Le temps s'étirait.
Au début, il avait perdu toute notion des jours et des nuits. Son corps était faible, incapable de répondre à sa volonté. Il n'avait d'autre choix que d'attendre, de subir… et d'observer.
Mais maintenant, quelque chose changeait.
Il le sentait.
Les Premières Sensations
Son corps n'était plus une simple cage. Petit à petit, il commençait à en prendre le contrôle.
Au départ, ce n'étaient que des impulsions insignifiantes : un doigt qui bougeait légèrement, une main qui tremblait en essayant de saisir quelque chose. Puis vinrent les premiers efforts plus conscients : tendre les bras, redresser la tête.
C'était frustrant.
Dans son ancienne vie, il n'avait jamais ressenti la difficulté d'un simple mouvement. L'idée même de devoir réapprendre à bouger le révoltait. Pourtant, il n'avait pas le choix.
Il refusait d'être un enfant impuissant plus longtemps.
Alors il s'exerça, discrètement, chaque jour, testant les limites de ce corps encore trop faible.
Le Guerrier et l'Enfant
Un matin, alors que l'air frais s'infiltrait par la fenêtre entrouverte, un bruit familier attira son attention.
Le frottement du cuir contre le métal.
Il le connaissait maintenant par cœur.
Varian s'éloigna vers la cour, comme il le faisait chaque matin. Mais cette fois, Veyran était éveillé, pleinement conscient de ce qui se passait.
Il roula sur le côté avec difficulté, la respiration saccadée par l'effort, et leva la tête juste assez pour entrevoir la silhouette de son père.
Il le vit dégainer son épée avec fluidité et frapper l'air avec précision.
Ce n'était pas un entraînement
Ce n'était pas un simple exercice.
Les gestes de Varian parlaient d'eux-mêmes. Ce n'était pas un homme qui maniait l'épée pour le plaisir. C'était un guerrier dont la lame faisait partie de lui.
Mais quelque chose clochait.
Veyran plissa les yeux.
Son père était trop rapide.
Ses mouvements n'avaient aucune perte d'énergie, comme s'il était poussé par une force invisible.
Sa posture ne montrait aucun signe de fatigue, malgré l'intensité de son entraînement.
Ce n'était pas normal.
Et pourtant, personne ne semblait le remarquer.
L'épée de Varian…
Quelque chose n'allait pas avec elle.
Veyran ne pouvait pas encore comprendre ce qu'il voyait, mais il était certain qu'il y avait plus que ce que les autres percevaient.
Lyria et la Douce Manipulation
Si Varian incarnait la force et la discipline, Lyria représentait la douceur et la patience.
Elle passait plus de temps avec lui que son père, le berçant avec des gestes tendres, lui racontant des histoires le soir.
Mais elle ne le traitait pas comme un simple enfant.
Parfois, lorsqu'elle pensait qu'il ne comprenait pas encore les mots, elle parlait à voix basse.
Et il écoutait.
Elle évoquait des souvenirs, des fragments d'un passé qu'elle semblait vouloir cacher.
Un soir, alors qu'il était à moitié endormi, il entendit une conversation entre elle et Varian.
— Il a tes traits, mais… quelque chose en lui est différent.
Le silence tomba dans la pièce.
Puis Varian répondit, d'une voix calme :
— Tous les enfants sont différents, Lyria.
Elle hésita.
— Tu ne le ressens pas ?
Veyran retint son souffle.
Il attendit la réponse de son père, mais elle ne vint jamais.
Varian n'était pas un homme qui s'attardait sur les doutes.
Mais cette absence de réponse en disait long.
Il le ressentait.
Il savait que quelque chose était inhabituel.
Premiers Instincts
Les jours passèrent.
Petit à petit, Veyran gagnait en force. Il pouvait maintenant maintenir sa tête droite, bouger ses bras avec plus de précision.
Ce n'était pas juste un apprentissage.
C'était un combat contre sa propre faiblesse.
Il n'avait plus la magie.
Il n'avait pas la force d'un adulte.
Mais il avait son esprit.
Et il comptait bien l'utiliser.
Un matin, alors qu'il tentait pour la centième fois de tendre la main vers un objet hors de portée, il ressentit une impulsion étrange.
Un souvenir musculaire, une sensation presque instinctive.
Dans son ancienne vie, il aurait simplement canalisé le mana, façonné un fil d'énergie pour attirer l'objet à lui.
Alors il essaya.
Il ferma les yeux et tenta d'invoquer ce pouvoir familier.
Il visualisa le flux d'énergie circulant dans son corps.
Il chercha la moindre trace, le plus infime vestige de magie.
Mais il n'y avait rien.
Un vide absolu.
Un gouffre profond, une absence si brutale qu'elle en était presque douloureuse.
Il ouvrit brusquement les yeux, le souffle court.
Ce corps…
Était totalement dénué de mana.
Il s'y attendait, mais en faire l'expérience de façon si brutale était une autre affaire.
Il ne pouvait plus se reposer sur sa magie.
Alors il devait trouver un autre moyen.
Le Regard de Varian
Un jour, alors que Lyria était sortie chercher des provisions, Varian resta avec lui.
Le guerrier n'était pas un homme bavard. Veyran s'attendait à ce que la journée se déroule en silence.
Mais contre toute attente, son père s'agenouilla près du berceau et l'observa longuement.
Son regard n'était pas celui d'un simple parent contemplant son enfant.
Il analysait.
Puis, après un instant, il parla d'une voix calme :
— Tu as un regard curieux, Veyran. Trop curieux pour un enfant de ton âge.
Le cœur de Veyran manqua un battement.
Il soutint son regard, incapable de répondre, incapable d'atténuer cette impression.
Son père le voyait.
Il avait remarqué.
Varian resta immobile quelques secondes, comme s'il attendait une réaction. Puis, sans rien ajouter, il se releva et quitta la pièce.
Mais ce simple échange avait suffi.
Son père savait qu'il était différent.
Et Veyran ne pouvait rien faire pour le cacher.
Le Début d'une Volonté
Le temps jouait contre lui.
Il n'avait pas la force d'un guerrier.
Il n'avait plus la magie d'un mage.
Mais il avait son esprit.
Il n'attendrait pas d'être sauvé.
Il se sauverait lui-même.