Le temps passait différemment.
Les jours se succédaient, mais il n'avait aucun moyen de les compter. Il n'existait ni calendrier visible, ni horloge accrochée aux murs. Tout se jouait à travers la lumière filtrant par les fenêtres et les variations de la température ambiante.
Chaque jour était une lutte contre l'ennui, contre l'impuissance d'un corps trop faible. Il ne pouvait pas parler, il ne pouvait pas marcher. Il était réduit à l'état d'observateur passif, incapable d'agir.
Alors, il observa.
Son esprit analysait tout, enregistrant chaque détail comme un érudit déchiffrant une langue oubliée.
Un Monde Sans Magie
Dès qu'il en fut capable, il chercha des indices.
Il observa les adultes, écouta leurs conversations, scruta les moindres signes d'une énergie invisible. Dans son ancienne vie, la magie était omniprésente, une évidence qui façonnait le quotidien. Ici, quelque chose clochait.
Il ne ressentait rien.
Aucune fluctuation de mana dans l'air. Aucun murmure d'énergie traversant les murs. Même les flammes vacillantes des chandelles n'avaient pas cette brillance caractéristique d'un enchantement mineur.
Il écouta attentivement les paroles des villageois, espérant capter une mention, une référence quelconque. Mais il n'y avait rien.
Un monde sans magie.
L'idée même lui semblait absurde.
Dans son ancienne vie, la magie était aussi essentielle que l'air que l'on respirait. Elle imprégnait les pierres, les rivières, les êtres vivants. Sans elle, comment ce monde avait-il pu survivre ?
Une autre hypothèse s'imposa à lui.
Ce n'était peut-être pas un monde sans magie, mais un monde qui l'avait oubliée.
Si tel était le cas, alors pourquoi ?
Quelle tragédie ou quel choix avait conduit l'humanité à abandonner une telle force ?
Les Histoires de Maman
Les nuits étaient les pires.
Son esprit ne trouvait aucun répit. L'incertitude le hantait, et chaque réveil dans ce corps étranger le ramenait à une frustration insupportable.
Mais sa mère, sans le savoir, lui apportait chaque soir un peu de répit.
Assise près du berceau, elle lui contait des histoires, sa voix douce remplissant l'espace sombre de la chambre. Des récits de batailles lointaines, de rois et de héros, de peuples disparus.
Il aurait pu croire que ce n'étaient que des contes pour enfants, mais un détail attira son attention.
Jamais elle ne parlait de magie.
Seulement des armes d'un autre âge.
Des lames incandescentes, capables de réduire une armée en cendres.
Des hallebardes qui invoquaient des tempêtes à chaque coup.
Des arcs dont les flèches se changeaient en éclairs, frappant leur cible avec la force d'un orage.
Des boucliers qui repoussaient les assauts en projetant des vagues d'énergie dévastatrices.
Des armes si puissantes qu'elles façonnaient l'histoire.
Des armes si rares qu'on en parlait comme de reliques sacrées.
Des armes dont l'origine était entourée de mystère.
Pourquoi enfermer la magie dans des armes ?
Était-ce un choix ? Une nécessité ?
Une nuit, alors que la lueur des flammes dansait sur les murs, sa voix se fit plus basse, presque hésitante.
— « On dit qu'autrefois, les hommes pouvaient manier la magie de leurs propres mains… »
Il se figea.
— « Qu'ils façonnaient le monde par leur seule volonté… »
Elle marqua une pause. Un instant, son regard se perdit dans le vide, comme si elle avait trop parlé.
Puis elle reprit, sa voix plus douce.
— « Mais ce ne sont que des légendes, mon petit. »
Un mensonge évident.
Elle savait quelque chose.
Lorsqu'elle souffla la bougie près du berceau, il resta éveillé longtemps après son départ, les pensées enchevêtrées.
Les mages avaient existé.
Elle venait de l'admettre.
Alors pourquoi n'étaient-ils plus là ?
L'Ombre du Père
Si sa mère parlait du passé, son père, lui, incarnait le présent.
Varian était un homme d'action, un guerrier dont les mains étaient plus familières avec le poids d'une épée qu'avec celui des mots. Il parlait peu, mais ses actes suffisaient à le définir.
Chaque matin, il s'entraînait à l'aube.
Depuis son berceau, Veyran entendait le frottement du cuir contre le métal, le souffle mesuré des exercices répétés inlassablement.
Un jour, alors que la lumière du matin perçait à travers les rideaux, il parvint à tourner légèrement la tête pour l'observer.
Varian maniait sa lame avec une précision implacable. Chaque mouvement était exécuté avec fluidité, sans hésitation. Ce n'était pas un simple entraînement, mais une nécessité.
Ce n'était pas un passe-temps.
C'était un mode de vie.
Puis, un détail étrange attira son attention.
Varian était trop rapide.
Ses gestes semblaient déchirer l'air, si fluides qu'ils paraissaient irréels.
Il n'anticipait pas ses mouvements, il les exécutait à la perfection, comme si son corps répondait instinctivement à une force invisible.
Une vitesse, une maîtrise qui n'avaient rien de normal.
Mais personne autour de lui ne réagissait.
Veyran fronça imperceptiblement les sourcils.
Il ne savait pas encore pourquoi, mais il était certain que ce n'était pas naturel.
Un matin, alors qu'il s'étirait après ses exercices, Lyria apparut sur le pas de la porte, un bol de bouillon chaud entre les mains.
— « Tu devrais lui parler, » dit-elle doucement.
Varian s'essuya le front avec son avant-bras.
— « Il n'a que quelques mois, Lyria. »
— « Tu as vu la façon dont il te regarde ? Ce n'est pas un bébé ordinaire… »
Il s'arrêta, fixant leur fils d'un œil indéchiffrable. Veyran resta immobile, feignant l'innocence.
— « Je ne sais pas, » admit Varian après un silence. « Parfois, j'ai l'impression qu'il comprend bien plus qu'il ne le devrait. »
Lyria sourit légèrement, s'accroupissant à côté du berceau.
— « Il est spécial. »
Un souffle passa entre les lèvres de Varian.
— « J'espère que ce sera une bénédiction. Pas un fardeau. »
Veyran fronça imperceptiblement les sourcils.
Ils savaient.
Ils ne comprenaient pas tout, mais ils percevaient quelque chose d'étrange chez lui.
Et il était encore trop tôt pour savoir si c'était une bonne chose.