Après avoir ordonné au Chef Kobayashi d'envoyer Hana sur le terrain, Takao avait passé sa matinée à en savoir un peu plus sur le témoin, sans pour autant réussir.
Au départ, il avait essayé de convaincre Serizawa de lui dire de qui il s'agissait, puis, voyant qu'il n'obtiendrait aucune information sur la personne en question, avait alors au moins demandé à savoir ce qui avait été dit. Sur ce point-là, l'employé du Service Juridique avait accepté de le renseigner.
Le témoin avait confirmé avoir vu mademoiselle Shinohara en train de frapper violemment monsieur Kubo, mais n'en avait pas dit plus. Ils attendaient toutefois sa version écrite et détaillée pour en savoir plus.
Ce qui pouvait signifier que cette personne n'avait vu qu'une partie des événements, et donc ne savait pas les réelles intentions de Kubo. Mais Takao ne pouvait pas non plus écarter le scénario le moins favorable : que le témoin savait parfaitement ce qui s'était passé, et avait tout de même décidé d'être du côté de Kubo.
Sachant que cet homme comptait jouer la victime, il était clair que ce témoignage était en sa faveur. Takao ne pouvait donc qu'espérer qu'il s'agisse du premier cas, et non de la seconde possibilité.
Si la personne qui avait accepté de témoigner n'était pas au courant de tous les faits, Takao aurait peut-être une chance de la rallier à leur côté.
Toutefois, ce n'était encore que des spéculations, et même si Takao s'était donné comme mission de trouver de quoi punir Kubo Touma une bonne fois pour toutes, il manquait à la fois d'informations et de temps.
Même si Hana n'était pas au bureau toute la journée du Samedi, elle serait probablement convoquée dès Lundi, sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit. Il était donc important qu'il arrive à trouver qui était ce témoin, sans l'aide de Serizawa.
Cependant, il avait déjà une piste qu'il pouvait explorer : si cette personne avait vu Hana frapper Kubo, alors c'est qu'elle était présente sur place hier soir. Et si cette personne était présente, il était possible qu'elle ait été capturée par des caméras de surveillance.
Il s'était donc rendu à nouveau dans le restaurant où ils avaient passé la soirée d'entreprise, et avait demandé à parler au propriétaire. Ce dernier, au départ réticent, l'avait autorisé à regarder les images de vidéo surveillance, en compagnie d'un employé pour s'assurer qu'il ne détruise rien.
Accompagné d'un homme d'âge moyen, Takao avait pu rentrer dans la pièce réservée à l'équipement de sécurité, afin de consulter les enregistrements vidéos de la veille.
« On a pas beaucoup de caméras, étant donné que c'est surtout pour la compagnie d'assurance, en cas de vol ou d'accident, » expliqua l'employé du restaurant. « Mais ça, vous devez savoir comment ça marche, pas vrai ? »
« Et vous avez des caméras où, exactement ? »
« Hum, sur les entrées client et employés, la cour arrière, et l'accueil, » répondit l'homme qui faisait appel à sa mémoire.
Il avait alors observé avec attention chacune des séquences vidéo, et à son plus grand soulagement, vit qu'aucune caméra n'était braquée directement vers la rue passant devant le restaurant.
En revanche, on pouvait clairement voir deux personnes passer sur la vidéo prise à l'intérieur de l'établissement et surplombant l'accueil :Hana, inconsciente, et Touma l'amenant vers l'extérieur ; alors même que leurs collègues étaient sûrement en train de continuer de boire et de se prendre en photo, ou de faire une sieste avachis sur les tables.
La jeune femme n'avait fort heureusement pas été filmée en train de frapper son collègue – ce qui éliminait toute preuve pouvant montrer que la réponse de la jeune femme avait été disproportionnée - tandis que ce dernier apparaissait sans erreur possible comme ayant donné à boire à la jeune femme. On pouvait clairement le voir aller chercher deux verres au bar, avant de retourner vers les salles louées par Marline au fond du restaurant.
Toutefois, le manque de caméra à l'extérieur comme à l'intérieur impliquait aussi que si Touma persistait dans sa plainte que la jeune femme l'avait frappé sans raison et qu'il était lui-même une victime, seuls des témoignages visuels pourraient le contredire. On ne le voyait pas directement donner de verre à Hana, ni l'altercation qui avait eu lieu entre lui et Takao à l'extérieur.
C'était la parole de ce type contre la sienne et celle d'Hana, qui ne se souviendrait sûrement de rien, à en juger par ce que lui avait dit Nana.
En vérité, c'était plutôt sa parole à lui, contre celle de Touma et de son témoin surprise.
Takao espérait donc que d'autres personnes, si possible identifiables par ses soins, avaient pu assister à la scène afin de corroborer sa version des faits.
Avec attention, il concentra alors ses efforts sur la caméra surplombant directement la porte d'entrée du restaurant.
« Vous pouvez me montrer toute la séquence d'hier soir en accéléré ? » Demanda-t-il à l'employé.
Celui-ci s'exécuta, et après avoir sélectionné le fichier correspondant, le mit en vitesse de lecture X2.
Takao pouvait ,en accéléré, voir plusieurs dizaines de personnes différentes entrer et sortir, se voyant même arriver accompagné de ses deux subordonnés. Les secondes défilèrent, puis les minutes.
Il vit alors Hana et Touma apparaître brièvement avant de disparaître, puis lui-même.
« Stop ! » Dit-il soudainement. « Vous pouvez revenir en arrière de quelques secondes ? »
L'employé rembobina alors la séquence, les gens se mettant à marcher à reculons, jusqu'à ce que Hana et Touma réapparaissent enfin à l'écran.
« Là ! » l'arrêta Takao en appuyant malgré lui sur la barre espace pour arrêter la vidéo lui-même. « Vous pouvez remettre en lecture normale à partir de ce moment ? »
L'homme acquiesça d'un hochement de tête, et après avoir remis la vitesse de lecture normale, fit à nouveau jouer la vidéo.
Hana et Touma disparurent à nouveau, s'éloignant lentement vers la rue, et quelques personnes continuèrent d'entrer et de sortir du restaurant ; certaines d'entre elles restant sur le pas de la porte.
Puis, Takao remarqua une légère agitation. Les personnes agglutinées pile sous la caméra s'étaient soudainement toutes tournées vers la rue, ce qui voulait dire qu'hors champ, Hana venait de frapper Touma.
Regardant la foule qui avait fait un brusque mouvement vers la rue, Takao repéra enfin ce qu'il cherchait, et demanda à l'employé du restaurant de remettre la vidéo sur pause.
Il ne pouvait pas apercevoir les visages de personnes sur la droite de l'image, situées pile dans l'angle mort de la caméra, mais il pouvait tout de même voir leurs vêtements. Et un homme attira particulièrement son attention.
Toutefois, même s'il avait reconnu les vêtements en question - et plus précisément la cravate marron foncé dont l'extrémité avait été remontée et rangée dans la poche avant d'une chemise- il ne se souvenait plus qui était habillé de la sorte hier soir. De plus, la caméra au niveau de l'accueil n'avait pas capturé cette personne qui était passée hors champ.
Toutefois, même s'il n'y avait pas vraiment prêté attention à ses collègues et subordonnés, trop occupé à chercher du regard la jeune femme, il était prêt à parier que c'était bien un employé de Marline qu'il avait croisé la veille. Mais qui pouvait donc bien être habillé de la sorte ?
La cravate marron foncé, la chemise à manches longues, et le pantalon noir. La montre au poignet gauche…
Ah, Takao était frustré. Il était sûr qu'il avait croisé cette personne, mais sans la veste et uniquement en chemise, il avait tout d'un coup du mal à savoir de qui il pouvait s'agir. Pour lui, tous les employés masculins de Marline avaient une façon similaire de s'habiller : costume unicolore ou bicolore, et cravate assortie. Comment pouvait-il reconnaître quelqu'un rien qu'avec sa cravate et sa chemise ? Ce n'était pas comme s'il pouvait demander à tout le monde quelle tenue ils avaient porté la veille.
Non, un instant…
Il venait de se souvenir de quelque chose, là.
« Excusez-moi, mais vous pouvez me faire une copie des bandes intérieures et extérieures ? » Demanda-t-il à l'employé.
« Sûr, ça va me prendre un petit quart d'heure, mais je peux vous faire ça, » répondit aimablement l'homme.
Se saisissant de son téléphone portable, Takao consulta la liste de contacts nouvellement enregistrés, et composa rapidement un numéro.
Il n'avait pas besoin de demander aux gens s'ils se souvenaient de qui portait quelle tenue.
La veille, il n'était pas resté si longtemps à l'intérieur, et n'avait pas fait attention à ce qui se passait tout autour dans le restaurant. Cependant, les enregistrements vidéo avaient tout changé. Il s'était rappelé avoir vu quelque chose du coin de l'œil : les caméras de sécurité n'avaient pas été les seules à enregistrer quelque chose, ce soir-là.
Ses yeux, plissés, étaient toujours figés sur l'homme que la caméra de vidéosurveillance avait immortalisé à l'entrée du restaurant ; quand la personne à l'autre bout du fil décrocha enfin.
« Tsukasa Heizo à l'appareil, » dit la voix bourrue.