Quelques instants plus tôt, du point de vue d'Armand. Il arriva sur le même toit que la veille, en face de la place où trônait la forteresse d'Argent. Il s'accroupit quelques secondes pour analyser la zone, ses yeux prenant une teinte jaune pour mieux repérer ce qui pourrait être dissimulé par la magie
Il ne remarqua rien de vraiment dangereux, pas même un piège, ce qui l'étonna. Les gardes semblaient même moins nombreux que la veille. Il pensa que c'était une aubaine que leur vigilance se soit relâchée, faisant le lien avec l'arrestation qu'il avait observée.
"J'imagine que le type qu'ils ont arrêté était leur priorité," murmura-t-il.
Il se mit sur un genou, pointant du doigt le sommet d'un des bâtiments de la forteresse, et enveloppa son doigt d'une aura indigo.
"Allez, je ne l'ai jamais fait d'aussi loin, il y a une première fois à tout !" pensa-t-il à voix haute.
Il concentra la magie autour de son doigt et lança une boule fumante de magie sombre. Sa petite taille et l'obscurité de la nuit la rendaient discrète. Elle s'éloigna suffisamment et, une fois qu'il jugea qu'elle était à peu près à l'endroit voulu, il ferma le poing. La boule explosa silencieusement, créant une petite brèche au-dessus du toit en pierre.
Il fit un léger mouvement dans l'air, créant une deuxième brèche, liée à celle sur la forteresse. Il y passa d'abord sa tête pour vérifier si la voie était libre, et il n'y avait personne. Sa tête, proportionnelle à la taille de la brèche, semblait plus petite que la normale. Il s'y engouffra totalement et, une fois que tout son corps eut traversé la brèche, il retrouva sa taille normale comme par magie.
"Cette sensation... je ne m'y ferai jamais. J'appellerai ça la "réfraction indigo", mais bon, je ne suis pas du genre à crier le nom de mes attaques," dit-il en haletant légèrement.
Il s'accroupit à nouveau et se déplaça furtivement le long du toit, évitant soigneusement les rares patrouilles de gardes qu'il apercevait en bas. Ses pas étaient silencieux et il progressait lentement vers le bâtiment central, une tour qui se dressait au milieu de la cour intérieure de la forteresse. Levant ses yeux jaunis vers le sommet de la tour, il remarqua que la magie à l'intérieur était brouillée, probablement par des objets conçus pour l'éloigner, empêchant ainsi les détenus de l'utiliser.
Cependant, il aperçut une faible canalisation de magie provenant du dernier étage. Elle changeait de forme jusqu'à devenir une sorte de corde ou de fouet. L'objet se déplaçait comme si quelqu'un le tenait et semblait ensuite être utilisé pour frapper quelqu'un.
Armand serra les dents et répéta l'opération qui lui avait permis de monter sur ce toit, mais cette fois, il visa le sommet de la tour. Une fois sa boule fumante lancée, il la fit exploser juste au-dessus de la tour et créa un portail pour se transporter sur le toit de la tour. Il entendit effectivement des bruits de coups et les voix de deux hommes, mais un léger bruit derrière lui l'interpella.
Il se retourna en panique et vit une cage à oiseaux contenant un cyanocrius à tête rouge. L'oiseau semblait prêt à crier en gonflant ses poumons. Armand leva un bras et claqua des doigts, insufflant une légère magie entre ses doigts. L'oiseau s'arrêta net, se calmant instantanément comme s'il était sur le point de s'endormir.
"Je l'ai échappé belle... Heureusement que ça marche comme avec Pica."
Soudain, il entendit les gémissements de douleur d'un homme s'intensifier à travers le sol du toit. Il créa une sorte de grappin avec une corde grâce à son aura orange qu'il fixa au bord du toit avant de se laisser tomber à l'endroit où il voyait le flux de magie émis par le fouet. Il posa sa main, à nouveau imprégnée d'aura indigo, sur le mur et se concentra, fermant les yeux et essayant de faire passer sa magie à travers les pierres du mur. Heureusement pour lui, elles n'étaient pas toutes parfaitement taillées, ce qui permit à l'indigo, semblable à la fumée, de s'y infiltrer.
Il créa une petite brèche devant son œil gauche pour pouvoir voir à l'intérieur de la cellule. À travers cette ouverture, il reconnut immédiatement Saukel, le marchand, fouettant avec rage un détenu massif de dos. Armand serra le poing et retira son œil de la brèche qu'il fit disparaître. Il reprit le contrôle de l'autre brèche, la déplaçant progressivement vers le plafond de la cellule. Une fois positionnée, il l'agrandit petit à petit, libérant plus de fumée indigo dans la pièce.
"Tiens bon... !"
Les deux hommes à l'intérieur remarquèrent la fumée qui envahissait la cellule. Armand jugea que c'était le moment d'agir. Il lança une boule indigo sous lui, la laissant tomber presque jusqu'au sol avant de la faire exploser. Heureusement pour lui, il n'y avait personne à cet endroit. Il fit disparaître le grappin et la corde qui le maintenaient en l'air, puis tomba de la tour. Pendant sa chute, il ajusta sa position du mieux qu'il put et s'engouffra dans la brèche, qui se dissipa aussitôt.
Il émergea dans la cellule plongée dans la fumée et atterrit sur Saukel, le plaquant au sol avec toute la vitesse accumulée lors de sa chute. Voyant son visage de plus près, il ne put plus se contrôler et accumula de la magie autour de son poing, le rendant rouge. Il frappa Saukel au visage avec une force telle que la tour trembla légèrement.
Par chance, son modeste masque tenait toujours sur sa tête, et Saukel était désormais hors d'état de nuire. Il se retourna vers le détenu qui avait l'air en panique.
"Ne t'en fais pas, je suis ici pour mettre un terme à tout ça."
Il visa les liens de l'homme avec ses doigts et lança des rayons suffisamment puissants et chauds pour les détruire. L'homme, enfin libéré, se leva lentement.
"Qui... qui es-tu ? Pourquoi tu... ?" balbutia Bojan.
Il retire sa mitaine droite pour dévoiler son tatouage au détenu. Ce dernier, reconnaissant immédiatement le symbole, regarda le livre d'images au sol puis Armand à nouveau, comprenant tout de suite ce que c'était. Armand sourit sous son masque, puis il remit sa mitaine et se retourna, parlant à Bojan par-dessus son épaule.
"Je suis juste quelqu'un qui n'a rien à perdre."
Armand enjamba le corps de Saukel avant d'ouvrir la porte de la cellule, que Saukel avait laissée entrouverte. Il regarda autour de lui et remarqua deux autres cellules similaires, mais elles étaient vides.
"Tu étais seul ici ?" demanda-t-il à Bojan.
Bojan baissa les yeux, visiblement coupable de quelque chose.
"Non, j'étais avec une jeune femme depuis une quinzaine d'années, mais elle a été emmenée ailleurs. Elle sera vendue à un riche pour une énorme somme d'argent. Je fais partie du lot, mais c'est elle que ce banquier veut vraiment. Je ne suis qu'un bonus."
"Depuis une quinzaine d'années... Bon sang," murmura Armand, se rappelant Bojan dans la cage recouverte d'un drap lors du marché de Saukel. Il se remémore également une autre personne à ses côtés, dont le visage était caché sous une grande capuche.
"Attends, je te reconnais. Tu étais dans cette cage ce jour-là ! Et la fille, c'était celle qui avait le visage caché ?" demanda Armand.
"Vous étiez présent ? Oui, c'était bien elle. Vous n'avez pas assisté à la suite ?"
"Non, j'étais... avec quelqu'un qui m'a pressé de partir pour éviter les problèmes," lui répondit-il tout en secouant la tête.
Bojan soupira, ses traits marqués par le regret et la culpabilité.
"Je vois, vu ce qui s'est passé, c'était sûrement la chose la plus sage à faire."
Bojan lui expliqua ensuite tout ce qui s'était passé avec Edgar Baring ce jour-là. Il s'en voulait terriblement d'avoir enlevé la capuche de Carolina. Il pensait que cela allait rebuter l'homme, mais au contraire, cela l'avait encore plus convaincu. Quoi qu'il arrive, ils étaient destinés à être vendus à cet homme, vu la discussion qu'il avait eue avec Saukel avant que Bojan ne les dérange en s'agitant dans la cage.
"Tu dis que son visage aurait dû le dissuader ? Pourquoi ça ?
"Carolina, je veux dire cette fille, appartient à une ancienne 'race', si je puis dire. Les Mèches Blanches. Ces personnes étaient caractérisées par une mèche de cheveux entièrement blanche, indélébile, et possédaient une force et une maîtrise de la magie exceptionnelles. Cependant, ils étaient très pacifiques et se sont fait duper par le roi il y a des siècles, jaloux de leurs talents. L'histoire minimise les faits, mais c'était un véritable génocide, et il y eut peu de survivants."
Armand resserra les poings, sa colère montant progressivement, faisant virer ses yeux au rouge instinctivement.
"Pour une mèche... ? Tu as une idée d'où elle pourrait être ?"
"Je ne connais que deux endroits dans cette prison. Cette tour et le purgatoire au sous-sol de la forteresse. Cependant, ça m'étonnerait qu'elle y soit. Vu le prix de Carolina, ils doivent la garder dans un endroit encore plus protégé que le purgatoire," répondit Bojan.
Alors qu'ils discutaient, ils entendirent des voix venant d'en bas des escaliers. Armand fit un signe à Bojan pour ne pas faire de bruit et écouter ce qui se passait.
Plus bas, au niveau du troisième étage, là où Saukel était monté pour rejoindre les cellules spéciales, deux gardes discutaient du tremblement qui venait de se produire.
"Un tremblement de terre ? Impossible, idiot ! Il n'y en a jamais eu à Auroria," dit le premier garde d'un ton incrédule.
"Qu'est-ce que tu penses que c'était alors ? La porte des escaliers vers le sommet de la tour a été mal fermée," répliqua le second garde, cherchant une explication rationnelle.
"J'ai vu Saukel traîner ici tout à l'heure. Le connaissant, il a sûrement dû monter," fit remarquer le premier.
"Laisse-moi aller vérifier. Madame Octavia avait formellement interdit à toute personne d'y monter," déclara le second.
Le premier garde acquiesça et le laissa monter les escaliers, ignorant ce qui l'attendait. Armand et Bojan l'entendirent donc monter et Armand se prépara à une attaque surprise, mais Bojan posa sa main sur son épaule comme pour l'arrêter.
"Attends, petit. Laisse-moi me défouler un peu," suggéra Bojan.
Il serra le poing et de légers éclairs en sortirent, ce qu'Armand trouva très impressionnant avant de se mettre en retrait. Il se cacha derrière un mur tandis que Bojan retournait dans sa cellule comme si de rien n'était. Le garde arriva au sommet et ne vit que Bojan, la porte de sa cellule semblant fermée. Avec la faible lumière de la pièce, il ne remarqua rien de suspect et Saukel n'était nulle part en vue.
"Étrange..." murmura le deuxième garde, se préparant à faire demi-tour.
Soudain, un lourd bruit de pas retentit derrière lui. À peine eut-il le temps de se retourner que sa tête fut écrasée entre les poings géants de Bojan, chargés d'électricité, l'assommant instantanément. Le garde s'effondra au sol.
Armand sortit de sa cachette en jetant avec dégoût le corps inconscient de Saukel qu'il avait caché avec lui. Bojan lui sourit, satisfait, en se craquant les doigts, des éclairs crépitant à nouveau autour de ses mains.
"Quel bonheur de ressentir à nouveau la magie après tant d'années !" s'exclama Bojan, la voix teintée d'une satisfaction.
Fin du chapitre 13.