Quelque part, au sein de la cour inférieure, alors que l'obscurité accompagnait le sommeil des Hall et que la pluie faisait rage telle une berceuse, une ombre gigantesque était en train de se mouvoir entre les différentes cases sans produire le moindre son, tel un fantôme.
Les nitous éveillés l'apercevant, se recroquevillaient dans leurs couches sans oser ne serait-ce qu'émettre un grognement, beaucoup trop effrayé par l'apparence horrifique de cette ombre géante.
Soudain, l'ombre disparue, s'étant glissée dans l'étreinte d'une case isolée dans cette grande cour.
Contrairement aux autres cases, le propriétaire de celle-ci semblait éveiller.
Les très légers bruits à peine perceptible résonnant par intermittence provenant de la pièce la plus profonde témoignaient de ce fait.
L'intérieur était dans un saccage complet, on pourrait croire à tort que son résident n'était pas un familier du ménage, mais il serait plus juste de penser qu'une tempête était le résultat de cela.
En effet, avant de pénétrer la case, l'ombre avait vu de multiples traces de pas devant l'entrée, témoignant du passage du groupe de la grande guerrière Milkha et que ces derniers ne s'étaient pas donné la peine de ranger après le désordre occasionné.
S'enfonçant profondément dans la case, l'ombre descendit les escaliers le menant à la pièce la plus profonde, l'atelier.
À l'intérieur, on pouvait observer un homme âgé, de courte taille, au gabarit imposant, possédant un visage sévère mis en évidence par sa longue barbe crasseuse mal entretenue.
Cet homme était Hajim.
Un des tout meilleur artisan de Hallguna, celui qui avait reçu le surnom de ''Hajim aux mains sacrées'' par le précédent Kachi.
À une heure où il devait être plongé dans les bras de Morphée, Hajim était en train de travailler durement.
Son corps, entièrement couvert de sueur prouvait les efforts qu'il mettait à l'ouvrage.
Il taillait les pointes des lances pour les rendre les plus perforantes possibles et aiguisait les lames pour les rendre plus tranchantes que tout.
Il était tellement concentré sur son travail qu'il ne remarqua même pas la présence de l'ombre qui privait la pièce de toute sa lumière.
>> C'est alors que l'ombre parla :
<< Tu es tellement investi dans ton travail que tu ne remarques même pas ma présence, Hajim.''
Au son de la voix grave et monotone venant de derrière lui, Hajim fut pris d'une peur sans précédent.
Hurler !
Hajim cria de tout son être, s'effondrant à même le sol et se retournant dans la panique pour regarder qui était la source de ce son.
Devant lui se tenait un être recouvert d'un grand et épais manteau sombre comme la nuit, ainsi que d'un masque entièrement noir portant des dessins à la coloration rouge sang, lui donnant un air effroyable et imposant.
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À sa vue, le cœur de Hajim battant intensément jusqu'au point de rupture se mit lentement à reprendre un rythme plus régulier.
<<… Alors c'était vous… Kric.'' Dit Hajim avec soulagement.
(Je ne l'ai même pas entendu arriver, il est vraiment trop effrayant.)
Une fois son cœur totalement apaisé, il se leva, se rasseyant sur un banc en face du Kric qui se tenait debout.
<< Si nous étions à la surface et qu'il n'y avait pas cette forte pluie, un tel hurlement aurait alerté vos voisins.'' Dit le Kric toujours sur un ton monotone.
>> Un peu gêné par la réaction qu'il venait d'avoir, Hajim s'excusa en se grattant l'arrière de la tête :
<< Hahaha ! Veuillez m'excuser d'avoir réagi ainsi, Kric. C'est que j'étais concentré sur ma tâche et je n'ai pas remarqué votre venue. Je n'ai aussi pas pour habitude de recevoir des visites à cette heure et encore moins dans cette pièce.'' Finit-il ironiquement.
>> Ramassant une lame et caressant son tranchant, le Kric dit :
<< Je ne pensais pas que vous travaillerez à cette heure…''
>> Perdu dans ses pensées, Hajim répondit avec un sourire sur les lèvres :
<< Par le passé quand je m'investissais profondément dans le travail au point d'oublier de me nourrir ou de dormir, c'était Hajin qui me rappelait à l'ordre, m'obligeant constamment à faire une pause, et me rabâchant sans cesse à chaque fois que travailler autant nuisait à ma santé…''
''…''
<< Depuis sa mort, je n'arrive plus à dormir… Il n'est plus là pour m'arrêter et c'est tant mieux. Grâce à ça, je peux fabriquer autant d'armes que possible qui seront utiles pour le jour où nous renverseront l'idykachi.'' Dit-il en serrant les dents de colère alors qu'il ramassait une lance pour continuer son dur labeur.
>> L'interrompant dans son élan, le Kric dit :
<< Non, c'est assez. Ce dont j'ai besoin pour ce jour que nous désirons tous, c'est d'un Hajim bel et bien vivant et non, de son cadavre.''
<< Euh… Mais…''
<< …Sache que pour assister à la vengeance de ton fils, tu as besoin d'être en vie, Hajim.''
À ses mots, Hajim n'arriva plus à parler.
Il avait une boule dans la gorge et pour se libérer de cette sensation étouffante, Hajim s'effondra complètement, pleurant de toute son âme.
Il ne savait pas combien de fois il avait pleuré la mort de son fils.
Une dizaine… Une centaine de fois ?
Il ne connaissait pas la réponse…
La seule chose dont il était sûr, c'est qu'il avait raison de pleurer, son deuil n'était pas fini, pas tant que l'idykachi continuerait à dormir paisiblement sur ses deux oreilles.
Il pleurera encore et encore, à chaque fois que ses émotions prendront le dessus, il continuera à verser des larmes, pour qu'une fois Hajin vengé, les seules émotions lui restant soient la joie, le bonheur et la gaieté.
Habel derrière son masque de Kric observa Hajim en silence, perdu dans ses pensées.
… Il essayait de comprendre Hajim.
Il avait également connu le deuil d'une personne à laquelle il était très attaché, son grand-père Vald.
Pourtant, à contrario de Hajim, il n'avait pas lâché une seule larme le jour de son décès.
Sa grand-mère Maha, elle, avait énormément pleuré.
Il s'était demandé s'il était étrange…
Depuis, à la mort de chaque personne dans le village, les personnes les plus proches du défunt fondaient toujours en larmes et s'écriaient fortement afin d'apaiser leur peine.
Et c'était à chaque fois pareil, comme s'il existait une entente tacite entre eux dans le procédé de commémoration d'un mort.
La première fois qu'il vit cela, il eût l'impression d'être en face d'une pièce de théâtre comme il en avait vu chez la griotte, certaines personnes interprétant des rôles pendant qu'elle racontait une histoire.
C'était similaire à un de ces moments où les personnages devaient exécuter leur meilleure représentation dramatique.
Il avait également vu une petite fille dont le nitou était décédé se mettre à pleurer sans aucun moyen pour ses parents de la consoler, peu importe leurs efforts.
Quand il avait posé la question à sa grand-mère s'il était bizarre de ne pas être triste et de pleurer comme les autres quand une personne mourrait, elle lui répondit :
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...Était-ce vrai ?
Est-ce la raison pour laquelle à chaque fois qu'il pensait à un moment passé avec son grand-père, la seule chose qui lui venait naturellement était un sourire.. ?
Il n'avait pas encore la réponse à cette question, après tout, il était rarement sujet à de telles émotions excessives.
La colère et la haine qui émanaient fortement de Hajim à l'encontre du Idykachi l'avaient presque poussé à se suicider à cause de ses efforts excessifs.
Cela fit prendre conscience à Habel de quelque chose d'important au cas où il serait un jour lui aussi sujet à de telles déviations.
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C'était là une des premières leçons que Habel tirait de sa propre expérience de la vie.
>> Se remettant peu à peu de ses émotions turbulentes, Hajim s'excusa :
<< Pardonnez-moi Kric pour vous avoir montré une apparence aussi laide de moi. Je ferai comme vous dites, je vais davantage prendre soin de ma santé.''
'J'avais prévu de l'annoncer que Silha, celle qui porte l'enfant de son fils avait été choisie comme sacrifice, mais j'ai changé d'avis. Ses émotions ne sont pas assez stables pour l'annoncer… Il le découvrira le jour venu comme tout le monde.'
>> Toutefois, il était satisfait que le mauvais zèle de Hajim se soit quelque peu atténuer, alors Habel dit :
<< Il semblerait que vous ayez reçu la visite de la grande guerrière Milkha et de ses hommes aujourd'hui.''
<< Oh, c'est vrai ! C'étaient des saccageurs ! Ils ont tout retourné dans ma case, jusqu'à mon atelier et ils sont repartis sans rien ranger, même pas des excuses !'' fulmina Hajim.
<< Vous ont-ils dit ce qu'ils recherchaient ?''
<< Non, ils ont juste procédé à la fouille sans mon autorisation.''
<< Hum… Je vois. J'ai deux hypothèses sur le but de leurs recherches. La première est qu'ils essayaient de trouver nos tenues d'assemblée.''
>> Surpris, Hajim s'écria :
<< Quoi ? Si c'était leur but alors ils auraient réussi à trouver mon manteau et mon masque avec cette fouille minutieuse. Heureusement que vous nous aviez dit de tout brûler lors de la dernière réunion. Mais est ce que vous êtes sûr que c'était bien ça qu'ils recherchaient ? »
<< Non, ce n'était là qu'une de mes deux hypothèses. La seconde est celle-ci.''
Habel tendit un bout de tissu à Hajim que ce dernier saisit.
<< Déplier le et regarder son contenu.'' Lui dit Habel.
Hajim s'exécuta.
À l'intérieur, il vit de nombreuses mèches de cheveux, mais pas une habituellement visible sur Hallguna, elles avaient une couleur rouge.
Surpris, Hajim se pressa de les sentir pour vérifier si leur couleur était le résultat d'une coloration, mais à son grand étonnement, le parfum particulier de la peinture était absent.
>> Choqué, il demanda avec beaucoup d'appréhension :
<< Kric, est-ce que c'est vraiment ce à quoi je pense ?''
<< En effet, ce sont bien des cheveux appartenant à un ieruk.''
Hajim était extrêmement surpris, il avait peut-être été isolé ces derniers temps, mais il était impossible qu'il soit passé à côté de l'information annonçant l'arrivée d'un Ieruk.
>> Hajim demanda :
<< Comment se fait-il que je ne sois pas au courant de l'arrivée d'un Ieruk à Hallguna ? »
<< Soit rassuré, tu n'es pas le seul. Quasiment personne n'est au courant. Dès son arrivée sur Hallguna, elle a été faite captive par l'idykachi, lui faisant vivre une période très difficile.''
<< Quoi ?!''
Hajim était incrédule devant cette révélation, l'Idykachi avait osé maltraité un ieruk… Cela révélait de la folie pure et totale.
<< Cette femme ieruk est maintenant de notre côté, et elle a promis de nous aider pour renverser l'idykachi le moment venu.'' Dit Habel.
<< Hahaha, c'est génial ! L'idykachi vient de creuser davantage sa propre tombe.''
<< C'est vrai. Désormais, nous avons tous le nécessaire pour mener la révolution.'' Confirma Habel.
>> Excité, Hajim demanda :
<< Alors, le jour de la révolte est très proche n'est ce pas ? »
<< Dans 6 jours, le jour du départ des sacrifices pour la forêt sombre.'' Répondit Habel avec une étrangère lueur dans ses yeux d'un violet brillant.