Le cœur lourd, Lyria s'avança vers l'autel, son regard glissant sur les runes gravées dans la pierre.
Ces mêmes symboles qui autrefois émettaient une lumière brillante, un écho de la puissance elfique, n'étaient plus que des traces à peine visibles, presque effacées. Cela la fit frissonner.
Elle se tourna vers Galanor.
« La magie qui soutenait cette terre, nos pouvoirs... tout cela s'efface. »
Sa voix était un murmure, emportée par le vent qui soufflait doucement à travers les arbres.
« Et maintenant, on me demande d'accepter cette prophétie, cette... union. Comment est-ce possible ? »
Galanor, appuyé sur son bâton, leva un regard fatigué vers elle. « Tu te demandes pourquoi nous avons mis nos espoirs dans une prophétie si improbable, Lyria. Je le sais. Mais... »
Il s'interrompit, cherchant ses mots, puis continua, plus doucement.
« Quand tout s'effondre, il ne reste que la foi en des forces plus grandes que nous. Et si les Anciens ont transmis cette prophétie, c'est parce que même à travers la poussière du temps, elle recèle une vérité que nous ne pouvons ignorer. »
Lyria détourna les yeux.
Kaelen, qui jusqu'alors était resté silencieux, s'avança. Son regard de prédateur plongea dans celui de Lyria.
« Je comprends ta réticence, » dit-il, sa voix calme mais tranchante.
« Mais crois-moi, notre situation n'est pas différente. Nous, les vampires, sentons aussi le déclin. Nos anciennes puissances s'effacent. Les lignées que nous pensions éternelles sont en train de s'effriter. Ce que nous avons bâti pendant des siècles est en train de disparaître. C'est pour cela que je suis ici. Non pas par désir, mais par nécessité. Tout comme toi. »
Ses mots résonnaient dans l'air froid du sanctuaire. Lyria sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. Les vampires étaient aussi au bord de l'extinction.
Une partie d'elle se réjouissait presque de cette nouvelle, comme si leur déclin pouvait équilibrer celui des elfes. Mais une autre partie, plus sage, comprenait que ce destin partagé n'était qu'une preuve de plus que leur monde tout entier basculait dans le chaos.
« Si nous n'agissons pas, » poursuivit Kaelen, ses yeux ne quittant jamais ceux de Lyria, « tout ce que nous avons connu disparaîtra. Il n'y aura plus de forêts pour toi, ni d'ombres pour moi. Nos peuples s'effaceront comme des traces dans le sable. Et les humains, avec leurs machines, gouverneront un monde stérile, dépourvu de magie. Est-ce cela que tu souhaites ? »
Lyria resta silencieuse. Ces mots étaient durs, mais vrais. Elle avait vu de ses propres yeux ce que les humains et leurs engins de fer pouvaient faire à la nature, à la magie. Leur soif de conquête était insatiable, et leur technologie ne cessait de croître, anéantissant tout sur son passage.
Une brève accalmie tomba sur le sanctuaire. Le vent, qui s'était levé plus tôt, s'était à nouveau calmé, comme en attente. Le ciel étoilé au-dessus d'eux, autrefois source de réconfort pour les elfes, semblait plus éloigné que jamais.
Lyria leva la tête, observant les constellations qui, comme la magie, s'étaient fanées au fil des âges.
« Qu'est-ce que tu attends de moi, Kaelen ? » demanda-t-elle finalement, sa voix tremblant légèrement sous le poids de cette question.
« Qu'attends-tu que je fasse ? Que je scelle cette alliance, que je donne mon sang à cette prophétie sans poser de questions ? Et ensuite ? Penses-tu vraiment que cela suffira à sauver nos peuples ? »
Kaelen, immobile comme une statue, prit un instant avant de répondre.
« Je n'attends pas que tu te plies à cette prophétie sans résistance. Je m'attends à ce que tu te battes. Pour ton peuple, pour ta terre, et pour l'espoir que nous pouvons encore créer. Si cette prophétie est vraie, alors nous devons la suivre. Mais cela ne signifie pas que nous devons abandonner qui nous sommes. Nous devons choisir de survivre. »
Les mots de Kaelen résonnaient comme une vérité crue, une vérité qu'elle n'avait pas voulu accepter jusqu'à présent.
La survie exigeait des sacrifices, des choix difficiles, et Lyria savait que la prophétie, aussi obscure et insupportable qu'elle lui paraissait, pouvait être leur seule chance.
Un bruit soudain résonna dans l'obscurité de la forêt. Le vent se remit à souffler, cette fois plus fort, soulevant des nuages de poussière et de feuilles mortes.
Lyria se redressa, le souffle court, alors que ses sens se tendaient à nouveau. Kaelen tourna la tête vers l'orée de la forêt, ses yeux perçants cherchant la source du son.
« Qu'est-ce que c'était ? » murmura-t-elle, le cœur battant.
Galanor se redressa brusquement, sa main serrant le bâton de chêne plus fort. « Ils sont encore là. Nous n'avons que peu de temps avant qu'ils ne reviennent. »
Lyria n'eut pas le temps de répondre. Des pas lourds résonnèrent de plus en plus fort.
Les arbres frémirent sous la pression de l'approche des machines de Vëlia. L'atmosphère changea brutalement, le calme précédent balayé par une nouvelle menace imminente.
Kaelen dégaina sa lame noire, ses yeux s'illuminant d'une lueur dangereuse. « Préparez-vous. Ils ne s'arrêteront pas tant que nous ne les aurons pas détruits complètement. »
Lyria, malgré la fatigue et la douleur de sa blessure, saisit fermement la garde de son épée, son esprit se concentrant sur l'affrontement à venir. Il n'y avait plus de place pour le doute. Le combat contre les humains et leurs machines ne pouvait être repoussé.
Les premières silhouettes des machines émergèrent à travers les ombres. Elles étaient encore plus nombreuses que précédemment, et la lumière vacillante du bouclier magique des Anciens éclairait à peine leurs formes monstrueuses.
Leurs lames rotatives, tachées de sève et de sang, sifflaient dans l'air, prêtes à broyer la terre et la magie qui les retenaient.
« Ils sont déterminés à détruire ce sanctuaire, » murmura Lyria, observant les machines avec un mélange de rage et de crainte.
Galanor murmura une incantation, sa voix tremblante.
Les soldats humains avançaient en formation derrière les machines, leurs armures d'acier brillant sous la faible lumière des étoiles. Ils ressemblaient à des ombres sans âme, marchant inexorablement vers la destruction de tout ce qui restait du peuple elfique.
Kaelen se tourna vers Lyria, ses yeux brûlant d'une détermination glacée.
« Nous ne pouvons pas perdre cette bataille, princesse. »
Lyria serra les dents. Elle n'avait pas encore totalement accepté cette prophétie, mais elle savait que les elfes, tout comme les vampires, n'avaient plus d'autre choix.
C'était la dernière bataille pour leur survie.
Le vent hurlait maintenant à travers la clairière, alors que les machines de fer se rapprochaient. Lyria pouvait sentir le sol trembler sous ses pieds. Mais cette fois, elle n'avait pas peur. Elle ne fuirait pas.
Avec un cri de guerre qui résonna à travers les arbres mourants d'Eryndor, Lyria leva son épée et se jeta dans la mêlée, prête à se battre jusqu'au dernier souffle pour ce qui restait de son monde.
Kaelen dégaina sa lame noire, ses yeux s'illuminant d'une lueur dangereuse. « Préparez-vous. Ils ne s'arrêteront pas tant que nous ne les aurons pas détruits complètement. »
Le vent hurlait maintenant avec une fureur nouvelle, comme si la forêt elle-même répondait à l'invasion mécanique qui approchait.
« Ils sont plus nombreux que la dernière fois, » murmura-t-il, ses yeux rouges scrutant les lignes d'assaut des machines de Vëlia.
Lyria ne répondit pas. Elle savait.
Chaque nouvelle vague d'attaques humaines semblait plus forte, plus brutale. Les hommes, avec leurs machines impitoyables, se rapprochaient un peu plus à chaque tentative, grignotant l'intégrité de la forêt, cette barrière magique qui, autrefois, les protégeait.
Les machines se déployaient rapidement. Le ronronnement sourd de leurs moteurs envahissait l'air, créant un écho sinistre qui résonnait dans chaque fibre du corps de Lyria.
« Le sanctuaire ne tiendra pas s'ils parviennent à pénétrer ici, » avertit Galanor d'une voix grave, les mains tremblantes alors qu'il tentait de maintenir le bouclier magique qui protégeait encore l'autel.
Les Anciens, affaiblis par l'effort magique constant, murmuraient des incantations, leurs voix à peine audibles sous le rugissement des machines qui approchaient. Ils formaient une ligne fragile autour de l'autel, leurs bâtons levés, la lumière de leurs sorts faiblissant.
Lyria jeta un coup d'œil vers eux.
Ces mages millénaires, jadis puissants protecteurs de la magie elfique, semblaient si vulnérables face à cette nouvelle menace.
Elle pouvait voir la fatigue sur leurs visages ridés, l'épuisement qui les accablait après des années de lutte acharnée.
Chacun d'eux portait en lui une part de la mémoire de leur peuple. Si l'un d'eux tombait, c'était toute une histoire qui s'effaçait.
Mais les machines ne laissaient pas de place à la réflexion.
Elles avancèrent, implacables. Leurs lames brillaient sous la faible lumière des étoiles, découpant tout sur leur passage, réduisant la forêt à un champ de décombres et de cendres.
« Protégez le sanctuaire ! » cria-t-elle, sa voix éraillée par l'urgence.
Kaelen fut le premier à attaquer, se déplaçant avec une rapidité surnaturelle. Il se jeta sur une machine en un éclair, sa lame noire frappant avec une précision mortelle.
Les engrenages se brisèrent sous son assaut, envoyant des étincelles dans l'air. La machine s'effondra, son poids lourd faisant trembler le sol. Mais cela ne suffirait pas.
Lyria suivit, son épée elfique scintillant d'une lueur pâle, presque désespérée. Elle frappa les tuyaux d'alimentation d'une autre machine, déversant une pluie de vapeur brûlante sur le sol. Mais chaque machine détruite semblait en amener une autre, plus grande, plus menaçante.
Soudain, un cri déchira l'air.
Lyria tourna la tête juste à temps pour voir l'un des Anciens, Eryndil, tomber à genoux. Une des lames mécaniques venait de le percuter en pleine poitrine, le projetant en arrière. Son bâton de mage se brisa en deux, et l'éclat lumineux de son sort s'éteignit instantanément.
Eryndil, dont les connaissances et les récits remplissaient les archives d'Eryndor, venait de tomber.
« Non ! » hurla Lyria, mais son cri fut étouffé par le bruit des machines.
Galanor courut vers lui, mais déjà, la vie quittait les yeux d'Eryndil, ses lèvres murmurant une dernière prière que personne n'entendit.
Le vieux mage s'effondra contre la terre, son sang se mêlant aux racines mortes de la forêt. Il n'y avait plus rien à faire pour lui.
Lyria sentit une rage sourde l'envahir, mais elle n'eut pas le temps de réagir. Un autre des Anciens, Faylen, fut également pris dans le tourbillon de lames d'une autre machine. Son corps frêle fut projeté en arrière, et il s'écrasa lourdement contre un arbre, son crâne heurtant violemment le tronc avant de retomber dans un silence mortel.
Deux Anciens morts. Deux gardiens de la magie elfique effacés en quelques minutes par ces monstres mécaniques. Leurs âmes, autrefois liées aux racines d'Eryndor, étaient parties sans même avoir eu le temps de dire adieu.
Lyria sentit une déchirure en elle, comme si une partie de sa propre magie venait de s'éteindre avec eux.
Mais il n'y avait pas de temps pour pleurer.
Les machines continuaient d'avancer. Kaelen combattait férocement, ses attaques rapides et précises, mais même lui semblait faiblir face au flot ininterrompu de l'ennemi. Les soldats humains tiraient des balles et des sorts destructeurs depuis l'ombre des machines, ajoutant au chaos.
Chaque seconde qui passait rapprochait les machines du sanctuaire.
La situation devenait désespérée.
Lyria, le souffle court, se battait pour maintenir sa position, frappant chaque machine avec toute la force qu'il lui restait. Mais elle sentait la fatigue peser sur ses membres, sa blessure à l'épaule la ralentissant de plus en plus. Si cette bataille continuait, ils allaient tous périr, ici, sur ce sol sacré.
C'est alors que Galanor leva son bâton, rassemblant ses dernières forces pour lancer un sort qui ébranla le ciel. Un faisceau de lumière pure s'échappa du sommet de son bâton, frappant directement l'une des machines les plus imposantes. Le métal se tordit sous la puissance de l'attaque, et l'engin explosa dans un fracas assourdissant, projetant des débris dans toutes les directions.
Le choc ralentit l'avancée des machines, mais à quel prix ?
Galanor chancela, épuisé, son visage pâle et tremblant. Il était au bout de ses forces.
Lyria se précipita vers lui, attrapant son bras avant qu'il ne tombe. Ses yeux voilés par la fatigue la fixèrent avec une tristesse infinie.
« Nous avons tenu... pour l'instant, » murmura-t-il, sa voix rauque. « Mais ils reviendront... ils reviendront toujours. »
Lyria, haletante, regarda autour d'elle.
Les corps des Anciens gisaient à terre, et les machines détruites n'étaient que des carcasses fumantes dans la clairière.
Mais elle savait que cette victoire ne signifiait rien. Ce n'était qu'une bataille parmi tant d'autres, et leur temps était compté.
Sans un mot, elle se redressa, la douleur pulsant dans chaque partie de son corps. Elle ne pouvait pas se permettre de faiblir. Il n'y avait plus de temps à perdre. Le poids des morts pesait lourd sur ses épaules, mais elle ne pouvait s'attarder sur leur perte. Pas maintenant. Le destin de son peuple était encore incertain.
Elle se tourna vers Galanor, son regard dur et déterminé.
« Réunis les guerriers, » ordonna-t-elle, sa voix ferme malgré la douleur. « Nous devons nous préparer pour ce qui vient. Ce soir, nous déciderons de notre sort. »
Galanor acquiesça lentement, comprenant qu'il n'y avait pas d'autre choix.
Les elfes survivants devaient être rassemblés, et il était temps de décider de la suite. De l'avenir incertain qui les attendait.