Lorsqu'il ouvrit les yeux, Andréa fut d'abord ébloui par la lumière environnante. Il se mut avec difficulté, peinant à protéger ses yeux avec ses mains. Il s'accommoda lentement à la lumière, et après quelques secondes, analysa les alentours.
Le plafond ne lui était pas familier. Il pencha la tête pour continuer son investigation, et tout ce qu'il aperçut le convaincu qu'il ne savait pas où il se trouvait. Cependant, à la vue du second lit et des différentes affaires présentes un peu partout, il se doutait qu'il partageait cette chambre avec quelqu'un d'autre.
Se pourrait-il que quelqu'un l'ait sauvé ? Il ne voyait aucune autre explication. Mais qui dans cette région pourrait bien vouloir le sauver ? Ces derniers jours, il ne s'était fait que des ennemis.
Epuisé par ces simples mouvements, il s'allongea de nouveau, et ferma les yeux. A peine eut-il le temps de se reperdre dans ses pensées que la porte s'ouvrit brutalement. Il sursauta intérieurement, cependant son corps épuisé n'eut que de pauvres réactions.
Il essaya de se lever, et ne chercha pas à cacher qu'il était réveillé. Là, il aperçut non pas une, ni deux, mais bien trois personnes qui entrèrent dans la pièce qui semblait si vaste ; elle paraissait maintenant si exiguë.
Les deux hommes et la femme s'approchèrent de lui. Cette dernière fut la première à s'exprimer.
"Vous voilà enfin réveillé, Père Andréa !"
Ne sachant que lui répondre, il ne sut que lui sourire. Durant un court moment gênant, ils se regardèrent tous tour à tour, avant que Tahrren ne prenne la parole.
"Bien. Qu'attendons-nous ? Présentons-nous ! Je suis Tahrren Lilmare, des Chasseurs d'Âmes."
La jeune fille s'avança jusqu'à être juste en face du prêtre.
"Enchanté, je suis Ophélie d'Ortia. Ravie de vous rencontrer. Et le jeune homme ici présent se nomme Eiji. Kawasaki Eiji. Il est apprenti au sein des Chasseurs d'Âmes."
Eiji reprit immédiatement Ophélie, ronchonnant.
"C'est quoi cette présentation ! Tu aurais pu me laisser m'exprimer, au moins…"
Andréa, quant à lui, pensait avoir mal entendu. Après tout, son corps ne possédait pas encore toutes ses capacités.
"Excusez-moi, vous avez dit que vous vous appelez Ophélie, n'est-ce pas ? Ophélie d'Ortia ? Exactement comme l'ancien royaume ?"
Ophélie s'amusait de la situation, et ne put s'empêcher de laisser s'échapper quelques rires.
"Celui-là même."
Andréa réunit toutes ses forces afin de sortir de son lit et, bien que souffrant, parvint à s'agenouiller.
"Ô Sainte Originelle. Ceci est un miracle ! Sept cent ans après votre humble sacrifice, vous réapparaissez ainsi face à moi, dans les heures les plus sombres qu'a connu la sainte ville qui vous est dédiée. Comment est-ce possible ?"
Ophélie se gratta le dos du crâne avant de lui répondre vaguement.
"C'est une longue histoire… Mais c'est bien moi, je suis la même personne. Et aujourd'hui, Père Andréa, nous avons besoin de ton aide. Toute la cité a besoin de ton aide."
Andréa se remit rapidement de ses émotions. Il s'assit contre le lit tourna son regard vers le mur à côté. Il se doutait de la raison pour laquelle la Sainte Originelle et ces deux hommes était pour obtenir les informations qu'il détenait, car à ce propos, il se savait spécial.
"Les Chasseurs d'Âmes ? J'ai déjà entendu ce nom, auparavant. On entend parfois des choses sur vous. Vous traquez certaines personnes capables de mettre en péril la paix sur le continent. Chacun de vos membres est si puissant qu'ils pourraient renverser des royaumes. Que me voulez-vous donc ?"
Tahrren s'approcha du nain et l'aida à s'assoir sur le lit.
"Vous avez raison, nous traquons ce que nous appelons les immortels. Leur existence même détériore l'équilibre du monde qui les entoure. Et il se trouve que l'un d'eux menace actuellement Ophelia. Nous pensons que vous détenez des informations qui seraient capitales dans notre traque."
Andréa sourit légèrement. Il avait vu juste, ces personnes l'aidaient pour les informations qu'il détenait. Mais cela ne le dérangeait pas le moins du monde. En réalité, cela l'arrangeait même. Après tout, lui-même cherchait quelqu'un pour l'aider. Quelqu'un de fort et en qui il pouvait avoir confiance. Qui de mieux à ce moment que la Sainte Originelle et ses acolytes ? Pour la première fois depuis plusieurs mois, il était détendu. Il pouvait enfin partager son lourd fardeau.
"Cela faisait si longtemps que je cherchais des personnes telles que vous… Très bien. Je vais tout vous raconter. C'est une histoire assez longue donc n'hésitez pas à vous asseoir."
Tahrren s'assit sur une chaise, tandis qu'Ophélie s'assit sur le lit, aux côtés du Nain. Eiji, quant à lui, resta debout, accolé au mur dos au lit.
"De ce que je sais, tout a commencé il y au moins cent cinquante ans. A l'époque, je n'étais qu'un jeune prêtre. J'arpentais chaque jour les couloirs de la sainte église Ophélienne. J'étais arrivé là un peu par hasard. Contrairement à mes camarades davantage portés sur la boisson et les richesses du minerai et de l'ingénierie, je préférais l'histoire. A l'époque et aujourd'hui encore, j'étais fasciné par votre histoire, et j'étais devenu prêtre afin d'avoir accès à la plus grande bibliothèque de la région. Je cherchai avant tout à assouvir ma soif de savoir. Cependant, mes premières journées dans cette gigantesque église n'étaient pas simples. Après tout, personne ne souhaitait avoir pour apprenti un nain, je me devais donc d'évoluer seul. Et ce qui devait arriver arriva : je me perdis dans l'enceinte principale de l'église. Cherchant mon chemin, je parcourais les lieux de salle en salle, en vain. Jusqu'à ce que je tombe sur une pièce qui juxtaposait le cœur de l'église. Cependant, contrairement aux autres pièces, inondées de lumières et de vitraux, cette pièce était plutôt sombre et ternes. Pour une raison que je ne sais guère, je décidai de pénétrer dans la salle et de l'explorer. Je m'en souviens encore parfaitement : les seules sources lumineuses étaient les torches aux flammes vacillantes. Au centre de la pièce, ces torches étaient positionnées en cercle, et lorsque je levai la tête, je le vis, là, debout. Il tenait du bout du bras un homme, qu'il soulevait sans peine. Après quelques secondes, il commença à incanter. Je restai là, pendant plusieurs minutes à observer. Mais ce que je vis me hanta à jamais : l'homme à peine conscient à ce moment, commença à se liquéfier. Sa peau commença à englober l'incantateur, jusqu'à le recouvrir complètement. Enfin, après quelques minutes, le phénomène se calma. Le liquide redevint solide, mais le jeune homme avait complètement disparu. Plus effrayant encore : l'incantateur avait désormais le visage du jeune homme qu'il venait d'absorber. Comme s'ils avaient fusionnés…"
Ophélie, Eiji et Tahrren étaient perdus dans leurs pensées. Pour eux, il était clair : cette personne était l'immortel en question.
"Mais cela n'explique pas pourquoi un prêtre s'est attaqué à Eiji." Partagea Tahrren. "Et nous ne savons toujours pas qui était cet incantateur."
Le nain se racla la gorge est continua.
"Et bien, je n'ai pas exactement fini mon histoire. Il se trouve que je sais qui était l'incantateur, bien que je ne l'aie appris que plus tard. L'homme en question est… Le Pape lui-même."
"Le pape ?" S'exclama Ophélie, surprise.
"En effet." Continua Andréa. "Depuis au moins cent cinquante ans, mais j'imagine que cela fait depuis bien plus longtemps encore, le Pape est la même personne. Depuis des centaines d'années les papes sont élus au sein d'une assemblée, et le pape élu ne démissionne qu'une fois qu'il ne se sent plus capable de diriger. L'homme absorbé ce jour-là était le nouveau pape élu. Et très certainement qu'il s'agit de la même personne encore de nos jours. Les récents événements et votre présence ici ne font que le prouver."
Un silence pesant s'installa dans la chambre. Tous étaient choqués par ces révélations. Eiji notamment ne parvenait pas à comprendre certains points.
"Mais… Pourquoi… Ou même comment personne ne sut le remarquer. Pas même les Saintes, ni même les prêtres les plus proches des papes. N'ont-ils pas ressenti que quelque chose n'allait pas lors des transmissions de pouvoir ?"
Andréa ferma les yeux et soupira légèrement.
"En réalité, on en vient à la partie la plus terrifiante de l'histoire. Cet homme, le pape actuel, n'est pas seulement doté d'une étrange magie lui permettant d'être immortel, mais il est également un maître en magie de suggestion. A un point où absolument toute l'église est sous son contrôle, sauf moi. Cela étant, pour la simple et unique raison que je suis un nain. Vous le savez surement déjà, mais notre résistance à la magie est de loin la plus importante parmi les races qui foulent Aurdalia, nous sommes donc insensibles aux magies qui manipulent l'esprit comme la suggestion ou l'illusion. J'ai réussi à vivre cent cinquante ans dans cette église en faisant profil bas. Cela allait de même pour ce pape. Mais depuis quelques mois maintenant, il est beaucoup plus proactif pour une raison que j'ignore. Maintenant qu'il sait que je ne suis pas sous son influence et que je connais la vérité, il m'a traqué des semaines durant, et a fini par m'attraper, en me laissant pour mort dans cette prison de bois."
Eiji prit une chaise et s'assit à son tour.
"Donc notre principal ennemi est le Pape, mais chaque prêtre ou même la Sainte sont potentiellement notre ennemi. Mais je ne comprends pas. Dans ce cas, pourquoi avoir déclaré la guerre aux Higashito, et pourquoi l'avoir arrêtée si brutalement ? Cela ne fait aucun sens !"
Chacun se tut, personne ne suit lui répondre, pas même le Père Andréa.
"Peu importe, nous aurons nos réponses en temps et en heure. Pour le moment nous devons réfléchir à un plan d'action, et vite." Reprit finalement Tahrren.
"Malheureusement, aussi fort que vous puissiez l'être, vous ne pouvez pas vous attaquer à vous trois à l'église toute entière. On compte plus d'un millier de prêtre, et parmi eux certains sont très puissants. Sans compter le pape qui lui-même n'est pas à sous-estimer, loin de là."
Eiji tapa légèrement du poing sur le mur, passablement frustré.
"Et donc. Que proposez-vous ? Nos options sont limitées."
Le Nain se leva avec peine et essaya tant bien que mal de se lever, se positionnant face aux deux Chasseurs d'Âmes.
"Allons à Myr Khandur. Je connais le capitaine de la garde, c'est un ami de mon frère. Il saura nous obtenir une audience avec le roi. Voilà ce que je propose : laissons les nains marcher sur la Ville Sainte."