Des pas lourds résonnèrent à travers la forêt, suivis d'un ronronnement sourd, presque mécanique.
Lyria sentit un frisson la parcourir.
Cette fois, ce n'était pas la peur qui l'envahissait. C'était une colère brûlante, une rage qu'elle n'avait pas ressentie depuis des années.
Elle connaissait ce bruit, cette vibration sinistre qui faisait trembler le sol sous ses pieds.
Les machines de Vëlia.
« Pas maintenant... » murmura-t-elle, ses doigts se crispant autour de son épée.
Kaelen, toujours concentré, jeta un rapide coup d'œil vers elle.
« Nous devons les arrêter ici, avant qu'ils n'atteignent le sanctuaire. »
Lyria hocha la tête, sentant l'adrénaline monter en elle. Ils n'avaient pas le choix. Si les machines atteignaient le sanctuaire, la prophétie et leur dernière chance de sauver Eryndor seraient réduites en poussière. La forêt ne survivrait pas à un nouvel assaut.
Les premières silhouettes émergèrent des ombres. Les machines de fer, massives et terrifiantes, roulaient entre les arbres, broyant tout sur leur passage. Leurs lames rotatives scintillaient sous la lumière des étoiles.
Derrière elles, les soldats humains, armés de fusils et protégés par leurs lourdes armures de métal, avançaient d'un pas résolu, insensibles à la beauté de la forêt qu'ils détruisaient.
Lyria se prépara, son épée dansante entre ses mains. Les souvenirs de la dernière guerre lui revinrent en mémoire avec une brutalité foudroyante.
Elle avait affronté ces mêmes machines, ces mêmes soldats, et avait vu son peuple être décimé par leur implacable efficacité. Mais aujourd'hui, il n'y avait pas de place pour le chagrin. Aujourd'hui, elle devait se battre.
Kaelen fut le premier à frapper. Le prince vampire se déplaça à une vitesse fulgurante, un flou presque imperceptible pour les yeux humains.
Il bondit sur la première machine, sa lame tranchant les tuyaux d'alimentation en une fraction de seconde. Des étincelles jaillirent dans l'air, et l'engin s'effondra dans un fracas de métal brisé.
Lyria le suivit de près, son épée fendant l'air avec précision. Elle visa les articulations d'une autre machine, frappant là où le métal était le plus vulnérable. Un cri de métal brisé retentit lorsque la créature mécanique s'effondra à son tour, ses membres disloqués sous la force de l'impact.
Mais pour chaque machine détruite, deux autres semblaient surgir des ténèbres.
Les soldats humains approchaient rapidement, utilisant les machines comme couvert, tirant avec leurs fusils dans la pénombre. Un coup de feu déchira l'air, et Lyria sentit une douleur fulgurante à son épaule.
Elle grimaça, mais elle ne pouvait se permettre de faiblir. Pas maintenant.
« Lyria ! » cria Galanor depuis le sanctuaire. « Le cercle sacré doit être protégé, à tout prix ! »
Elle hocha la tête, les dents serrées sous la douleur, et se lança dans un nouvel assaut.
Lyria, malgré la douleur lancinante dans son épaule, se redressa avec détermination. Chaque mouvement de son bras blessé envoyait des éclairs de douleur dans tout son corps, mais elle ne pouvait céder.
Le sanctuaire, ce dernier bastion de la magie elfique, devait être protégé à tout prix. Le cercle sacré, gravé de runes anciennes, était leur seule barrière contre l'annihilation complète. Sans lui, non seulement la prophétie, mais tout ce qu'il restait des elfes serait effacé par les horribles machines de Vëlia.
Kaelen combattait toujours à ses côtés, se mouvant comme une ombre. Ses mouvements étaient précis, presque gracieux malgré la brutalité du combat. Il semblait anticiper chaque attaque des machines, chaque coup porté par les soldats humains qui les suivaient.
Lyria, bien que réticente, ne pouvait s'empêcher de reconnaître son efficacité. Il frappait avec une froide détermination, ses yeux rouges luisant d'une intensité presque surnaturelle, ce qui contrastait avec le chaos tout autour d'eux.
Les machines continuaient d'avancer, semblant se régénérer ou se multiplier, chaque fois plus terrifiantes. Ces engins massifs étaient faits d'acier noirci par la guerre, et leurs engrenages tournaient avec un bruit sourd, impitoyable.
Leur seule présence dénaturait la forêt, comme si la terre elle-même réagissait à leur intrusion, se fissurant sous leurs lourdes roues.
Le sol sacré d'Eryndor, autrefois imprégné de magie, tremblait et cédait sous le poids de cette technologie destructrice.
Lyria, évitant de justesse une lame rotative, se retrouva face à l'une des machines géantes. Elle sentit le sol vibrer sous ses pieds alors que l'engin avançait, son ronronnement sourd emplissant l'air de menace.
Cette machine était plus imposante, plus redoutable que les autres. De sa structure émergeaient plusieurs bras mécaniques garnis de lames circulaires, prêtes à découper tout sur leur passage.
Elle la fixa avec horreur, se souvenant de la première fois qu'elle avait vu une de ces monstruosités. La machine brise-âme, ainsi l'avaient appelée les anciens soldats elfes avant qu'ils ne soient réduits à néant par elle.
Lyria n'eut que le temps de plonger sur le côté avant que les lames de la machine ne tranchent l'air là où elle se tenait. La force de l'impact de la lame contre le sol créa un cratère, projetant des éclats de terre et de pierres dans toutes les directions. Cette chose devait être arrêtée, et vite.
Kaelen, remarquant l'énorme engin, se rapprocha d'elle d'un bond silencieux.
« Nous devons la détruire, » dit-il d'une voix tendue mais concentrée.
Ses yeux fixaient la machine, analysant chaque mouvement, chaque faille possible.
Lyria hocha la tête, bien consciente du danger.
Elle sentit la colère monter en elle, alimentée par la douleur de sa blessure et la rage contre ces créatures mécaniques qui menaçaient son peuple.
« Je vais distraire les soldats, » déclara Kaelen en se tournant vers elle. « Toi, trouve un moyen de la neutraliser. »
Lyria acquiesça, serrant son épée avec une nouvelle détermination.
Kaelen disparut dans les ombres, aussi rapide qu'un spectre, se fondant dans l'obscurité qui entourait les machines.
Lyria, de son côté, scrutait l'énorme engin, cherchant un point faible. Son souffle était court, ses sens tendus à l'extrême.
Elle courut vers la machine géante, évitant les lames tourbillonnantes et les explosions de terre que celles-ci provoquaient.
Chaque pas semblait être un défi face à cette créature d'acier, mais Lyria n'avait pas le luxe de la peur. Elle devait protéger le sanctuaire, protéger son peuple, et si cela impliquait de se jeter contre cette monstruosité, alors elle le ferait sans hésitation.
Les soldats humains, distraits par les attaques fulgurantes de Kaelen, ne virent pas Lyria s'approcher de l'engin. Ses yeux perçants repérèrent rapidement des tuyaux exposés à la base de la machine.
Elle se souvenait des enseignements de son frère aîné, Elendior, qui avait été un maître dans l'art de trouver les failles des ennemis, qu'ils soient humains ou mécaniques. C'était là, dans ces tuyaux d'alimentation, que la machine tirait son énergie.
Dans un mouvement rapide, elle se jeta sous la machine, ses muscles tendus par l'urgence du moment.
Les tuyaux noirs et massifs pulsaient d'une énergie sinistre, alimentant les lames qui tournaient toujours plus vite. Avec une précision calculée, elle planta son épée profondément dans l'un des conduits, tranchant le métal et libérant une explosion de vapeur brûlante. Le cri métallique de la machine résonna dans la clairière comme un rugissement de bête blessée.
L'engin se mit à vaciller, ses mouvements devenant erratiques alors que ses bras mécaniques se désynchronisaient.
Mais ce n'était pas suffisant.
La machine, bien que gravement endommagée, continuait d'avancer, ses lames toujours prêtes à déchiqueter tout ce qui se trouvait sur son chemin.
Lyria savait qu'elle devait en faire plus. Elle roula sur le côté pour éviter une nouvelle attaque, puis grimpa sur l'un des bras métalliques de la machine. Ses mains glissèrent sur le métal froid, mais elle réussit à maintenir sa prise, se hissant jusqu'à l'une des ouvertures supérieures.
Elle enfonça son épée dans un autre mécanisme vital, brisant un piston principal. Cette fois, l'impact fut immédiat. La machine gémit de nouveau, une pluie d'étincelles s'échappant de son cœur mécanique.
Les bras de l'engin s'immobilisèrent soudainement, leurs lames cessant de tourner. Puis, dans un fracas assourdissant, la machine géante s'effondra sur elle-même, ses pièces roulant sur le sol dans un tourbillon de métal tordu et d'étincelles brûlantes.
Lyria sauta en arrière, respirant difficilement, son corps couvert de sueur et de sang. Le silence se fit autour d'elle, brisé seulement par le crépitement des flammes mourantes et le souffle court des combattants restants.
Elle avait réussi.
Kaelen réapparut à ses côtés, son visage impassible, bien que son regard trahissait une lueur de reconnaissance.
« Bien joué, princesse, » murmura-t-il, son ton toujours aussi froid, mais cette fois sans l'arrogance habituelle. Il hocha légèrement la tête, un geste rare pour un vampire de son rang.
Lyria, essoufflée, le fixa un instant, cherchant à comprendre cet être qui avait combattu à ses côtés avec autant de férocité qu'elle-même.
Bien qu'elle fût encore loin de lui accorder sa confiance, elle ne pouvait nier qu'ils avaient, pour un bref instant, partagé un but commun.
« Ce n'est que le début, » répondit-elle enfin, son regard se tournant vers le sanctuaire où Galanor et les Anciens semblaient reprendre leur souffle. Le bouclier magique, bien que fragile, tenait toujours.
Mais Lyria savait que cette victoire, aussi difficile qu'elle avait été, n'était qu'un répit temporaire. Les machines de Vëlia reviendraient, et la prophétie ne pourrait être évitée.
L'avenir de son peuple était encore en jeu, et la solution la plus improbable restait devant elle : une alliance avec un vampire, un ennemi de toujours.
Le silence de la clairière, brisé seulement par les crépitements des machines détruites, commença à s'alourdir à nouveau. Cette fois, cependant, ce n'était plus une menace immédiate qui planait, mais une incertitude presque tangible.
Lyria se redressa, ses muscles douloureux, son épaule encore engourdie par la blessure. Elle tourna lentement son regard vers Galanor, qui s'avançait à petits pas, son bâton de chêne gravé de runes anciennes planté dans le sol à chaque pas pour le soutenir.
Derrière lui, les autres Anciens s'approchaient avec précaution, visiblement épuisés par l'effort magique qu'ils avaient dû fournir pour maintenir le bouclier.
Le visage de Galanor était grave, mais il n'y avait pas de surprise dans ses yeux. Comme s'il avait toujours su que cette bataille n'était qu'une étape, qu'un prélude à un plus grand défi. Ses rides creusaient davantage son front, mais son regard n'avait rien perdu de sa sagesse durement acquise.
Lyria, en voyant l'ombre de fatigue qui pesait sur lui, se sentit prise d'un sentiment de responsabilité encore plus grand. Si le Conseil lui faisait porter ce fardeau, ce n'était pas seulement parce qu'elle était la dernière des Valenor. C'était parce que, au fond d'eux, ils savaient qu'elle était la seule à pouvoir supporter un tel poids.
Elle se tourna vers Kaelen, qui observait les alentours avec ses yeux rouges et glacés. Il ne semblait pas fatigué, mais il était aussi clair qu'il réfléchissait. Kaelen n'était pas qu'un soldat, ou un prince vampire. Il était aussi un stratège. Un survivant.
« C'est la première fois qu'ils s'approchent autant du sanctuaire, » dit-elle finalement, rompant le silence lourd qui pesait sur eux.
Galanor hocha lentement la tête, ses yeux observant les ruines des machines avec une tristesse infinie.
« Ce n'est pas une coïncidence. Ils savent, tout comme nous, que la magie est en déclin. Ils sentent notre faiblesse, tout comme toi tu sens la terre s'éteindre sous tes pieds. »
Lyria baissa les yeux, sentant l'écho de ces mots résonner en elle.
Chaque pas qu'elle faisait dans cette forêt était une réminiscence douloureuse de ce que son peuple avait perdu.
Les racines des arbres millénaires, qui autrefois s'enfonçaient dans le sol magique avec une force inébranlable, étaient maintenant desséchées, se fracturant sous le poids des siècles.
Lyria observa les racines des arbres, ces vestiges autrefois porteurs de vie, maintenant comme des cadavres enracinés dans une terre stérile. C'était une douleur familière, un fardeau qui semblait s'alourdir chaque jour, à chaque nouvelle preuve du déclin de son peuple et de la terre d'Eryndor.
Ce poids la poussait à envisager l'impensable, cette alliance avec Kaelen, un vampire.
Elle se redressa, fixant Galanor, cherchant des réponses dans le regard du vieux mage. Mais celui-ci, bien que sage, portait la même tristesse qu'elle.
Le monde autour d'eux s'éteignait, et même les plus grands érudits du Conseil ne pouvaient rien faire de plus à par retarder l'inévitable.