Le ciel était une mer de braises, teinté d'un rouge profond, comme si le firmament lui-même saignait.
Au loin, des cris. Des hurlements d'agonie. Le fracas du métal contre la pierre.
Les ombres des combattants dansaient sur les murs fissurés, projetées par les flammes qui avalaient la cité. L'odeur du sang et de la cendre se mêlait à celle des cadavres calcinés, formant un air lourd, suffocant.
Les tours majestueuses qui veillaient autrefois sur la capitale s'effondraient les unes après les autres, ne laissant derrière elles que des vestiges brisés, témoins d'une gloire révolue.
Dans ce chaos, des silhouettes fuyaient, d'autres combattaient encore, mais tous portaient dans leurs yeux la même terreur. Ce n'était plus une guerre.
C'était un massacre.
Le crépuscule des mages.
Sur une tour éventrée, Eldric observait le carnage.
Son regard glissa sur les ruines, balayant les vestiges d'un monde qui s'éteignait sous ses yeux. Il avait vu des champs de bataille. Il avait vu des royaumes tomber. Mais jamais… jamais il n'avait assisté à une fin aussi brutale.
Partout, les mages tombaient. Certains abattus par l'acier, d'autres criblés de flèches, mais les plus nombreux… s'effondraient simplement.
Comme si leur force les abandonnait. Comme si leur essence même s'effaçait du monde.
Un frisson glacial parcourut son dos.
Une anomalie.
Il leva la main, appelant sa magie.
Le mana afflua, vibrant sous sa peau, un fleuve d'énergie brûlante prêt à être déchaîné.
Il incanta un sort. Un dernier, un puissant.
Mais rien ne vint.
Le vide.
Un souffle invisible balaya le champ de bataille, un murmure silencieux qui brisa l'ordre du monde.
Les sorts en plein vol implosèrent.
Les barrières magiques se fissurèrent et tombèrent en miettes.
Les artefacts enchantés, si puissants, s'éteignirent comme de simples chandelles soufflées par le vent.
Un mur de silence.
Une onde sourde qui broyait tout.
Il essaya encore. En vain.
Sa magie ne répondait plus.
Autour de lui, les cris de panique se multiplièrent.
— « Ma magie… elle a disparu ! »
Un cri parmi tant d'autres. Un écho de désespoir qui se répercutait sur les pavés brisés.
Eldric fit volte-face.
Qui ? Qui avait fait cela ?
Il cherchait du regard un ennemi, un artefact, une explication. Mais il n'y avait que le vide.
Puis une douleur fulgurante.
Un choc.
Son souffle se coupa. Il baissa lentement les yeux.
Une lame avait transpercé son dos. Une pointe d'acier maculée de son propre sang ressortait de son ventre.
Sa vision vacilla, il tourna la tête.
Un homme se tenait là, un visage familier.
Un ancien camarade. Un mage.
— « C'était la seule solution. »
Ses jambes cédèrent sous lui.
Il tomba à genoux, ses mains tremblantes cherchant un appui qui n'existait plus.
Autour de lui, ses frères d'armes tombaient à leur tour, leurs regards vides, leurs bouches ouvertes sur des prières muettes.
La magie était morte.
Son regard se leva une dernière fois vers le ciel.
Il n'y avait plus d'éclairs. Plus d'incantations brûlantes. Plus rien.
Juste le silence.
Un dernier soupir, un dernier murmure.
— « Si vous tuez la magie… que restera-t-il de ce monde ? »
Puis la chute.
L'obscurité.
Un vide absolu. Un néant si profond qu'il semblait s'étendre à l'infini, écrasant toute notion de temps, de son ou de mouvement. Ce n'était pas seulement une absence, mais une sensation étrangère, presque oppressante, où rien n'existait vraiment, pas même la douleur.
Était-ce cela, la mort ?
Il n'en savait rien.
Mais des souvenirs flottaient dans ce néant. La guerre. Le sang versé. L'instant précis où la magie s'était éteinte, où le monde avait changé. La trahison, aussi vive dans sa mémoire que si elle venait de se produire. Et cette lame, froide, tranchante, qui l'avait transpercé.
Puis plus rien.
Le temps semblait suspendu, mais quelque chose émergea du néant. Un battement. D'abord sourd, faible, presque imperceptible, puis un autre, puis encore un autre. Son cœur battait, comme une ancre fragile dans un univers qui menaçait de l'engloutir.
Il sentit une force, ténue mais constante, qui le tirait hors du vide. Une pulsion primale, inébranlable : il avait besoin d'air. Une nécessité viscérale, impérieuse. Mais où était cet air ? Où était son corps ?
L'étouffement l'écrasait. Un poids, une chaleur insupportable, un espace trop petit qui l'enfermait. Chaque fibre de son être semblait incapable de répondre.
Puis, instinctivement, il cria. Un hurlement brut, presque animal, arraché de sa gorge comme un dernier acte de défi contre l'obscurité.
La lumière éclata alors. Aveuglante. Crue. Elle transperça le néant, inondant ses sens. Il sentit des mains le tirer, des voix l'entourer. L'air glacial heurta sa peau nue, lui arrachant un frisson violent. Une sensation qu'il n'avait plus ressentie depuis… sa mort.
Il était vivant.
Tout était flou, indistinct. Des ombres bougeaient autour de lui. Il entendait des murmures, des sons confus, jusqu'à ce qu'une voix douce et fatiguée se distingue parmi les autres :
— « C'est un garçon. »
Il cligna des yeux, tentant de comprendre ce qui se passait. Son esprit, encore entier et vif, tentait de rassembler des pensées claires. Mais son corps ne répondait pas. Il essaya de bouger, de lever un bras, mais ses membres refusaient d'obéir. Il essaya d'articuler un mot, mais aucun son ne sortit.
Une prison.
Cette panique sourde monta en lui. Il réalisa avec horreur : il était un enfant. Non, un nourrisson.
Pourquoi ?
Sa mémoire restait floue, mais présente. Il se souvenait de son passé, de la magie, de ses connaissances. Et pourtant, il était là, incapable de bouger, prisonnier d'un corps trop faible.
Une chaleur familière l'apaisa. Un parfum doux, réconfortant, l'enveloppa, accompagné d'une main délicate effleurant son front.
— « Il a tes yeux, Varian. »
Une voix féminine, tendre et rassurante. Puis une autre, plus grave, plus posée :
— « Il a aussi ta patience, Lyria. Il ne pleure presque pas. »
Lyria. Varian. Ces noms flottaient dans l'air, aussi étrangers que familiers.
Ses parents.
Un prénom émergea des murmures.
— « Veyran… »
C'était le sien, désormais. Veyran Dorne.
Il ne comprenait pas encore qui étaient vraiment ces gens. Mais une chose était sûre : il était né dans un autre monde. Un esprit adulte piégé dans un corps d'enfant. Il ne pouvait ni parler, ni bouger librement. Alors, il observa.
Les visages fatigués mais bienveillants. La maison modeste, baignée d'une lumière tamisée. L'ombre d'un homme s'entraînant dans la cour, une épée à la main.
Un guerrier.
Un mercenaire.
Et aucune trace de magie.
Pourquoi ?
Si un autre monde existait, alors la magie aussi devait exister. Elle ne pouvait pas avoir simplement disparu.
Les nuits étaient longues. Il ne dormait pas tout de suite. Alors il écoutait.
Sa mère, Lyria, lui racontait des histoires. Des récits d'un autre âge, de guerriers maniant des armes mystiques.
— « On dit que les hommes ont perdu leur lien avec la vraie magie… »
— « Mais qu'elle subsiste encore, cachée dans des reliques anciennes… »
Des armes magiques.
Pourquoi la magie s'était-elle enfermée dans des objets, plutôt que de flotter librement dans l'air comme avant ?
Il n'avait pas encore les mots pour poser ces questions. Pas encore.
Mais il connaissait la réponse.
Son ancien monde était mort. Celui-ci avait survécu.
Et un jour, il découvrirait pourquoi.