Chereads / Le bûcheron et la belle Suzie / Chapter 2 - Prologue (2)

Chapter 2 - Prologue (2)

La nuit était complètement tombée sur Ékulé. Babida était couché sans haut sur son lit fait de bois d'ébène, et portait son pantalon du soir. Il se remémorait sa rencontre fortuite dans la journée avec la belle demoiselle inconnue.

L'image de la jeune femme à la peau foncée et aux cheveux bouclés, vêtue d'une courte robe rose en soie avec un nœud papillon à l'avant, ne lui quittait pas de la tête.

Le tout-puissant bûcheron était frappé par une violente vague qui le transporta ensuite dans toutes les directions, le faisant perdre le contrôle de soi. Pour la première fois depuis bien longtemps, il se sentit vulnérable. Sa fascination pour la jeune et ravissante demoiselle était devenue virale.

"Je me demande où peut bien vivre la jolie inconnue en robe rose?" chuchota Babida.

"Je parie qu'elle réside dans le village voisin, Okala. Je ne l'ai jamais vue dans les parages," se persuada le bûcheron.

"Demain très tôt le matin, avant de me rendre dans la forêt d'Ékulé, je m'arrêterais à Okala pour la y regarder," conclut-il avant de s'endormir.

À l'aube, Babida se réveilla. Il s'apprêta, mais d'une façon un peu particulière. Il contempla son reflet au travers du miroir de la salle de bain, rasa sa grosse barbe et coupa les poils débordants de sa moustache. Ensuite il se frotta le visage avec du jus de citron afin d'éradiquer les cellules mortes et les boutons récalcitrants.

Et après un lavage du corps très appuyé, il aspergea du parfum de rose sur ses aisselles, son cou, ses joues et enfin sa poitrine immense. Il en versa quelques gouttes sur les paumes de ses mains et se les passa sur le visage et le reste de sa stature.

Pour couronner le tout, il porta un long boubou blanc immaculé, lequel était assorti d'un chapeau kufi marron et de sandales en cuir de la même couleur.

Paré, il prit le chemin d'Okala et arriva dans les artères principales du village. Elles étaient comme d'habitude extrêmement bruyantes. Marchands de charbon, bouchers, vendeurs de poisson, couturiers, bijoutiers, acheteurs, passants, et gamins courant partout, animaient les rues.

Babida commença son enquête. Il demanda aux piétons s'ils connaissaient la cachette d'une jeune dame noire et mince âgée de dix-huit ans ou plus et à qui allait à la perfection une robe en soie, notamment de couleur rose et sur laquelle étaient nouées des ficelles sur la face avant.

Personne n'avait idée d'où pouvait bien être terrée la belle demoiselle. Désespéré, Babida se posa un instant. Il se mit dans un coin, réfléchissant à ce qu'il pouvait entreprendre par la suite. Une bande de trois gosses à peine la douzaine d'années qui jouaient par là et avaient remarqué son abattement, s'approchèrent de lui.

Un des adolescents qui semblait être le chef des autres, lui parla et affirma dans un ton impérieux : "Ho! Je connais quelqu'un qui peut vous aider à retrouver celle que vous cherchez."

Babida fut agacé par le manque de tact du petit garçon mais préféra se focaliser sur comment celui-ci pouvait l'assister dans sa quête.

"Oh vraiment ? Eh bien, parle donc! Je suis tout ouïe," réagit l'élagueur.

"Là sur votre gauche, tout droit, se trouve la rue de la sorcière," lui dit le gamin, pointant la direction avec son index.

"Allez-y et toutes vos zones d'ombre seront éclairées," commanda-t-il.

Sans perdre plus de temps, Babida se dirigea vers le lieu indiqué. À mesure qu'il avançait, le chemin s'assombrissait. Et soudainement, le tonnerre fendit le ciel et s'abattit sur la terre.

Le costaud bûcheron fut saisi de peur qu'il s'évertua tant bien que mal de masquer. Il se rapprocha davantage et une boule de lumière apparut devant lui.

Il en émergea une sorcière qui survolait le sol et était habillée avec une tunique noire munie d'une capuche qui lui couvrait la tête. Elle baissa les yeux et regarda dans le vide pendant qu'elle bougeait ses longs ongles marrons comme si elle pianotait.

"Toi, Babida, le bûcheron…! Quelle raison t'amène dans ma demeure sans invitation ?" La sorcière interrogea le visiteur impromptu.

"Pardonnez-moi, votre Oracle! J'aurais bien voulu annoncer ma venue chez vous. Cependant, au vu des circonstances exceptionnelles, je ne pouvais malheureusement m'y atteler." Babida se défendit tout en se prosternant devant la sorcière.

"Tu paieras donc le prix de ton audace. N'est-ce pas ?" exigea l'enchanteresse à l'homme soumis.

"Et à combien s'élève-t-il, votre Oracle ?" Babida s'enquit tout en maintenant sa position révérencielle. Les genoux fléchis, le front et le nez à même le sol, les bras étendus vers l'avant et les paumes de mains enfouies dans le sable.

"Dix Bantagi impériaux !" Lui répondit la sorcière.

"Vos désirs sont des ordres, votre Oracle," s'exprima Babida pour marquer son accord.

"Eh ben, que puis-je faire pour toi?" Demanda l'oracle au bûcheron.

"Il y a une jeune demoiselle noire de petite corpulence âgée de dix-huit ans ou un peu plus avec des cheveux soufflés que j'ai rencontrée par aubaine dans la forêt d'Ékulé alors que je coupais du bois. Elle portait une mini-robe en soie de couleur rose disposant de fils sur les côtés qui étaient attachés à l'avant en forme de nœud papillon. Je suis à sa recherche mais sans résultat," confia Babida à la magicienne qui l'écoutait attentivement.

"Hummm, je constate que le grand et fort bûcheron a été dompté par la folie de l'amour," chambra l'oracle.

"Maintenant, voici ce que je t'ordonne de faire. Retourne dans la forêt d'Ékulé et inspecte le lieu où tu posas tes yeux sur la belle demoiselle, puis ramène-moi un objet qu'elle aurait touché ou laissé derrière elle." La sorcière instruisit l'élagueur.

"Vos désirs sont des ordres, votre Oracle," Babida lui répéta, puis se leva et marcha en arrière, le dos légèrement incliné et le visage fixé au sol.

En l'espace de quelques secondes, il sortit de la rue de la sorcière et le village retrouva son aspect ordinaire. Le soleil se remit à briller, les oiseaux planaient haut dans le ciel, les gens allaient et venaient, les enfants se mouvaient frénétiquement dans les rues, les vendeurs aguichaient les clients potentiels.

Babida prit le chemin du retour à Ékulé.

Il pénétra les rues principales de la cité impériale qui étaient aussi vivantes que celles d'Okala. Les adultes vaquaient à leurs occupations quotidiennes et faisaient du vacarme. Ils se précipitaient ici et là. Ils s'occupaient de leurs enfants et allumaient du feu pour le repas de midi.

Ils étaient engagés dans nombre d'activités mais aucune ne parvint à distraire Babida qui était concentré sur sa mission : atteindre la forêt d'Ékulé et obtenir ce dont avait besoin la sorcière.

Il marcha à travers les rues du centre d'Ékulé en direction de l'ouest jusqu'aux limites de la zone résidentielle, puis entra dans les bois.

Sans tourbillonner, il se rendit directement à l'endroit où la belle inconnue ramassait des champignons. Il retourna les pierres et dégagea du pied droit ensuite du gauche, les feuilles caduques qui jonchaient le sol.

Il avait presque perdu espoir de mettre la main sur un signe d'existence de la jeune demoiselle lorsqu'il vit un objet qui était tapi dans la verdure dix mètres au loin.

Il s'en approcha et le souleva. C'était un bracelet de perles délié. Il l'observa de très près et après un bref instant, il s'écria : "Tiens, tiens! Est-ce ce dont je pense que c'est ?"

Puis il déclara avec emphase : "Oui, évidemment ! Il s'agit bel et bien d'un bracelet de cheville pour femme. J'en suis convaincu."

"Oh, oh! Attends une minute ! Je me trouve à l'endroit exact où je m'étais adressé à la demoiselle avant qu'elle prît la poudre d'escampette," constata l'élagueur.

"Ainsi, ce joyau doit certainement lui appartenir. Sans doute qu'il se détacha de son pied, probablement au moment où elle sursauta et se déplaça à reculons," dévina Babida.

"J'apporte ça à la sorcière à Okala," dit-il avant de se retirer de la brousse.