Les jours s'étaient écoulés lentement dans le Temple de Saphiris. Lars et Michel, désormais marqués par les mystérieuses empreintes du serpent bleu, s'efforçaient de maîtriser les pouvoirs qui avaient pris racine en eux. Chaque jour, Saphiris les observait depuis les ombres, son regard perçant suivant leurs progrès, mais une inquiétude grandissait en lui, une inquiétude qu'il n'avait pas anticipée.
Lars, en particulier, l'intriguait. Malgré l'absence d'une pleine maîtrise des Ombres qui le traversaient, il semblait posséder une sorte de contrôle, un équilibre fragile mais efficace, qu'aucun autre porteur de l'Ombre n'avait démontré auparavant. Saphiris, en voyant ce contrôle naissant, se rappela soudainement une vieille légende qu'il avait entendue, transmise de génération en génération parmi les êtres anciens. Une légende de l'Enfant du Chaos.
Cet enfant, selon les anciens récits, serait né des vestiges d'une guerre cataclysmique, forgé dans le feu des Ombres et de la lumière. Cet être posséderait un pouvoir immense, capable de détruire tout ce qui se trouvait sur son chemin, mais aussi de mettre fin à la guerre elle-même. Son destin serait de tout balayer ou de tout sauver, selon sa capacité à dompter la force qui sommeillait en lui.
Lars semblait être cet enfant, un enfant du Chaos, bien que ses intentions et son cœur restent encore flous. Il n'était qu'un jeune homme, sans origine, sans racines claires, errant dans un monde qu'il ne comprenait pas entièrement. Pourtant, une lueur en lui, un lien profond avec les Ombres, indiquait qu'il pourrait bien être celui que la prophétie désignait.
Saphiris, tout en continuant de les observer de loin, hésitait. L'enfant du Chaos pourrait-il maîtriser son pouvoir et empêcher la fin des temps, ou bien serait-il le catalyseur d'une nouvelle guerre, une guerre plus dévastatrice que toute autre ? Le serpent se tenait dans un équilibre fragile, ne pouvant ni intervenir directement, ni rester spectateur indifférent.
Pendant ce temps, Lars et Michel poursuivaient leur entraînement. Leurs journées étaient rythmées par des exercices intenses, visant à apprivoiser les Ombres et à comprendre comment canaliser leur force sans être submergés. Michel, qui avait du mal à accepter sa nouvelle condition, s'entraînait avec une fébrilité nerveuse, cherchant à prouver à lui-même qu'il pouvait être plus qu'un simple instrument de violence. Ses dagues, qu'il maîtrisait déjà avec une grande précision, devenaient désormais des extensions de son pouvoir, mais il se sentait parfois submergé par la tentation d'utiliser sa force à des fins destructrices.
Lars, de son côté, tentait de forger une relation plus équilibrée avec ses Ombres. Chaque tentative était un défi. Lorsqu'il les appelait, elles venaient à lui sous forme d'ombres mouvantes, presque vivantes, qui l'entouraient et l'étouffaient parfois, l'empêchant de respirer. Mais il avait appris à les accepter, à les utiliser non pas comme une force brute, mais comme un allié subtil. Il parvenait à les façonner pour qu'elles lui offrent une protection, mais il ressentait au fond de lui que cet équilibre était fragile, et que chaque erreur pourrait entraîner la perte de tout ce qu'il avait gagné.
Un soir, alors qu'ils s'entraînaient sous la lumière déclinante du soleil, Saphiris émergea une nouvelle fois de l'ombre, sa silhouette flottant dans l'air autour d'eux.
"Vous êtes prêts, en quelque sorte", dit-il de sa voix profonde, résonnant à travers les murs du temple. "Mais la route qui vous attend est semée d'embûches. Vous ne pouvez pas vous permettre de rester ici éternellement. Le temps presse."
Lars, essoufflé après un exercice particulièrement difficile, se tourna vers le serpent avec une détermination renouvelée. "Nous partons pour Abikalé dès demain. Nous devons nous y rendre pour comprendre ce que tout cela signifie."
Saphiris observa Lars longuement, son regard pesant. "Abikalé... La capitale. C'est là que tout se décide. Mais sachez ceci : les Ombres, ces puissances que vous maniez, sont aussi attirées par Abikalé. D'autres viendront, ceux qui cherchent à contrôler ce pouvoir, à le posséder. Vous ne serez pas les seuls sur ce chemin."
Michel, plus silencieux que d'habitude, fixa les marques sur sa peau, encore fraîches et lumineuses. "Et si nous ne pouvons pas maîtriser ces Ombres ?" demanda-t-il d'une voix grave. "Et si elles nous échappent ?"
Saphiris se faufila plus près d'eux, et pour la première fois, son visage, habituellement caché dans l'ombre, émergea, révélant des traits finement sculptés et une sagesse infinie. "Le pouvoir des Ombres peut dévorer ceux qui n'en comprennent pas l'essence. Mais n'oubliez pas, vous n'êtes pas seuls. Il y a d'autres forces qui, elles aussi, attendent leur heure."
Lars et Michel échangèrent un regard lourd de sens. Ils comprenaient maintenant que le chemin qui les attendait n'était pas seulement un voyage vers la capitale, mais une véritable épreuve. Une épreuve de leur maîtrise, de leur âme, de leur pouvoir. Et alors que le serpent s'éloignait à nouveau dans les ténèbres, ils sentirent le poids de sa parole. Ils avaient encore beaucoup à apprendre, mais le temps leur manquait.
Le lendemain matin, après une dernière nuit de repos et de méditation, ils se préparèrent à quitter le temple. Lars vérifia son épée, son regard déterminé. Michel rangea ses dagues, son esprit encore troublé par tout ce qu'il venait d'apprendre. Mais ils étaient prêts. Prêts à affronter le monde extérieur. Prêts à découvrir la vérité.
Le serpent bleu les observait une dernière fois. "Souvenez-vous", murmura-t-il, à peine audible. "Votre destin n'est pas écrit. Il est entre vos mains."
Et avec ces mots, Lars et Michel, unis par le même objectif, quittèrent le temple, sans savoir que leur véritable épreuve venait juste de commencer.
À suivre...