçait, potentiellement pour l'agacer lui.
Correction à faire. C'était sûrement l'attitude de la jeune femme dans son ensemble qui le mettait hors de lui et testait sa patience.
Alors quand la jeune femme venait jusqu'à son bureau pour lui proposer de l'aider avec certains dossiers à comptabiliser, il la rejetait sans remords en lui indiquant qu'elle avait déjà d'autres choses à faire. Elle s'excusait alors rapidement, avant de retourner à son poste.
Ah.
Exaspéré, Shinsuke se leva de son bureau pour aller se prendre une barre de céréales dans le distributeurs de friandises de la salle de pause, et son regard capta la discrète présence de l'autre côté de la pièce du jeune Directeur Utagawa.
'Qu'est-ce que ce type fait là ?' Se demanda mentalement Shinsuke.
Il ne se souvenait pas d'un rendez-vous à honorer avec le jeune homme, ni d'un sujet important à aborder avec lui, alors qu'est-ce qu'il fichait à leur étage, adossé contre un mur et à ne rien faire ?
Intrigué, Shinsuke comprit qu'il regardait quelque chose et suivant le regard du Directeur, fronça les sourcils.
'Ce type observe Shinohara en douce ?' Pensa-t-il avec animosité.
Il ne savait pas exactement ce que ce gars voulait, mais ce n'était pas comme si ça le regardait, car encore une fois, Shinsuke préférait ne pas se mêler des affaires des autres.
Le regard de l'homme plus âgée balaya la pièce, et il aperçut avec curiosité Hosoda Chiho, l'ancienne interne à présent employée permanente, fusiller du regard Hana.
Visiblement, il n'était pas le seul à détester la jeune femme, et se demandait ce qu'elle avait bien pu faire pour provoquer la fureur de Chiho, qui avait pourtant l'air d'être une personne calme et posée.
Restant debout, il se mit à mâcher sa barre de céréales, quand Saizo le rejoint en salle de pause avec un air inquiet.
« Shinsuke... »
« Mh... Quoi ? » Demanda-t-il tout en continuant de mâcher son en-cas.
« Tu n'étais pas à ton poste alors j'ai pris l'appel et… Comment dire... »
« Craches le morceau, Saizo. » Le brusqua Shinsuke.
Son ami sembla hésiter, ne sachant pas par quel bout lui annoncer la nouvelle ; mais face au regard insistant de Shinsuke et à son air de plus en plus maussade, il finit par lui révéler la nature de l'appel.
« Cette fois, c'est toi qui est convoqué par le Service Juridique... »