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Chapter 10 - Le sort des voleurs

Sulk sursauta et regarda le contremaître. Celui ci n'y fit pas attention, et Sulk hésita un instant avant de protester.

Ce n'était pas à lui de s'occuper d'un nouveau.

Il se ravisa pourtant, et un frisson le parcourut lorsqu'il se souvint des coups qu'il avait reçu quelques jours auparavant et dont les hématomes venaient de disparaître.

Les contremaîtres étaient généralement compréhensifs des mineurs et ne leurs causaient pas trop de problèmes, mais ils avaient tendance à se lâcher dès qu'ils étaient contrariés.

Sulk se tourna pour quitter le parvis devant la plateforme. Il s'arrêta au bout de deux pas.

" Bon, tu me suis ou tu reste planté là ?"

Le nouveau que le contremaître avait appelé 'voleur' s'empressa alors de le suivre.

Il était pourtant plus vieux que Sulk, mais ce dernier n'avait pas daigné lui accorder de respect pour autant.

Les règles de séniorité auraient voulu qu'il se présente officiellement, mais Sulk était trop ennuyé pour s'occuper des traditions. Il devait s'occuper de quelqu'un alors qu'il n'avait rien demandé.

Son entraînement allait devoir être mis de côté pendant un petit moment, il n'était pas assez fort mentalement pour être dans son esprit tout en faisant quelque chose comme montrer la mine au nouveau.

Ramasser la roche était facile. Il avait l'habitude, et sa mémoire musculaire prenait le dessus.

Il se contentait de surveiller ses alentours au cas où un autre mineur ou contremaître lui parlait et il devait alors se concentrer un minimum sur sa réponse.

Mais avec quelqu'un qui allait le suivre pendant des jours et lui poser des questions sur tout ce qu'il voyait, il pouvait dire au revoir à sa petite bulle mentale confortable.

Sulk arriva bientôt à la salle dortoir de sa galerie, Kahn boitillant sur ses talons. Il le regarda quelques secondes. Il nota ses marques tuméfiées et son habit sale et taché de sang bruni.

"Je suis Sulk, j'ai treize ans et je suis mineur depuis 3 ans."

Il inclina légèrement sa tête, en un signe discret de salutations. Le garçon le regarda avec des yeux peinés, comme perdus dans un souvenir douloureux, et lui rendit son salut d'un air gêné.

Il se mit à regarder par terre autour de lui, un peu hésitant.

Il trouva finalement un brin de paille assez solide à son gout et s'accroupit par terre. Il jeta un petit coup d'œil à Sulk et se mit à tracer d'une main maladroite quelques caractères sur le sol.

Il interrogea alors Sulk du regard.

Sulk se pencha et observa les traits tremblotants dans la terre humide.

"Kahn. C'est ton nom ?"

Kahn acquiesa.

"Tu ne parles pas ?" demanda Sulk les sourcils légèrement froncés.

Le nouveau le regarda un court instant, délibérant intérieurement.

Le Kahn habituel ne se serait jamais posé la question et serait resté taciturne et renfermé, mais quelque chose en Sulk l'apaisait et il se dit un instant que peut être pourrait-il lui faire confiance.

Après un rapide coup d'œil autour pour s'assurer qu'ils fut seuls, il pencha la tête en arrière tout en baissant la mâchoire.

Les yeux de Sulk vinrent immédiatement se poser sur l'intérieur de la bouche de Kahn.

Ce qu'il voyait ressemblait à un bout de viande pour lequel se seraient battus des animaux sauvages.

Il y avait comme des lambeaux de chair sanguinolents et reliés entre aux autour d'une plaie béante de laquelle coulait un sang presque noir.

La langue de Kahn était déchirée dans tous les sens.

Tel était le châtiment qui attendait les voleurs qui se faisaient prendre sur le fait.

Sulk comprit alors l'air gêné et la douleur qui accablait le garçon devant lui. Il était horrifié de ce que les gardes de la mine avaient pu lui affliger.

Un élan de pitié et de sympathie l'emplit alors, et il se promit d'être patient avec Kahn et d'essayer de le ménager.

Il se retint ainsi de dire quoi que ce soit lorsqu'il comprit des mouvements de tête de Kahn que ce dernier ne savait pas écrire.

Sulk n'avait aucun moyen de comprendre ce que Kahn pensait.

Sulk commença par lui présenter tout ce qu'il avait à savoir sur la salle dortoir et la salle à manger. Il expliqua comment les mineurs étaient réveillés, à quel endroit ranger son sac de roche, comment l'entretenir, et le plus important, quels contremaîtres éviter.

Pour Kahn, vu ses conditions et comment il s'était retrouvé dans la mine, cela allait être difficile de devenir ami avec les contremaîtres, même ceux qui normalement étaient assez doux avec les jeunes.

Au cours des heures qui défilaient, Sulk présenta à son camarade les différents postes dans la mine:

"Nous les Vasir, nous sommes en bas de l'échelon. Nous creusons ou ramassons tous les jours par toute heure. Sauf si on t'assigne à un boulot particulier. Comme présenter la mine aux nouveaux."

Sulk essaya de garder le ton neutre mais Kahn vit dans son regard la pointe d'agacement que Sulk n'arriva pas à masquer totalement.

"Ensuite il y a les Vanir. Ce sont eux qui connaissent la roche. Si un Vanir t'interdit d'aller dans une galerie, écoute le, il a surement raison et les contremaîtres ne se formaliseront pas souvent. On les reconnait à la cordelette qui entoure leur bras. Dans la mine il doit y en avoir qu'une douzaine donc tu les connaîtra vite."

Soudain Sulk releva la tête, comme frappé d'une idée.

"Mais bien sûr ! Il faut que je t'emmène à Arch ! C'est le Vanir qui connait le mieux la mine. C'est lui qui m'a appris presque tout ce que je sais. Il m'a déjà soigné quand j'étais petit, il aura peut-être une idée pour que tu aille mieux."

Sulk se mit alors à accélérer dans les galeries. Tout en marchant, et s'arrêtant parfois pour demander à un mineur s'il savait dans quelle direction était Arch, Sulk racontait à Kahn comment reconnaître les différentes classes de la hiérarchie minière.

Les habits de paille, les pendentifs et les cordelettes qui indiquaient par leur présence le grade de celui qui les portait, et surtout quels ordres suivre en premier.

Kahn suivait Sulk du mieux qu'il pouvait, boitant toujours. Alors que Sulk lui faisait savoir qu'ils n'étaient plus très loin de la galerie ou devait se trouver Arch d'après le dernier mineur qu'ils avaient croisé, Kahn le retint par le bras.

Il avait dans ses yeux comme une lueur sauvage et jetait des petits regards tout autour de lui tout en secouant la tête. Il n'était pas très confiant et n'était pas sûr de vouloir montrer sa blessure à quelqu'un.

Sulk aurait pu le deviner s'il avait vécu la même vie que Kahn.

Toute sa vie ce dernier avait dû éviter tout ce qui ressemblait à de la confiance envers les autres tierrans. Bien des fois il avait vu des tierrans poussés à leurs retranchements et qui n'avaient d'autres choix que de suivre aveuglément les gens qui proposaient de les aider.

C'est comme cela que certaines de ses connaissances des rues avaient cru trouver un moyen de sortir de leur condition, pour se retrouver encore plus bas, à servir d'esclave.

Kahn avait vu des gens tomber sur certaines de ces soit-disant occasions en or, les yeux remplis d'étincelles. Ces mêmes personnes étaient souvent retrouvées quelques temps plus tard les os brisés dans la boue, avec le regard vide de ceux que la mort avait approché par surprise.

C'était même incompréhensible du point de vue de Kahn qu'il ne fasse confiance à Sulk.

Sulk ne savait rien de cette vie, et ne comprit pas la réaction de Kahn. Mais étant loin d'être bête, il compris rapidement que le nouveau ne voulait pas trop exposer ses faiblesses à tout le monde.

Après un long moment d'efforts de persuasion de la part de Sulk, Kahn finit par céder lorsqu'il comprit qu'il valait mieux tenter de voir le vieux Arch plutôt que de travailler en continu dans la mine avec une jambe mal en point et une bouche infectée par la poussière de roche.

Il avait beau agir seulement par instinct habituellement, il n'était pas pour autant dénoué de sens commun et d'un certain intellect.

Il se dirigea lui même d'un pas décidé vers l'entrée de la salle ou se trouvait Arch.