Assis en face de l'employé du Service Juridique, et avec la porte de la salle de réunion aux parois en verre derrière lui, le Chef Kobayashi s'était presque mis à crier.
« C'est complètement ridicule ! » S'exclama Shinsuke, offusqué. « Me dites pas que vous croyez ces conneries ! »
Il avait croisé les bras et s'était penché en arrière dans sa chaise, prêt à partir au moindre inconvénient, bien que Serizawa resta calme face à son tempérament colérique.
« Comprenez que nous avons pour devoir de prendre en compte tout nouvel élément, même si ce dernier s'avère être faux, » dit l'employé du Service Juridique.
« Donc vous croyez un menteur comme Kubo Touma ?! » S'indigna Shinsuke.
« Je n'ai pas dit ça. J'ai dit que même en cas de doute- »
« Donc vous doutez de moi, c'est ça ? » Le coupa Shinsuke. « Ça fait quoi ? Trois ans que je suis en poste ici, et vous me faites ça ? »
« Votre ancienneté n'a rien à voir là-dedans, » argumenta Serizawa.
« Dans ce cas, c'est quoi le problème ? » Renchérit l'homme plus âgé.
Serizawa resta momentanément silencieux, observant le Chef Kobayashi et attendant qu'il reprenne un peu son calme. Pour tenter de l'apaiser, il poussa une tasse de café vers lui, mais l'homme pour lequel elle était destinée l'ignora complètement ; préférant fusiller du regard la personne qui lui faisait face.
Voyant qu'il n'arriverait à rien face à l'attitude têtue de l'homme aux cheveux mal coiffés, Serizawa prit alors une feuille de papier jusqu'alors posée à côté de lui, et la tendit ) Shinsuke.
« À vrai dire, même avec l'accusation que Kubo Touma porte contre vous, je ne vous aurais pas fait venir ici. Cependant... »
Shinsuke s'empara du document, qui était la version imprimée d'un email reçu directement sur la boîte de mail du Service Juridique, de la part d'un expéditeur ayant utilisé une adresse jetable.
« C'est quoi ça ? » Demanda Shinsuke en fronçant les sourcils.
Il n'aimait pas du tout ce qu'il voyait, et il comprenait à présent que la situation était probablement plus grave que ce qu'il avait pensé.
« Nous avons reçu cet email dans la nuit, et comme vous pouvez le voir, le document attaché en pièce jointe est une copie d'une note interne de chez Pyramid Insurance, » dit Serizawa.
Pyramid… Shinsuke n'avait plus entendu ce nom depuis cinq ans. Ou plus exactement, il avait fait la sourde oreille à chaque fois que le mot était prononcé à la télévision. Il ne voulait plus rien avoir à faire avec cette entreprise, et le fait qu'un document daté de cette époque trouble de sa vie refasse surface maintenant ne l'arrangeait pas.
« Ce document atteste que vous alliez être renvoyé pour faute grave, mais dans le CV que vous nous avez remis lors de votre entretien d'embauche il y a trois ans, il s'avère que vous avez démissionné avant que cette décision ne soit mise en application. »
« Et alors ? C'est un document confidentiel que vous avez entre les mains, là. » Répliqua Shinsuke. « Les choses ont été réglées en interne avec l'entreprise, donc je vois pas pourquoi ça poserait problème aujourd'hui. »
« Comprenez que cela nous rend tout de même curieux, et inquiets. » Reprit Serizawa.
« Parce que vous préférez faire confiance à quelqu'un qui vous envoie anonymement un document confidentiel ? » Se moqua Shinsuke.
Serizawa resta un instant silencieux, et voyant que le Chef Kobayashi en face de lui s'impatientait de plus en plus, il se décida enfin à lui exposer ce qui s'était passé ce matin.
« L'ordre vient de mon responsable, car il a également vu le document en question, » lui expliqua-t-il. « J'ai donc été chargé de vous donner un avertissement, par pure courtoisie. »
« Un avertissement ? » Répéta lentement Shinsuke.
Il avait du mal à croire ce qu'il entendait. On lui collait un avertissement, comme ça, sans prévenir ?
C'en était risible.
« Mon responsable veut que vous sachiez que nous surveillerons vos faits et gestes, et qu'au moindre problème, vous serez de nouveau appelé par nos services. »
Donc en gros, ça voulait dire qu'il devait se tenir à carreau, sinon le moindre écart de conduite pouvait le soumettre à une procédure de licenciement ? Tout cela à cause d'une information ni vérifiée, ni confirmée ?
C'était totalement grotesque, et il avait l'impression de retomber dans ce cauchemar survenu il y a cinq ans.
« Donc, si je cause un problème, vous vous débarrasserez de moi ? » Demanda-t-il avec les dents serrées.
« Je n'ai pas dit ça, Kobayashi-san. » Se défendit Serizawa. « Cependant, chaque nouvel événement nous poussera à être plus rigoureux en ce qui vous concerne. À commencer par les accusations que Kubo-san porte à votre sujet. »
Exaspéré, Shinsuke grinça des dents et grimaça. Ce type du Service Juridique avait beau dire qu'il ne serait pas renvoyé, Shinsuke n'en croyait pas un mot. Il était clair qu'il était sûrement mis sur une liste d'employés problématiques qu'il faudrait surveiller de près, voire licencier selon la situation.
Ok. Il n'était pas à sa première situation foireuse au sein d'une entreprise, alors il pouvait bien composer avec cela. Il aurait juste à être plus vigilant et à continuer de se préoccuper de lui-même, et seulement lui.
« Bon, qu'est-ce que vous voulez me demander, par rapport aux accusations de cet abruti? » Demanda sèchement Shinsuke.
L'homme assis de l'autre côté de la grande table de réunion pianota alors sur son clavier d'ordinateur portable, et après quelques secondes, releva les yeux vers Shinsuke.
« Selon la nouvelle version des faits de Kubo-san, vous lui auriez ordonné de droguer Shinohara-san pour lui 'donner une leçon', » lut Serizawa.
« Pardon ? » S'offusqua Shinsuke. « Il a dit quoi ? »
« Kubo-san prétends que vous détestiez Shinohara-san, et ce depuis son arrivée dans l'entreprise, » Reprit Serizawa. « Vous auriez voulu vous venger, et c'est donc pour cela que vous lui avez demandé de glisser une drogue dans le verre de cette jeune femme. »
« Vous vous fichez de moi ? » S'emporta Shinsuke en tapant du poing sur la table.
Cependant, même si le choc fut violent, l'employé en face de lui ne broncha pas et garda son calme.
« C'est très sérieux, car une accusation de la sorte nous oblige à contacter la police, » dit Serizawa.
Serrant le poing, Shinsuke fronça les sourcils.
Il ne savait pas comment il avait su, mais Kubo Touma s'était montré bien plus perspicace que ce qu'il aurait pu penser.
« Ok, je n'apprécie pas particulièrement l'interne, mais je ne suis pas rancunier au point de vouloir faire du mal aux gens, » le contredit Shinsuke.
'Du moins, pas physiquement', ajouta-t-il mentalement pour lui-même.
« Et c'est toujours le cas ? » Demanda Serizawa.
« Je l'apprécie pas, c'est tout. » Répondit Shinsuke. « Elle m'insupporte, et j'aime pas la voir. Mais ça s'arrête là. »
« Donc vous niez ce que Kubo-san prétends à votre sujet ? »
« Ouais. » Répondit succinctement Shinsuke tout en croisant les bras.
« Pourtant, vous semblez assez colérique selon les employés qui travaillent dans votre Département. » Observa l'homme plus jeune.
« Et alors ? S'ils ne font pas bien leur travail, il faut que je leur dise. Sinon on arrive à rien et les ventes comme le traitement des dossiers n'avance pas. » Argumenta Shinsuke.
« Selon Kubo-san, vous semblez pourtant tout particulièrement détester Shinohara-san, ce qui vous aurait poussé à menacer en retour Kubo-san pour qu'il lui fasse du mal. »
« J'ai menacé personne, » grogna Shinsuke, à bout de nerfs. « Et je n'aurais jamais fait de mal à l'interne ! »
« Pourquoi ça ? » L'interrogea Serizawa.
« Parce que je me fiche totalement de ce qui peut lui arriver, ok !? » S'emporta Shinsuke en haussant le ton. « Elle m'insupporte tellement que je m'en fout d'elle, ok ? »
Serizawa resta un instant silencieux, manipulant nerveusement son le stylo qu'il avait pris dans ses mains s'en sans rendre compte. Il lançait aussi quelques regards furtifs au-delà de Shinsuke, derrière lui ; ce que son interlocuteur ne remarqua pas sur le moment.
« Je vois... » Finit par dire Serizawa, d'une voix étouffée. « Dans ce cas, je n'ai plus qu'à confirmer la version des deux autres personnes impliquées... »
Il se leva, signe que l'entretien était terminé, et Shinsuke en fit de même.
« Je peux retourner à mon étage ? » Demanda-t-il d'une voix sèche.
« Oui... » Répondit à nouveau à demi-voix l'homme en face de lui.
Shinsuke se tourna alors pour partir, avant de s'arrêter net ; les yeux momentanément écarquillés, et les sourcils relevés.
À l'extérieur de la salle de réunion, à travers les parois en verre, il pouvait voir Utagawa Takao et Shinohara Hana le fixer sans faire le moindre mouvement. Puis, reprenant rapidement son calme et son expression renfrognée, Shinsuke sortit de la pièce en lançant un regard de travers à la jeune femme.
Cette dernière le salua en hochant de la tête, et il continua son chemin sans se retourner, jusqu'à atteindre les ascenseurs situés au bout du couloir.
Il attendit que l'ascenseur arrive, et une fois entré à l'intérieur, il s'appuya contre le mur du fond en mettant ses deux mains dans ses poches de pantalon.
Elle l'avait forcément entendu, non ?
Il grinça des dents, et se pinça l'arrête du nez en sentant un mal de crâne poindre.
S'il avait su qu'elle était derrière lui, il aurait été moins violent avec ses propos.
Maintenant, qui savait ce qu'elle allait bien pouvoir raconter au Service Juridique ?
Si elle voulait se venger de lui, c'était l'occasion rêvée.
L'ascenseur continua de descendre silencieusement pendant plusieurs secondes, Shinsuke en étant le seul occupant, et il ne put s'empêcher de repenser au visage de la jeune femme quand il l'avait croisée pour partir.
Elle ne semblait pas choquée, ni triste. Elle s'était montrée impassible, et sans le regard perçant du Directeur Utagawa, il aurait certainement cru qu'elle n'avait rien entendu.
Cependant, si elle avait bien entendu tout ce qu'il avait dit, pourquoi elle gardait ce visage inexpressif ?
Shinsuke aurait préféré à cela qu'elle pleure, ou encore qu'elle lui sourisse de façon aussi insupportable que toutes les autres fois où leurs regards s'étaient croisés.
Mais là… Un visage terne, ça ne lui allait pas, et ça chamboulait d'autant plus Shinsuke.
Il avait été brusquement honnête, comme à son habitude. Mais contrairement au sentiment de satisfaction qu'il éprouvait à chaque fois qu'il disait des horreurs, il sentait à présent une boule se former au niveau de son estomac, juste en dessous de son cœur. C'était un sentiment aussi désagréable qu'une indigestion.