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Les jours qui suivirent la disparition d'Adrien furent lourds de silence pour elle. L'automne poursuivait son avancée, recouvrant la ville d'un manteau de feuilles mortes et d'une atmosphère pesante. Le souvenir d'Adrien restait gravé dans son esprit, mais la réalité de ce qu'elle avait vécu semblait irréelle, presque un rêve brumeux.
Elle continua à fréquenter le bistrot, espérant, contre toute logique, revoir Adrien. Chaque soir, la table où il s'asseyait restait vide, et son absence pesait comme une ombre sur son cœur. Les jours devinrent des semaines, et la vie reprit son cours, du moins en apparence.
Un soir, alors qu'Émilie rentrait chez elle après une longue journée de travail, elle ressentit à nouveau cette brise glacée effleurer sa peau. Cette sensation était à la fois familière et terrifiante. Elle se retourna instinctivement, le cœur battant plus fort, espérant apercevoir Adrien. Mais il n'y avait rien, juste les ténèbres de la nuit et le murmure du vent à travers les arbres dénudés.
Pourtant, une sensation étrange l'envahit : elle n'était pas seule.
Poussée par une force invisible, elle s'aventura dans la forêt, là où elle et Adrien avaient partagé leurs derniers moments. Le chemin, autrefois familier, semblait désormais plus sinistre. Les branches nues des arbres griffonnaient des ombres dans le ciel noir, comme des doigts squelettiques tendus vers elle. Chaque pas d'Émilie faisait craquer les feuilles mortes sous ses pieds, et son souffle formait de petites volutes de vapeur dans l'air glacé. Le silence semblait retenir son souffle, attendant quelque chose.
Soudain, une voix douce, presque inaudible, brisa le silence.
- « Émilie... »
Elle se figea, reconnaissant immédiatement cette voix. C'était lui, Adrien. Mais en se retournant, elle ne vit que la nuit et les arbres. Le vent souffla plus fort, faisant danser les feuilles mortes autour d'elle, tandis que le froid s'intensifiait.
- « Adrien... » murmura-t-elle, ses yeux cherchant désespérément dans l'obscurité.
Les ombres autour d'elle semblaient se mouvoir, prendre forme, comme si elles étaient vivantes. Terrifiée, mais curieusement attirée, Émilie restait figée, incapable de fuir. Un sentiment inexplicable d'attachement la retenait sur place, l'empêchant de s'éloigner.
Puis, il apparut. tel qu'elle l'avait vu auparavant, mais cette fois son visage était plus pâle, translucide. Ses yeux, autrefois si perçants, étaient maintenant empreints d'une douleur immense.
- « Pourquoi es-tu revenu ? » demanda-t-elle, les larmes aux yeux.
Adrien la fixa sans un mot, avant de murmurer : « Il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit. »
Émilie sentit son estomac se nouer. L'air semblait plus lourd autour d'eux, et chaque fibre de son être lui criait de fuir, mais son cœur la poussait à rester.
- « Qu'est-ce que c'est ? » demanda-t-elle, la voix tremblante.
Il s'approcha lentement d'elle, son souffle glacé effleurant sa peau. « Je ne peux pas partir. Pas encore. »
Le cœur d'Émilie se serra.
- « Pourquoi ? »
Il lui prit la main, et cette fois, elle ressentit un froid mordant qui la fit frissonner. « Parce que je t'ai laissée entrer dans mon monde. Maintenant, tu es liée à moi. »
Les mots d'Adrien résonnèrent dans l'esprit d'Émilie comme une sentence irrévocable. "Liée à lui" ? Elle ne comprenait pas. La confusion la submergea, mêlée à une terreur sourde.
- « Qu'est-ce que tu veux dire ? » balbutia-t-elle, son souffle saccadé par l'angoisse.
Le chimère baissa les yeux, évitant son regard. « Lorsque tu m'as vu pour la première fois, tu as franchi une frontière interdite. Tu as ouvert une porte entre nos mondes. Maintenant, je ne peux pas partir sans toi... et toi, tu ne pourras plus vivre comme avant. »
Émilie recula, la panique montant en elle.
- « Non, ce n'est pas possible. Je suis vivante, je suis ici, toi... toi, tu n'es qu'un fantôme ! »
Un silence lourd tomba sur eux, seulement troublé par le souffle du vent entre les branches. Adrien, le visage empreint d'une tristesse infinie, s'approcha, tendant une main qu'elle hésita à toucher.
- « Je ne voulais pas que ça arrive », murmura-t-il. « Mais maintenant que c'est fait, nous sommes liés par quelque chose de plus puissant que la mort. »
Les larmes montèrent ses yeux. Elle n'avait jamais demandé cela. Tout ce qu'elle voulait, c'était quelqu'un pour combler son vide. Mais cette présence était devenue une malédiction.
- « Que dois-je faire ? » demanda-t-elle, désespérée.
Adrien resta silencieux un instant, son regard perdu dans le vide.
- « Il y a un moyen pour moi de partir. Mais il nécessitera un sacrifice... un sacrifice de ta part. »
Le cœur d'Émilie se serra.
- « Quel genre de sacrifice ? » Sa voix tremblait, bien qu'elle connaisse déjà la réponse au fond d'elle-même.
- « Ton cœur », répondit-il, la voix chargée de mélancolie. « Si tu me le donnes, je serai libéré de ce monde. Mais toi, tu resteras dans l'ombre, affaiblie, souffrant. Ton esprit errera ici, mais ce sera temporaire. Toutefois, il y a une lueur d'espoir : nous serons ensemble pour toujours, liés par ce sacrifice. »
Les mots la frappèrent comme un coup de poignard. Comment pouvait-il lui demander une telle chose ? Était-elle prête à sacrifier sa vie pour le libérer ? Ou serait-elle condamnée à vivre seule, hantée par cette ombre qui la rongeait ?
Adrien, voyant son tourment, s'approcha doucement. Percevant son tourment, s'approcha doucement, son regard empreint de compassion. « Je sais que c'est difficile, » murmura-t-il, « mais pense à la liberté que je pourrais enfin avoir. »
- « Je ne te demande pas de décider maintenant. Mais chaque jour qui passe, je deviens plus faible. Le lien entre nous s'efface, et bientôt, je ne pourrai plus me manifester. Si tu choisis de ne rien faire... alors je disparaîtrai pour toujours. »
Cette phrase la frappa de plein fouet. La perspective de ne plus jamais le revoir lui semblait insupportable. Malgré la peur, une partie d'elle ne pouvait se résoudre à le perdre à nouveau.
- « Pourquoi moi, Adrien ? Pourquoi suis-je la seule à t'avoir vu, à être liée à toi ? »
Il la regarda avec une intensité déchirante.
- « Parce que ta douleur t'a rendue vulnérable. Ta solitude a ouvert une brèche que moi seul pouvais traverser. »
Émilie sentit ses jambes fléchir sous le poids de cette révélation. Elle avait toujours ressenti ce vide en elle, mais jamais elle n'aurait imaginé qu'il puisse attirer quelque chose d'aussi sombre.
Les ombres autour d'Adrien se resserrèrent, comme si elles attendaient son accord. Émilie comprit alors que son destin et celui d'Adrien étaient inextricablement liés.
Dans un élan de panique, elle recula, prête à fuir. Mais les ténèbres s'enroulèrent autour de ses jambes, l'empêchant de s'échapper. Les ombres semblaient vivantes, cherchant à la retenir.
- « Émilie ! » s'écria-t-il, désespéré. « Ne pars pas ! Je ne veux pas te faire de mal. »
La peur et la colère se mêlaient en elle.
- « Tu veux me détruire pour te sauver ! » hurla-t-elle, les larmes aux yeux.
Adrien, blessé par ses mots, laissa un silence pesant s'installer avant de murmurer : « Peut-être que je suis déjà perdu... »
Les ombres, plus menaçantes que jamais, semblaient prêtes à l'engloutir. Émilie, le souffle court, se tourna vers lui une dernière fois.
- « Que dois-je faire ? » murmura-t-elle, à bout de souffle.
- « Prends le risque de m'aimer malgré les ténèbres. Mais sache que cela pourrait te coûter cher. »
Les ombres se calmèrent, comme en attente de sa décision. Adrien s'approcha encore, tendant une main.
- « Fais-moi confiance. Ensemble, nous pourrons briser cette malédiction. »
Leurs mains se frôlèrent, et un courant d'énergie parcourut Émilie. Les ténèbres, bien qu'effrayantes, devinrent familières, comme un écho de son propre cœur. Une lumière douce émana d'eux, repoussant l'obscurité. Émilie, enfin libre de ses chaînes intérieures, réalisa qu'elle était prête à affronter ce qui l'attendait.
- « Ensemble, Adrien. Je suis prête à affronter les ténèbres avec toi. »
Un sourire triste éclaira son visage et l'obscurité autour d'eux sembla reculer un instant. Il s'approcha, et leurs mains se lièrent avec une force nouvelle. La lumière qui émanait d'eux créa un halo réconfortant, unissant leurs âmes dans cette promesse silencieuse.
- « Merci, Émilie. Ta force est ma lumière. Nous allons combattre cette ombre ensemble. »
Il s'éloigna lentement, son corps se fondant de plus en plus dans l'obscurité. Émilie, impuissante, tendit la main vers lui, mais il était déjà trop tard. La brise nocturne semblait emporter les dernières traces de sa présence.
Un vide immense l'envahit, comme si une partie d'elle-même avait été arrachée. Elle tomba à genoux sous le chêne, les larmes roulant sur ses joues. Ses sanglots se mêlèrent au vent, remplissant la nuit d'une douleur silencieuse.
La forêt autour d'elle était étrangement calme, comme si le monde retenait son souffle, attendant de voir ce qu'elle ferait. Mais il n'y avait plus rien à faire. Adrien avait disparu, et avec lui, le peu d'espoir qu'elle avait pu entrevoir.