Sulk avait finalement réussi à s'échapper de son âme et retrouver le contrôle sur son esprit, et plus particulièrement sur ce qu'il faisait de son esprit et où il le projetait.
Alors qu'un sentiment de puissance et d'invincibilité le submergeait après avoir franchi une barrière mentale, il vit sa mère penchée au dessus de son corps inanimé.
Bien que son esprit ait fait des progrès considérables, et soit capables de prouesses qu'aucune autre personne de la mine ne puisse réaliser, son corps était toujours dans un état profondément affaibli.
Du point de vue extérieur il semblait dépérir.
Son corps n'avait presque plus de couleurs, son teint était crayeux.
Son pouls était régulier mais faible, et son crâne était barré d'une croûte sanguinolente de plusieurs centimètres de long.
Si ce n'était pour les battements de son cœur et le mouvement léger de sa cage thoracique, on aurait pu le prendre pour un cadavre.
Sulk connaissait sa condition.
Dès l'instant où il avait pu sortir de sa fumée mentale, il avait renoué le lien qui s'était brisé entre son corps et son esprit.
Toutes ses sensations et ses cinq sens étaient revenus instantanément et il avait pris conscience de son état de fragilité.
Mais cela l'importait peu, il pourrait se remettre sur pieds assez facilement quand il aurait éveillé son corps.
Ce qui le choqua au plus profond de son cœur, d'une douleur pire que la blessure au dessus de son arcade sourcilière lui faisait subir, était la vue d'Arega.
Sa propre mère était encore plus cadavérique que lui.
Elle n'avait visiblement pas dormi durant ces trois derniers jours et avait veillé auprès de son enfant à chaque instant.
Elle n'avait rien avalé et rien bu.
Son visage déjà mince s'était creusé davantage, laissant apparaître ses pommettes et sa mâchoire à travers ses joues émaciées.
Ses yeux étaient vitreux et avaient perdu cette lueur d'espoir qu'ils possédaient lorsque Arch lui avait parlé d'un rétablissement.
Ils étaient entourés de cernes violettes tirant sur le noir qui faisait des poches énormes trahissant son manque de sommeil.
Elle semblait tellement vidée d'énergie qu'elle pouvait tomber à tout instant.
Cette image d'une mère aimante, sa propre mère, qui avait pleuré toutes les larmes de son corps, penché au dessus de son quasi-cadavre resterai à jamais marqué au fer rouge dans l'esprit de Sulk.
Le garçon aurait voulu crier, s'agiter, utiliser tous les moyens possibles pour signaler à sa mère qu'il n'était pas mourant, qu'elle devait prendre soin d'elle.
Hélas il ne pouvait qu'observer la scène, comme un être omniscient ne jouant aucun rôle dans la pièce se déroulant devant lui.
Ce fut avec consternation et une touche de désespoir que Sulk se rendit compte que la seule solution était de reprendre possession de son corps et se réveiller de son coma.
Il se retourna vers la fumée noire de charbon dans son esprit, quand il se remémora ce qu'avait dit son mentor.
En temps normal il ne pouvait pas communiquer avec le visage argenté puisque le flux d'information en provenance de son corps était trop important pour son esprit.
Alors qu'il allait abandonner l'idée de lui demander conseil, Sulk retira son esprit du monde extérieur.
L'unique raison pour laquelle il avait réussi à sortir sa conscience à l'extérieur était parce que son lien avec son corps était brisé après tout.
Sa forme mentale s'assit en tailleur pour réfléchir quand une voix sortit du nuage noir d'orage emprisonné devant lui.
"C'est une capacité puissante que celle que tu as débloqué aujourd'hui. Tu peux observer ton entourage rien que par la présence de ton esprit. Il semblerait que ce ne soit possible que lorsque ton corps est déconnecté. Mais ce n'est pas une si mauvaise chose. C'est très dangereux de sortir ton esprit comme cela.
- Vous êtes la ? Mais comment c'est possible ? J'ai libéré mon esprit et nous sommes en plein jour, comment pouvez vous parler ?
- Ton corps n'est plus lié à ton esprit. Lorsque tu n'as pas à le contrôler je peux communiquer."
En effet Sulk avait oublié cet aspect.
"Cependant tu as du te rendre compte que si tu projettes ton esprit je ne peux plus rien faire. Et tu ne peux plus communiquer avec moi non plus."
Sulk comprit.
Lorsque son esprit quittait son corps et qu'il observait le monde extérieur, il n'avait pas accès à son espace mental, et l'homme ne pouvait pas sentir ses pensées.
C'était un stade totalement différent de celui qu'il avait atteint précédemment.
Il avait patiemment appris à coordonner son esprit et son corps en même temps, mais son esprit était resté dans la sécurité de son espace mental.
Il était quand même en quelque sorte dans son corps. Lorsque son esprit sortait il laissait son corps invulnérable.
"Tu ne l'as pas remarqué car tu ne contrôles pas ton corps pour le moment, mais même si tu n'étais pas dans ce coma, tu n'aurai pas pu contrôler ton corps pendant que ton esprit voyageait", l'homme continua.
Son visage fait d'éclairs qui déchiraient le nuage noir n'était pas apparu.
Sulk ne savait pas pourquoi mais ne se posa pas vraiment la question. Il y avait plus important, il devait retrouver le lien avec son corps au plus vite, et venir en aide à sa mère.
Sulk interrogea une fois de plus l'homme qui partageait son esprit mais n'obtint pas de réponse. C'était étrange, mais l'homme était empli de mystères, et comme sa mémoire n'était pas stable, il ne devait pas avoir d'idées.
Une heure plus tard, Sulk se décourageait de plus en plus.
Il avait apprécié chaque instant qu'il avait passé dans son espace mental durant toute cette dernière année, mais maintenant cela l'énervait au plus haut point. Il voulait absolument sortir.
Il devait absolument sortir !
C'est alors que retentit comme un éclair dans son espace mental.
Sulk sentit comme une déchirure de son esprit, c'était comme s'il avait été frappé par la foudre mais que la foudre venait de lui même.
Il n'avait pourtant jamais vu d'orage de sa vie, mais il sut ce que c'était.
Un grondement accompagnait l'éclair qui l'avait laissé comme paralysé. Cela ne dura pas plus qu'une fraction de seconde mais paru durer des siècles à Sulk.
Puis le grondement se tut et... plus rien.
"Foudre Éternelle du temple de Silam ! "
C'était Sulk qui avait prononcé ces paroles.
"Oui. Ce que tu viens de subir ne devait pas être très plaisant, mais c'est tout ce que je pouvais faire pour partager ma connaissance. La magie de la Foudre Éternelle a permis pendant des millénaires de séparer à sa guise son esprit. C'est un outil très puissant, mais aussi très difficile à exécuter. J'ai du dépenser beaucoup d'énergie pour ça. Je sais que cela permet encore bien des choses, mais pour l'instant mon esprit est toujours limité.
- Le temple de Silam... Qu'est ce que c'est ?
- Là où j'ai grandi et vécu. Je me rappelle à présent."
Le nuage d'éclairs était à présent très faible et vacillait entre visage et amas de fumée banal.
La sphère invisible qui contenait la fumée semblait plus petite que précédemment, et la fumée plus dissipée.
Sulk avait depuis longtemps intuité que le volume du nuage, ou dans son cas de la volute, avait un lien avec la force mentale. Et l'homme paraissait faible.
"Je m'appelle... Yahzin !"