Un battement, voilà tout ce qu'elle entendait. À peine consciente, Malnora était bloquée dans sa capsule éjectable. Depuis quand s'était-elle endormie ? Elle ne le savait guère ; cependant, la sensation désagréable qui parcourait ses jambes lui indiquait clairement que sa situation ne datait pas d'hier. Rassemblant les dernières forces qui lui restaient, elle tendit le bras vers le mécanisme d'ouverture, mais celui-ci ne répondit pas à la faible pression de sa main fatiguée.
La porte est bloquée. Était-elle condamnée à se voir mourir lentement dans ce piège de crystal ? Prise de panique à l'idée d'y rester, Malnora frappa violemment contre la porte de la capsule. Dans ses efforts, elle sentit un faible courant d'air passer par les fentes de la cabine. Alors, elle s'arrêta net. Si elle sentait de l'air, la porte ne pouvait pas être verrouillée sous pression.
De même, elle comprit rapidement qu'heureusement, son espèce était immunisée contre les toxines présentes dans l'atmosphère gazeuse de Nekea. Cela l'alerta d'autant plus, car ce n'était pas le cas de tous les membres du personnel à bord.
Son souffle s'accéléra, Malnora se remit au travail. Utilisant un fragment brisé d'une barre de métal comme levier, elle força l'ouverture, ou plutôt, elle créa une fine interstice entre la porte et l'extérieur. Un espace certes inconfortable, mais qui lui permettrait de s'extraire de la navette. Ses jambes n'avaient plus la force de la porter. Alors Malnora se mit à ramper.
Une fois sortie, elle constata l'ampleur des dégâts. De sa navette, il ne restait plus que sa cellule de maintien. Et encore, si on pouvait appeler cela une «cellule». Une question l'obsédait avant toute autre chose. Où sont les autres ?
En se fiant à l'orientation de la navette, Malnora parvint à déduire approximativement la position du vaisseau mère. Un simple calcul de géométrie et de physique, rien de bien compliqué pour une scientifique comme elle. Ce n'était pas si loin, se dit-elle. Alors, animée par une subite frénésie, née d'un courage désespéré, elle ne prit même pas le temps d'observer les alentours avant de se lancer dans son odyssée. Son salut devait se trouver par là-bas.
Plus elle avançait et plus c'était difficile, ses forces la lâchaient. Hors, bien que le crash ait largement déboisé la zone, le sol n'en reste pas moins tortueux. Elle s'arrêta de respirer pendant quelques secondes, exténuée ; elle sentait déjà ses limites.
Chaque battement de son coeur était plus lourd que le précédent. Elle s'effondra. Lorsqu'elle reprit conscience, Malnora eut l'impression de voir une forme se mouvoir au loin. L'ombre s'avança puis sembla s'effacer. Qu'était-ce ? Malnora était trop fatiguée pour avoir peur.
Malgré cela, elle avait récupéré suffisamment de forces pour se tenir debout. Son coeur s'était calmé, il suivait maintenant lentement le rythme de sa respiration saccadée. Ses jambes semblaient enfin commencer à lui obéir. Elle en avait presque oublié la sensation que lui procurait le simple fait de les plier.
"Le vaisseau." Dit-elle faiblement.
Elle boitait tant les piques de douleur étaient insupportables, mais c'était déjà ça. D'autres ombres s'étaient jointes à l'évènement. Elles se mouvaient lentement entre les branchages, mais Malnora, se contentait de les ignorer.
Lorsqu'elle fit à nouveau un pas, les ombres se figèrent. Les observaient-elles ? Sûrement. Mais cartésienne, elle ne pouvait prendre en compte les scénarios où elles seraient hostiles.
Alors, elle avança encore tant qu'elle le pouvait, elle le devait, elle le savait, et ce malgré la douleur constante qui revenait petit à petit là, sous sa poitrine. Elle n'était plus très loin. Malnora s'appuya contre un arbre ; celui-ci semblait toujours tenir debout, intact, parmi les décombres du cataclysme. Il était immense. À son contact, elle eut presque la sensation d'un battement ; ses sens lui jouaient probablement des tours, elle était si fatiguée.
Tout était trouble, et les arbres, surtout de cette taille, ne bougent pas. L'une des ombres s'avançait vers elle. La forme obscure ressemblait de plus en plus à une chose familière.
" Capitaine ?" S'écria telle.
Elle voulut courir vers lui pour le rattraper, mais elle était trop lente. Lorsqu'elle fut enfin à l'endroit où elle avait pu observer son ami, il n'y avait déjà plus rien. Pas même le signe d'un mouvement. Elle se dit qu'elle avait dû halluciner sous la fatigue, et puis, après tout, n'importe quoi peut ressembler à un visage de loin.
La situation était de plus en plus désespérée. Malnora, elle-même, avait du mal à imaginer comment elle pourrait s'en sortir. Pourtant, comme une lueur d'espoir, une lanterne dansa dans le vide, éclairant les ténèbres du crépuscule. Elle vit une nouvelle fois le visage de son ami au loin.
Il semblait l'inviter à le suivre. Elle n'arrivait plus à distinguer la folie de la raison, son sourire, son regard. Il était là et il lui inspirait confiance. Pourtant, encore une nouvelle fois à son approche, il n'était déjà plus là. Elle trébucha sur branche et s'effondra, mais lorsqu'elle se redressa, ce qu'elle vit était bien réel. Le vaisseau, il était là également. Plus intact qu'elle ne l'imaginait, bien qu'il fût clairement fracturé. Il ne restait devant ses yeux que le pont principal et le cockpit. Certes, mais son équipage devait être là.
Malnora toussa bruyamment. Elle était encore loin d'avoir fini son périple. Un pas après l'autre, il suffisait de marcher, sans réfléchir, juste faire fonctionner les vieux rouages de son corps abîmé. Ce fut les plus longues minutes de sa vie. Les plus douloureuses aussi, mais elle était là désormais, avec son aide, ils pourraient s'en sortir. Et... elle ne le réalisa que maintenant, pendant qu'elle poussait lentement les quelques débris qui gênaient l'entrée de l'habitacle.
Il ne pouvait pas être en vie.
Comment aurait-il pu respirer l'air de Nekea ? D'ailleurs, avant même cela, comment aurait-il pu survivre au crash ? Elle avait déjà elle-même été bien trop chanceuse ; à combien s'évaluer leur chance ? Pratiquement nulle, peut-être même moins encore si cela était possible. Voilà ce qu'il en était vraiment. Ce n'est pas pour rien que ce sont les robots qui sont toujours envoyés comme premiers contacts. Des larmes coulaient sur ses joues, elle comprenait maintenant ce qu'elle verrait si elle allait plus loin.
Ses forces la lâchaient, ses yeux se fermaient d'eux-mêmes. Exténuée, elle ne pouvait lutter plus longtemps contre son propre corps. Juste avant de s'effondrer, elle eut de nouveau l'impression de voir une ombre sinuer devant elle.