Point de vue de Estelle
Le crépuscule s'installait doucement, teignant le ciel d'une teinte orangée. La journée avait été longue, et je pouvais déjà entendre les premiers sons des préparatifs du grand repas de la meute résonner depuis la cuisine. Freya et les autres femmes s'affairaient, tandis que les hommes revenaient des patrouilles de la journée, chargés de bois et de provisions.
Je sortis sur le grand porche de la maison principale, observant Rylan, Elyra et Lyam s'activer dans la cour. Leurs petites silhouettes, frêles mais déterminées, se mouvaient dans la lumière déclinante du soir. Ils obéissaient sans mot dire, mais je pouvais sentir la tension dans l'air, une résistance silencieuse qui flottait comme une ombre entre eux et moi.
Freya m'avait dit plus tôt dans la journée qu'Elyra avait travaillé sans relâche, ses petites mains habiles épluchant légumes et triant les épices avec une précision qui l'avait surprise. Un bon début, pensais-je, mais ce n'était pas encore suffisant. Leurs tâches étaient là pour les occuper, mais aussi pour les endurcir, pour qu'ils comprennent enfin leur nouvelle réalité.
"Rylan ! Viens ici," ordonnai-je d'une voix qui ne laissait pas place à la discussion.
Il leva la tête, visiblement épuisé par sa journée à couper du bois avec les bêtas. Il me rejoignit, essuyant son front couvert de sueur d'un revers de manche. Je pris un instant pour le jauger, son regard brûlant de ressentiment me fixant, mais il ne dit rien.
"Le tas de bois n'est pas assez grand pour le feu de ce soir," dis-je en pointant du doigt la réserve qu'il avait ramenée. "Retourne avec les autres et double la quantité. Je veux que ce feu soit visible de l'autre côté de la forêt."
Je vis ses poings se serrer, une lueur de défi traversant ses yeux. Mais il acquiesça, obéissant, se dirigeant lentement vers la forêt avec un groupe de bêtas qui attendaient plus loin. Une petite victoire pour moi, encore une fois.
Je tournai mon attention vers Elyra, qui portait une lourde bassine remplie d'eau jusqu'à la cuisine. Elle vacillait légèrement sous le poids, mais continuait, déterminée. Freya se précipita pour lui prendre la bassine des mains, lui murmurant des mots d'encouragement. Bien. Il était temps qu'elle apprenne ce que signifiait travailler dur.
Je me dirigeai ensuite vers la réserve où Lyam était occupé avec Eira. Ils triaient des herbes, organisant les réserves pour l'hiver qui approchait. Il était si jeune, si innocent encore, mais il devait apprendre. En me voyant entrer, ses petites mains s'arrêtèrent un instant, puis il reprit rapidement son travail, évitant soigneusement mon regard.
"Eira," dis-je en me penchant légèrement pour vérifier les herbes triées, "assure-toi qu'il comprenne l'importance de ce qu'il fait. Si une seule herbe est mal placée, je saurai à qui m'en prendre."
Eira acquiesça sans un mot, son visage restant impassible. Elle savait ce que ma menace implicite signifiait. Lyam aussi, apparemment, car ses mains tremblèrent légèrement avant qu'il ne se concentre davantage sur les plantes devant lui.
Les enfants travaillaient dur, j'en étais consciente. Ils n'étaient pas habitués à une telle rigueur, mais cela ne m'inquiétait pas. La discipline forge le caractère, et s'ils devaient devenir des membres respectables de cette meute, ils devaient passer par ces épreuves. Les souvenirs d'Aelynn s'effaceraient avec le temps, et leurs allégeances se tourneraient vers moi. Tout ce qui restait, c'était de faire plier leur esprit autant que leur corps.
La nuit était enfin tombée quand je revins sur la grande place. Un énorme feu de camp brûlait déjà, ses flammes dansant dans l'obscurité. Rylan et les autres bêtas avaient réussi à accumuler suffisamment de bois, et je pouvais sentir la chaleur rayonnante atteindre jusqu'au porche. Freya et Elyra apportaient les plats, les posant sur la longue table dressée pour le repas.
Les membres de la meute commencèrent à affluer, prenant place autour du feu, bavardant et riant. C'était un moment de communion pour eux, mais pour moi, c'était une démonstration de pouvoir. Mon pouvoir. Ma place dans cette meute était solide, et je comptais bien m'assurer que cela ne changerait jamais.
Alors que je m'installai en bout de table, le regard d'Adrien croisa le mien. Il était assis, silencieux, une expression indéchiffrable sur le visage. Il n'avait rien dit concernant mes décisions, laissant l'autorité me revenir sans un mot. Une partie de moi se demandait s'il voyait, quelque part, la douleur silencieuse dans les yeux des enfants d'Aelynn, s'il regrettait ce qu'ils étaient devenus. Mais cela ne changeait rien. J'avais gagné. La meute était mienne, et je n'avais pas l'intention de relâcher mon emprise.
Quand le repas commença, je levai un verre de vin, un sourire aux lèvres.
"À l'avenir de cette meute, à ceux qui sauront trouver leur place," dis-je d'une voix forte, les yeux brillants de satisfaction.
Les cris d'acclamation retentirent autour de la table, et je vidai mon verre, sentant la chaleur de la victoire se répandre en moi. Mon regard se posa brièvement sur les enfants, qui mangeaient en silence un peu plus loin. Leurs yeux brillaient de défi et de tristesse mêlés, mais ils finiront par comprendre. Tout ce que je faisais, je le faisais pour le bien de la meute.