Chereads / J'ai prétendu être la Mort, mais elle m'a tenu tête. / Chapter 34 - Je ferai de lui mon allié.

Chapter 34 - Je ferai de lui mon allié.

Les assiettes où seule de la sauce et quelques feuilles de salade restaient furent rapidement débarrassées et remplacées par un nouveau plat composé de saumon et autres fruits de mer, et le vin rouge fut remplacé par un vin blanc. Le serveur déboucha la bouteille et servit avec des gestes graciles l'alcool doré et transparent dans deux nouveaux verres à pied. Entre-temps, la musique avait changé d'une mélodie pour violons à un air délicat et léger de piano, et certaines tables s'étaient vidées ; preuve qu'à l'approche de la fin de l'heure du déjeuner, des clients avaient dû retourner travailler ou aller vaquer à leurs occupations ou impératifs.

Pourtant, bien que l'un était Président à temps plein d'une grande compagnie, et que l'autre était une héritière ayant déjà un poste à responsabilité dans l'entreprise de son père, Utagawa Takao et Yamada Kiyo avaient tout leur temps devant eux. Leur position, bien que chronophage, leur permettait de se permettre ce genre d'écarts sans aucun scrupules et sans devoir rendre de comptes à personne.

Cependant, le sujet qu'ils étaient en train d'aborder – malgré l'absence d'Utagawa Takao – pouvait s'apparenter à une négociation commerciale. Une sorte d'entretien pour une future transaction entre deux familles de conglomérats, en somme.

« Mon père insiste pour que nous prévoyions un mariage avant la fin de l'année, » annonça Kiyo. « Mais j'ai bien peur que ce soit compliqué à réaliser. »

Tetsu but une gorgée de vin blanc et se racla la gorge.

« Je suis sûr que mon neveu finira par accepter, » la rassura-t-il. « Après tout, je me suis occupé de lui depuis plusieurs années comme s'il était mon propre fils. Donc il est reconnaissant envers moi. »

« J'aimerais surtout que nous soyions déjà fiancés afin de nous connaître un peu mieux l'un l'autre, » dit-elle avec un ton empreint de regrets. « J'ai vraiment peur d'avoir la bague passée au doigt par un parfait inconnu... »

Tetsu commença à planter sa fourchette dans un monticule de pâtes et de pétoncles, et tout en soulevant sa pêche au-dessus de son assiette, il répondit :

« Je trouverai des occasions de vous faire passer du temps ensemble, Yamada-san. »

Il porta à sa bouche la fourchette pleine et mastiqua d'un air satisfait la portion plus que suffisante pour sa personne, tandis que Kiyo commença à enrouler autour de sa fourchette les spaghettis de son propre plat.

« Mon père pense faire de moi la nouvelle Présidente de Pyramid d'ici quelques mois, » dit-elle sans vraiment se montrer intéressée. « Il aimerait prendre sa retraite plus tôt que prévu. »

« C'est vrai que les dernières années ont été très dures pour lui, » concéda Tetsu. « J'ai beau être son ami, il ne me dit pas forcément qu'il va mal. Mais je sens qu'il est loin d'aller bien, surtout en ce moment. »

Kiyo haussa lentement ses épaules, montrant ainsi qu'elle n'était pas vraiment intéressée par le sujet ; mais Tetsu n'était pas du genre à se laisser intimider ni dérailler de sa propre conversation.

« Vous devez vraiment faire attention à vous, Yamada-san, » dit-il avec une pointe d'inquiétude dans la voix. « S'il devait vous arriver quelque chose, je ne sais pas ce qui pourrait advenir de votre père... »

Kiyo sourit amèrement, et posa sa fourchette bien à plat sur la table sans pour autant retirer entièrement sa main du couvert.

« Je compte bien m'assurer de cela, » dit-elle simplement avant de sourire. « Après tout, j'ai l'intention de diriger Pyramid pendant de longues, très longues années. »

Ravi de voir la jeune femme aussi confiante en elle-même, Tetsu leva son verre pour trinquer.

« À notre long, très long futur partenariat, » dit-il avec un sourire satisfait.

Kiyo leva à son tour son verre pour lui rendre sa salutation, et sourit légèrement, satisfaite de voir qu'ils s'accordaient tous les deux sur la suite des évènements. Elle avait déjà pu obtenir un poste de direction dans l'entreprise de son père, et si les choses se passaient bien, elle aurait bientôt la mainmise sur Marline.

Le seul obstacle à son plan étant que le jeune homme était récalcitrant, elle devrait sûrement user de ses charmes pour le convaincre de l'épouser. Mais elle n'était pas inquiète. Si ses charmes restaient inefficaces, elle était prête à parier que son oncle, en vieux renard rusé, parviendrait à lui forcer la main.

Après tout, la fusion des deux entreprises était une offre bien trop alléchante pour qu'elle soit laissée de côté ; autant pour le vieil homme que pour elle-même.

Toutefois, elle se devait de rester vigilante. Qui disait fusion, disait audit interne. Et selon le résultat de cet audit, tout pouvait changer. Tout, sauf le futur qui attendait 'cette personne' : Kiyo avait déjà prévu les choses suffisamment à l'avance pour pouvoir parer à toute éventualité.

Elle n'avait plus qu'à s'assurer que 'cette personne' ne puisse absolument rien tenter contre elle ; et entre-temps, elle pourrait s'amuser autant qu'elle le voudrait, jusqu'au moment où elle révélerait ses cartes jusqu'alors dissimulées.

Reposant son verre de vin blanc sans même en avoir bu une seule gorgée, et observa le Président de Marline manger allègrement son risotto aux fruits de mer. Il mâchait de grosses portions sans prendre le temps de savourer le goût des ingrédients, et vidait son verre d'une traite avant de se resservir. Même sa façon de se tenir à table était loin d'être élégante, tant il se penchait en avant et tenait mal ses couverts.

Kiyo se retint toutefois de tout commentaire, et s'abstint de laisser son dégoût s'exprimer sur son visage.

Pour l'instant, elle devait faire bonne figure envers l'homme qui allait devenir sa future famille, ainsi que ses proches ; quitte à endurer ce comportement digne d'un type ayant émergé des classes moyennes.

Les gens faisant partie de ces 'nouveaux riches' manquaient toujours de manières, mais possédaient énormément d'argent, à défaut d'avoir des antécédents familiaux dignes et respectables. C'était le seul élément qui leur permettait de se hisser au niveau des autres familles aisées.

Cependant, Kiyo devait admettre qu'Utagawa Tetsu avait fait fortune en moins d'une vingtaine d'années, et profitait de son vivant de sa richesse nouvellement acquise, pendant que d'autres familles devaient attendre une à deux générations avant de pouvoir pleinement jouir de leur fortune.

Le vieil homme avait le talent et l'ambition nécessaire pour se faire une place de choix dans l'industrie du service, et était suffisamment dur à cuir pour ne pas se laisser impressionner par autrui. Il était donc préférable d'être de son côté, plutôt que de s'opposer à lui ; car même s'il avait moins d'influence que d'autres groupes et conglomérats, il compensait par une abominable ténacité qui pouvait décourager bien des personnes.

Aussi, Kiyo en était persuadée : faire d'Utagawa Tetsu son allié était la priorité absolue.