Suzie et oncle Bibi furent incapables de trouver Babida le bûcheron dans les alentours de la concession. Ce dernier s'était mystérieusement échappé de leur vue.
Ainsi, l'oncle et la nièce laissèrent tomber leur investigation. Du moins, pour un certain temps. Ils rejoignirent grande mamie à l'intérieur de la maison.
La matriarche, comme à son habitude, se relaxait sur sa chaise en rotin tout en sirotant une tasse de Chai chaud : un breuvage composé d'eau bouillante, de thé noir, de lait de vache, de gingembre, et de poivre noir.
"Grande mamie, je vois que tu as fait du Chai." Suzie s'adressa à la vieille dame qui acquiesça.
"Ah, très bien ! Je sers une tasse de cette petite merveille à oncle Bibi également," ajouta-t-elle alors qu'elle saisissait la jarre de Chai brûlant dans sa main droite.
Elle versa un peu de ce liquide dans une tasse qu'elle passa ensuite à son oncle bien aimé.
"Merci, ma petite chérie !" dit-il à sa nièce prévenante, puis ingurgita le thé aux arômes enivrants.
Il étancha sa soif avec quelques gorgées sans prononcer un seul mot. Des instants plus tard, il rompit le silence et parla aux deux femmes dans le salon.
"À présent, je m'en vais chez moi pour m'assoupir," leur dit-il.
"Nous avons eu un après-midi ô combien agité," avança-t-il comme raison.
Aussitôt après, il avala le reste de son thé d'un seul coup puis se retira.
Suzie et grande mamie furent maintenant entre femmes. Elles se regardèrent les yeux dans les yeux. Et comme si elles communiquaient par télépathie, elles déclarèrent avec gravité et harmonie : "Nous devons mettre la main sur ce bûcheron."
C'était une manière forte d'affirmer leur détermination d'aller au bout de cette affaire qui leur restait en travers de la gorge.
Babida qui avait découvert par le fait du hasard le lieu de résidence de son coup de cœur dans l'est dans la cité impériale, Ékulé, la fuyait à présent, ainsi que la foule qui l'encensait.
Sa véritable identité fut démasquée. Il était loin d'être un élagueur comme les autres. Il était Babida le bûcheron, l'étrilleur du monstre de la montagne interdite.
À partir de cet instant, il était conscient que sa vie à Ékulé et au-delà, ne serait plus aussi tranquille qu'elle le fut depuis son retour dans l'empire un an auparavant.
Il marchait en direction du sud de la cité impériale. Son chapeau kufi était baissé jusqu'au niveau de ses sourcils afin que personne ne le reconnût. Il savait que les nouvelles se répandaient comme une traînée de poudre dans la région.
L'élagueur arriva dans son humble demeure, une cabine en bois d'ébène constituée de deux pièces. Il se déchaussa et posa ses sandales en cuir sur l'étagère à chaussures à l'entrée de la porte, sur la gauche. Il alla ensuite au milieu de l'espace principal et s'allongea sur le tapis en laine parfumé.
Il fixa longuement le plafond au-dessus de sa tête au point de se perdre dans les profondeurs de ses pensées. Une lumière en mouvement apparut et forma un cercle au centre de la toiture.
L'image de la jeune demoiselle en robe rose, la belle Suzie, refit surface. Elle souriait radieusement, faisait des clins d'œil étoilés, et enfin soufflait des bulles de baisers d'amour qui lui sortaient de la main droite.
Le bûcheron enamouré s'égara davantage dans son rêve idyllique jusqu'à ce que…Burrr!