Tahrren errait dans les rues. Le sceptre à la main, il veillait bien à éviter les ruelles trop bondées, bien que peu de personnes traversaient la ville à cette heure-là.
Ne sachant pas où le reste de son groupe logeait, il était naturel pour lui de chercher de l'aide auprès de son principal point de repère dans cette ville : Irina.
Il lui fallut plusieurs dizaines de minutes afin de rejoindre la maison de cette dernière. Tout comme tout habitant d'Ophélia ou presque, elle logeait dans le quartier résidentiel. Ce dernier juxtaposait les lieux saints comme l'église principale ou la cathédrale des Saintes mais, recouvrant plus de la moitié de la ville, il était si grand que les trajets pouvaient parfois être long.
Notamment pour les personnes travaillant dans les usines et ateliers, car ces dernières étaient situées, a l'inverse, à l'extrême opposé de ces lieux saints, et il était préférable pour ces personnes d'habiter à côté de leur lieu de travail.
C'était le cas d'Irina, qui logeait non loin de son atelier de marbre, bien qu'en tant qu'unique personnel de soutien aux Chasseurs d'Âmes dans cette ville, elle possédait également d'autres bien qu'elle pût louer grâce aux fonds fournis par ce groupe.
Malheureusement pour Tahrren, il ne savait pas où ceux-ci se situaient, et il avait de toute façon besoin de passer par Irina pour en obtenir les clés.
Lorsqu'il arriva enfin face au bâtiment où Irina logeait, il s'approcha de la porte, non sans vérifier la présence de personnes autour de lui, hochant la tête à sa gauche et à sa droite.
Assuré que personne ne l'avait suivi, il toqua légèrement à la porte. Si légèrement d'ailleurs, que même après quelques minutes d'attente un peu gênantes, personne ne répondit.
Il se décida alors à toquer de nouveau à la porte, y mettant un peu plus de force. Mais il ne reçut toujours pas de réponse.
Finalement, il frappa à porte, afin de s'assurer que cette fois-ci, quelqu'un vienne lui ouvrir.
A peine quelques secondes après avoir tambouriner à la porte, il entendit enfin quelques bruits dans le couloir situé derrière.
Alors qu'il ne s'agissait au début que de bruits sourds, ceux-ci s'éclaircirent de plus en plus, si bien que Tahrren eu tout juste le temps de remarquer qu'il s'agissait d'une personne qui déboulait rapidement jusqu'à lui avant que la porte ne s'ouvre violemment juste devant son nez.
"QUI OSE ME RÉVEILLER EN PLEIne nuit ? ... Tahrren ?"
Irina et Tahrren se retrouvèrent nez à nez. Tahrren afficha un sourire gêné, qu'il peina à dissimuler malgré la pénombre.
"Bonjour Irina. Ravi de te revoir."
D'abord énervée, l'expression d'Irina laissa place à un visage empreint de surprise, mais qui laissa de nouveau place à la colère à peine quelques secondes plus tard.
"Comment ça, 'ravi de te revoir' ? Nom d'une truite, sais-tu au moins quelle heure il est !"
Tahrren se mordit légèrement la lèvre. Il savait qu'il n'était pas raisonnable, et même si Irina faisait partit des chasseurs d'âmes elle aussi, elle n'en était pas pour autant à son service. Il lui dévoila donc le sceptre sacré qu'il venait de voler, espérant la convaincre.
Caché dans son dos, à peine eu-t-il le temps de le sortir de la pénombre qu'Irina le reconnut. Elle attrapa le sceptre auquel Tahrren était fermement accroché et le tira de toute ses forces dans sa maison.
Face à une telle force de la nature, Tahrren ne put faire grand-chose. Il fut soulevé et transporté avec la relique.
"Tu es fou, sortir un tel objet dans la rue. Tu veux notre mort ou quoi ?"
Tahrren fut légèrement surpris. Au vu de la réaction d'Irina, elle était déjà au courant de ses plans. Puis une idée lui vient à l'esprit.
"Eiji, n'est-ce pas ?"
Irina grimaça un sourire.
"C'est une bonne recrue que tu as trouvé là ! Il sait y faire. Il est venu me voir dans le milieu de l'après-midi pour me demander un logement à nouveau. Et le plus à l'abri des regards possible. On a un peu discuté et a jugé bon de me dévoiler votre plan. Un plan débile si tu veux mon avis."
Irina marqua une légère pause avant de reprendre.
"Un plan débile, mais peut-être le seul plan possible. Il n'y a que vous deux j'imagine, pour réfléchir à une stratégie pareille."
Tahrren laissa s'échapper un léger rire. Il était à la fois rassuré et ravis. Il avait peur que la formation de militaire d'Eiji lui empêche de prendre des décisions par lui-même. Mais sa crainte n'était pas fondée.
"Excellent. J'étais certain qu'il ferait une bonne recrue. J'espère qu'il saura surpasser son sentiment d'infériorité." Tahrren soupira légèrement avant de reprendre, cette fois-ci avec un sourire moqueur dessiné sur son visage.
"Sinon, tu te trompes sur un point. Il n'y a pas que nous deux qui auraient été capable de penser à un tel plan. En fait, je pense même qu'elle aurait imaginé bien plus farfelu."
Irina lui rendit son sourire, baissant légèrement le regard, nostalgique.
"Amalia... C'est vrai qu'à vous deux, on ne sait jamais si vous essayez de sauver ou détruire le monde !" dit-elle en un éclat de rire. "Tu vas la retrouver ensuite, n'est-ce pas ?"
Tahrren acquiesça. "Oui. Il est temps, après avoir séparé d'elle pendant si longtemps."
"Tant mieux. Je suis content pour toi. Bien ! N'est-il pas temps pour nous d'aller retrouver toute ta petite troupe ?" dit-elle en reposant l'elfe et son sceptre sur le sol.
"En effet. La journée de demain sera chargée, nous ne devrions pas perdre davantage de temps."
Les deux quittèrent la maison, le sceptre caché dans un sac. En quelques minutes à peine, ils arrivèrent face à une petite demeure cachée au fond d'une ruelle, non loin des murs et de la sortie de la ville. D'apparence assez ancienne, la maison ne présentait aucune fenêtre, de sorte que l'on ne voyait pas ce qu'il se passait à l'intérieur. C'était définitivement l'une des meilleures cachettes possibles.
Lorsqu'Irina poussa la porte, la lumière était encore allumée. Et les discussions allaient de bon train.
"Devrai-je utiliser un ton plus sévère, pour m'affirmer ?"
La voix d'Ophélie résonna dans la pièce jusqu'à parvenir aux oreilles de Tahrren.
"Non. Pas forcément. Tu es une princesse, et aussi une sainte pour eux. Pas une figure militaire. Tout se jouera sur ta prestance, tes manières. Nous, les militaires, lorsque nous faisons face à des figures politiques, nous ne nous attendons pas à ce qu'ils aient la fermeté d'un chef de guerre, mais plutôt de la confiance. Nous mettons nos vies en jeu pour le peuple. Et inversement, le peuple a confiance en nous pour assurer leur protection. C'est le rôle du chef politique d'en être l'intermédiaire. Demain, tu représenteras le peuple. Tu dois donc parler avec confiance et fermeté dans son intérêt."
Lorsque Tahrren pénétra dans la salle, il vit Eiji assit aux côtés d'Ophélie, lui donnant des conseils. Chaque jour, il pensait redécouvrir son apprenti. Qui aurait cru qu'il avait a fibre pédagogique, et qu'il savait si bien manipuler les mots ?
Il l'avait assigné à la collecte d'informations car il pressentait que cette tâche lui aurait mieux sied, peut-être s'était-il trompé.
Il s'approcha d'eux, et les salua promptement.
"Je vois que vous travaillez dur."
Les deux se retournèrent en même temps et crièrent en cœur : "Tahrren !"
Ils furent véritablement heureux de le revoir, car s'il était présent ainsi, c'est qu'il avait assurément réussi sa mission.
Ophélie fut la première à répliquer. Elle était si impatiente de retrouver son sceptre après toutes ces épreuves !
Tahrren lui sourit et, depuis le sac qu'il tenait fermement dans sa main droite, dévoila l'un des plus précieux bien de la princesse.
Elle se leva. Elle avança de quelques pas vers Tahrren, et saisi délicatement la relique.
"Le sceptre Lazuli. Il n'a vraiment pas changé."
Et à raison : tout dans cet objet respirait la longévité, comme s'il s'agissait véritablement d'une arme divine.
Tout fait d'or, il était orné de Lapis-Lazuli. Ses courbes le distinguaient des autres sceptres, sa construction étant plus raffinée.
Ophélie sourit. Elle se retourna vers Eiji et prit la pose avec son sceptre.
"Alors, tu me trouve comment ?"
Eiji rougit très légèrement. Vêtue de la robe blanche qu'il lui avait offert, et de ce sceptre dont les reflets bleutés s'harmoniaient parfaitement avec le blond de ses cheveux et la pâleur enchanteresse de sa peau. Pour Eiji, c'est comme s'il se tenait face à un ange.
"Tu es magnifique." dit-il en souriant.
Ophélie rougit à sa réponse. Elle balbutia quelques mots incompréhensibles, avant de lui répondre d'une voix encore hésitante.
"Nous... Nous devrions peut-être nous reposer. Demain sera une journée épuisante."
Doucement et discrètement elle se retira, sous les yeux de ses deux camarades. Alors qu'elle s'approchait des escaliers qui menaient à l'étage, elle retourna une dernière fois, leur fit un dernier signe de la main et leur souhaitant la bonne nuit dans un faible murmure qu'ils peinèrent à entendre.
Ils ne purent s'empêcher de sourire face à une telle scène, n'oubliant toutefois pas de lui souhaiter la bonne nuit en retour.
"Bien. Je n'ai pas vu Andréa également. Où est-il ?" demanda Tahrren.
"Il se repose à l'étage. Il avait terminé son discours et ne pouvait davantage aider Ophélie pour le sien, alors il a jugé bon qu'il se repose, étant donné qu'il n'avait pas encore entièrement récupéré."
Tahrren ne put s'empêcher d'être rassuré.
"Bien, de toute façon tout ce qu'il aura à faire, c'est de nous présenter ensuite ce sera à nous de convaincre les nains."
"Justement, il a travaillé à retrouver tous les arguments qui augmenteraient nos chances de réussir à convaincre les nains. Et très honnêtement, de ce que j'ai vu, les nains ont tout intérêt à nous aider. J'espère qu'ils ne sont pas aussi entêtés que les histoires le prétendent."
Tahrren rit aux propos de son apprenti.
"Ha ! Ne t'inquiète pas. Les histoires ne rendent pas suffisamment honneur à leur entêtement. Bien. Nous devrions également nous reposer. La journée sera difficile pour tout le monde."