Chapter 15 - La Traque

Nous suivons nos deux capitaines, pour traverser le portail et enfin arriver dans une clairière au milieu de la forêt. Je ne reconnais pas bien l'endroit, mais ce n'est pas très étonnant. La forêt qui entoure ma ville natale est très dense et presque labyrinthique. La chemin que nous empruntons est d'ailleurs assez sportive, mais nous arrivons sans encombre à rejoindre une des routes qui rejoint la ville. Ce n'est qu'après plusieurs dizaines de minutes de marches qu'avec mes amis nous reconnaissons le chemin. Nous l'empruntions parfois pour jouer du côté moulin à eau. Il est tenu par un vieux couple très sympathique et ils nous offraient systématiquement un goûter lorsque nous finissions de jouer. C'est un souvenir très heureux qui remonte au fond de chacun de nous. Mais la nostalgie est soudain interrompue par la voix de Bertyl :

-Vous allez entrer par binôme dans la ville et cela par intervalle de quinze minutes. Il faut que nous ne soyons aucunement liés les uns aux autres. Avec le capitaine Okata, nous allons entrer en premier dans la cité et nous vous tiendrons informé de notre investigation par papier transfert, alors pensez bien à le regarder de temps en temps.

Nous acquiesçons et les deux capitaines s'en vont tandis que nous attendons sur le rebord de la route dans l'herbe.

-Comme ça, vous venez tous les trois de G-Shokunin ? demande Kurara.

-Oui et on connait cette ville comme notre poche, répond fièrement Wistom.

-C'est parfait! Comme ça, on pourra accomplir notre mission sans encombre, continue Kurara.

-Tu sais très bien que ce n'est pas aussi évident, Kurara. Avoir une connaissance du terrain ne signifie pas toujours avoir l'avantage, signale Ylady.

-Ne sois pas pessimiste non plus. On a des nouveaux qui ont un réel potentiel avec nous, souligne Elise en chiffonnant les cheveux d'Hirion qui sourit comme un petit animal.

-Au fait, c'est quoi du papier transfert ? demande Hirion.

-C'est une feuille très spéciale qui lorsqu'on la découpe, reste connectée au reste des autres parties. Ainsi, ce que l'on écrit sur l'un des morceaux apparaît presque immédiatement sur les autres. Cela permet d'envoyer des messages sans s'inquiéter qu'ils soient dérobés durant leur envoie.

-C'est épatant. Mais comment est-ce possible ? interroge Lyra.

-Je crois avoir entendu dire qu'il s'agissait du pouvoir d'un des commandants, répond Kurara.

-Décidément, ces pouvoirs sont plus qu'exceptionnels, je souligne.

-ça, tu peux le dire. Certains sont capable de créer ou de contrôler la matière ou des monstres. A force de voir arriver de nouvelles recrues, je me demande que peut être vraiment la limite des pouvoirs qui peuvent apparaître, rajoute Ylady.

Notre conversation continue jusqu'à ce que tous les groupes s'en aillent vers la ville et qu'il ne reste plus que Susane et moi-même. Nous marchons donc tous les deux jusqu'à l'entrée ouest de la ville où pas mal de charrettes tentent d'entrer pour y vendre leurs produits. C'est actuellement la Dixième Lune, une grande fête dans la plupart des villes car elle est doit porter chance à tous ceux qui l'honorent. Il y a donc beaucoup de gens qui viennent prier ce jour-là et le soir viennent faire la fête sur les places où toutes sortes de spectacles ont lieu alors que des artistes venues des quatre coins de l'empire sont là pour montrer l'étendue de leurs talents.

De notre côté, nous allons vers le grand Bazar. C'est un bâtiment fait d'argile avec en son sein, une magnifique coupole fait de vitraux représentant des dizaines de contes et légendes. C'est la grande merveille de notre ville. On prétend, selon la légende, qu'un magicien l'aurait créé comme lieu de son mariage et qu'il aurait orné ce monument d'un vitrail à l'image de tous ses amis féeriques, Askaïd, Flogg, Nains, Elfes, Cyonn, Leff, Squall, Tird, Warf et même gobelins seraient venus fêter avec lui ce moment béni à jamais. Pour ce qui est de la réalité historique, beaucoup de gens sont en désaccords. Mais une chose est certaine, ce bâtiment était là avant que la cité ne soit créée et elle fut fondée autour de celui-ci, il y a plus de mille ans. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est en plein centre de la ville.

Nous faisons le tour, tandis que Susane garde contre elle le papier transfert au cas où nous obtenions des informations sur notre cible. Finalement, ce n'est qu'après une bonne heure que nous recevons un message:

Héliotrope est un homme d'au moins deux mètres, en armure vert olive et rouge. Il peut être accompagné d'un jeune elfe blond d'une vingtaine d'années aux yeux bleu. Son nom est Cirse. Ne tentez rien si vous les voyez, contentez-vous de les suivre discrètement et prévenez-nous immédiatement. Ils ont été vu pour la dernière fois en direction du Bazar.

Le message est clair et nous allons donc surement être les premiers à les rencontrer. Nous décidons donc de prendre un peu de hauteur afin de ne pas les manquer à cause de la foule. Je propose alors à Susane de s'asseoir à la terrasse d'un café au premier étage. C'est ce que nous faisons. L'endroit est plutôt chic, mais nous arrivons à nous fondre dans le décor comme deux amoureux voulant prendre un petit temps calme autour d'une petite boisson rafraîchissante.

Nous veillons à regarder par-dessus la rambarde tout en discutant tous les deux pour ne pas avoir l'air louche. Finalement, cette mission est plutôt sympathique. Nous discutons et buvons un thé à la menthe,tout à fait délicieux tout en admirant la vue et les passants. On a vu pire comme travail.

-Je vois Héliotrope, me signale Susane en gardant les yeux fixés vers le dehors.

Je me penche alors en m'accoudant au rebord et je le distingue aussi.

-Je vois aussi l'elfe qui est à ses côtés. Pas le moindre doute, ce sont bien eux et ils se dirigent en effet vers le bazar, je lui réponds.

-Paie. De mon côté, je préviens les autres.

J'obéis donc sans broncher, puis nous cavalons dans les escaliers pour ne pas les perdre de vue trop longtemps. Heureusement, celui en armure est loin d'être discret et est visible parmi tous les autres. Nous essayons de les suivre tout en ne nous faisant pas remarquer. J'essaie donc de garder une bonne distance entre eux et nous. Mais ce n'est pas une chose aisée avec le monde qui grouille autour de nous. Il faut parfois bousculer les gens pour avancer et ne pas créer pour autant de scandale. A plusieurs reprises, je pousse quelqu'un en m'excusant jusqu'à ce que l'un d'eux m'interpelle et me tienne la manche.

-Eh ! Tu te crois où, mon gars ?! Cet homme a tenté de me voler ma bourse, garde !

-Quoi ? Mais ça n'a aucun sens, monsieur.

L'homme plonge sa main dans ma poche et en ressort une bourse pleine. Je ne comprends pas du tout ce qui m'arrive.

-Voyez! Il a essayé de me voler!

-Mais pas du tout! Ecoutez, il doit y avoir une méprise, je lui réponds tout en bégayant à cause de la foule qui commence à me lancer des regards inquisiteurs.

Avant que je ne puisse tenter de me défendre, Susane attrape le bras avec lequel l'homme brandit la bourse et le rabaisse avant de lui chuchoter.

-C'est votre meilleur ami.

Comme par enchantement, le regard de l'homme change puis il me sourit pour enfin me taper dans le dos comme un frère et s'exclame :

-Mais je rigole, mon ami. C'était une plaisanterie! Viens me voir un de ses quatre à la maison. Ma femme se fera un plaisir de nous faire un splendide rôtie.

Je ne comprends pas du tout le changement d'attitude et encore moins les paroles de Susane. Mais ne perdant pas une seconde de plus, elle me prend par la main et m'emmène au travers de la foule. Elle se fraie un chemin mais elle ne suit plus Héliotrope et elle décide de prendre plutôt l'allée de gauche. Je la suis sans rien dire jusqu'à ce qu'elle me pousse contre un mur en regardant à gauche et à droite.

-Qu'y a-t-il Susane ? Pourquoi on ne le suit plus et qu'est-ce qui s'est passé avec ce gars, là bas ? Tu le connais ? je lui demande tout déboussolé.

-L'elfe s'est retourné lorsque le voleur t'a pris à parti. J'ai donc décidé de me servir de mon pouvoir pour nous sortir de cette situation à la noix et j'ai préféré qu'on prenne un autre chemin pour éviter qu'ils nous soupçonnent de les suivre. Maintenant que tu sais tout, est-ce qu'on peut rejoindre rapidement l'autre allée en suivant ce chemin?

-Il suffit que l'on tourne à droite juste après le marchand de bijoux juste au coin de la ruelle.

-Parfait, on n'a pas une minute à perdre.

Son caractère a changé du tout au tout. Avant la mission, c'était une fille plutôt réservée et discrète et là, elle est vive comme l'éclair. C'est peut-être l'adrénaline qui la rend comme ça. Pour ma part, je me contente de la suivre et d'essayer de ne plus me faire remarquer. Nous continuons donc à nous faufiler au milieu de ce monde fou et nous nous arrêtons donc quand nous rejoignons l'autre allée pour observer les deux hommes qui sont en train de discuter avec un vieil homme de petite taille.

L'homme ne semble pas vraiment ravi de leur venue et les invite à rentrer à l'intérieur de son échoppe. Ils passent derrière le comptoir et il ferme totalement son magasin en descendant une sorte de store en bois.

-On les tient, s'exclame Susane tout en notant sur son papier, notre position.

Nous restons adossés au mur, le temps qu'ils ressortent. Le temps se fait diablement long avec une autre tension. Susane me fait savoir que les autres arrivent et qu'ils nous demandent d'attendre sans rien tenter. Cela ne me gêne pas. D'autant qu'Héliotrope est très imposant, mais il ne ressemble pas à un simple homme de main comme le laissait présager Kugutsu. Plus je réfléchie à la situation, plus je me dis que cet homme n'est pas celui que l'on recherche vraiment. Certes, c'est bien un membre de la pègre, mais je ne pense pas que c'est lui qui a dénoncé Roy à Kugutsu. J'ignore pourquoi il nous a donné le nom d'un membre de la pègre, mais ce n'est surement pas pour nous rendre service et obtenir de pauvres caramels.

Finalement, c'est après une bonne demi-heure qu'ils ressortent tous les deux, tandis que le vieil homme paniqué prend avec lui dans un énorme sac bon nombre de ses fioles et parchemins, Héliotrope et Cirse se dirigent vers la coupole du bazar. Nous attendons un petit moment avant que Susane ne se précipite sur le vieil homme.

Je n'ai pas le temps de l'arrêter avant qu'elle ne l'atteigne et ne lui sers la main. Je ne sais pas trop quoi dire, ni quoi faire, je reste planté au milieu du chemin et j'essaie de comprendre ce qu'elle fait avec lui. Elle semble discuter tandis qu'il lui répond tranquillement, le visage très paisible. Tout à fait détendu, contrairement à il y a quelques secondes. Cependant, ce qu'il semble dire à Susane la terrifie. Après avoir échangé quelques phrases, elle coure vers moi et me dit tout affolée :

-Il faut prévenir les autres et tout de suite !

-Que se passe-t-il ? je lui demande totalement surpris.

-Héliotrope compte détruire la ville, aujourd'hui même.

-Quoi ?! je hurle.

-Pas le temps de t'expliquer. Il faut qu'on les suive et il faut absolument que les autres nous rejoignent.

Dans la précipitation, elle sort le papier à transfert et manque de le déchirer. Elle note son message et nous repartons à la poursuite d'Héliotrope et de Cirse. Ils sortent finalement du bazar et se dirigent vers le quartier de l'Industrie. Impossible de les suivre plus longtemps sans risquer de se faire repérer. Nous décidons donc de continuer par une rue parallèle en faisant attention qu'ils ne nous voient pas. L'elfe a l'air sur ses gardes, cela fait déjà plusieurs fois qu'il se retourne et que je fais mine de parler avec Susane et de ne pas prêter attention à ce qu'il fait. Finalement, nous nous arrêtons à l'angle d'un bâtiment pour les observer et nous les voyons rentrer dans l'aciérie.

-Mince. Là, il n'y a pas moyen d'y entrer discrètement, s'agace Susane.

-Tu as raison. Mais Okata a dit qu'il arrive d'ici une minute, alors pour l'instant, on l'attend.

Et c'est ce que nous faisons. Après quelques minutes d'attentes, nos deux capitaines arrivent avec le groupe d'Hirion et Elise.

-Les autres ne devraient pas tarder. Mais il faut qu'on rentre rapidement, alors on ne va pas les attendre, dit Okata.

-J'ai remarqué des fenêtres ouvertes sur la face nord du bâtiment, au troisième étage. On pourrait tenter d'entrer par là, je leur dis.

-Bonne idée. Sortez chacun votre arme et suivez-moi.

Aussitôt, bous obéissons, je sors la dague et le pistolet du sac. Tandis que Susane dévisse sa flûte pour exposer sa lame à la lumière.

-Bonne cachette, lui dis-je.

-Merci, me répond-elle en esquissant un sourire.

Mais pas le temps de discuter, nous suivons donc Bertyl jusque sous la fenêtre. Elle observe l'ouverture qui est une fenêtre à bascule à moitié ouverte, pour évaluer les risques jusqu'à ce qu'une araignée sorte de dessous sa jupe. Elle est monstrueuse, facilement un mètre d'envergure. A l'aide de ses mandibules rouges, elle grimpe le long du mur jusqu'à l'ouverture où elle se faufile en laissant glisser un fil derrière elle. Malgré le dégoût certain que j'ai pour ces bestioles, nous nous servons du fil comme d'une corde, les deux capitaines d'abord puis Susane et moi-même.

A l'intérieur, il y a pas mal d'ouvriers qui travaillent le métal. Nous cherchons du coin de l'œil les deux hommes mais nous ne les voyons nulle part. Nous décidons alors de poursuivre notre chemin sur cette grille qui surplombe les hauts fourneaux. Il fait une chaleur insoutenable, tandis que l'araignée retourne auprès de Bertyl et disparaît sous sa jupe. Nous rentrons ensuite dans une salle qui nous fait face et qui semble être un bureau pour l'élaboration de pièces techniques. Nous avançons avec précautions tout en regardant les plans qui s'y trouvent mais rien ne semble être lié à une quelconque organisation criminelle. Mise à part un plan de la ville, plus exactement, un plan des égouts.

-Qu'est-ce qu'ils trament ici ? demande Bertyl.

-Je pense qu'ils se servent de ce lieu comme d'une planque. Un lieu où personne ne penserait à les chercher et pour cause. Qui penserait à fouiller un endroit pareil? répond le capitaine en s'approchant d'une des fenêtres qui donnent sur l'atelier.

-Bingo, s'exclame le capitaine.

-Quoi ? demande Bertyl.

-Ils sont juste en dessous, répond-il.

Nous nous approchons donc nous aussi de la fenêtre et nous voyons de nombreux hommes déplacer d'immenses cuves de métal liquides vers l'autre bout de l'usine.

-Qu'est-ce qu'ils comptent faire avec tout ce métal ? demande Susane.

-Je ne sais pas, mais cela ne me dit rien qui vaille, poursuit Okata.

Nous voyons Héliotrope observer les cuves se déplacer grâce à la force de plusieurs ouvriers, tandis que Cirse prend des notes sur une planche.

-Combien en as tu compté ? demande Bertyl.

-Je dirais vingt-sept, mais c'est possible qu'il y en ait d'autres. Nous n'avons malheureusement de la vision que sur la moitié de cette usine répond Okata.

-Il faut donc agir. A mesure qu'on attend, on risque de leur donner l'opportunité de mener à bien leur plan, s'agace Bertyl.

-Tu as raison. Je descend seul au milieu d'eux et vous attendez ici. Si ça commence à chauffer, rejoignez moi. Mais vous les jeunes, vous n'affrontez pas les deux chefs. Votre priorité, c'est de stopper le déplacement de ces cuves de métal, poursuit Okata.

Il ne nous laisse pas le temps de lui répondre qu'il saute immédiatement au travers de la fenêtre et il tombe entre une des cuves et nos deux cibles. Sa chute fait se fissurer le sol, puis il se relève et fait face aux criminels avec beaucoup de calme.

-Bonjour, tout le monde.

Cette entrée en scène a le don de surprendre tout le monde, à commencer par nous qui ne pensions pas qu'il allait agir aussi vite. Les ouvriers quant à eux, arrêtent leur travail et observent le capitaine tandis que les deux criminels semblent analyser la situation.

-On peut savoir ce que vous faites là ? demande l'elfe.

-Je pourrais vous poser la même question, réponds le capitaine.

-Nous travaillons le métal comme dans tout aciérie...

-Laisse tomber ton charabia, Cirse. Ce gars-là est venu pour nous, dit Héliotrope avec une voix grave qui se répercute dans son armure et au travers de son heaume.

-Ah, dommage. Je pensais que nous aurions pu tenter une approche un peu plus discrète cette-fois-ci, réponds l'elfe déçu.

-Comme avec Roy ?! s'exclame le capitaine.

-En effet, il semble qu'il soit au courant d'un peu trop de chose. Je te laisse t'en charger, poursuit Cirse en laissant son allié avancer.

-Très bien et occupe-toi des autres. Il n'est surement pas venu seul, s'exclame Héliotrope en faisant craquer ses épaules et ses poignées.