Eiji ne pouvait s'empêcher d'admirer les environs. Tandis que les steppes Higashito étaient monochrome avec leurs graminées verdâtres au printemps puis jaunâtre selon les saisons, au cœur des plaines du Jardin des Saints, à l'image des champs séparant Hortux à la ville sainte, la végétation se parait de nombreuses couleurs aussi diverses les unes que les autres.
C'était le printemps actuellement en Aurdalia, et la plupart des arbres étaient en fleur. La robe rosâtre des cerisiers attiraient particulièrement le jeune homme, qui ne sut en détacher son regard que par l'intervention d'Ophélie.
"Je ne détecte rien par ici, hormis quelques animaux. Nous devrions continuer vers l'ouest."
Cela faisait maintenant deux heures qu'ils cherchaient ne serait-ce qu'une trace ou un indice quant à la localisation du père Andréa à proximité de la ville. Bien qu'Ophélie fût une magicienne qualifiée, son sort de recherche n'avait qu'une faible portée, couvrant une zone d'une centaine de mètre de rayon autour d'elle.
Bien que cette magie fût extrêmement pratique, elle imposait une forte pression sur la conscience de l'utilisateur. Ce dernier était soumis à une grande quantité d'information en une fraction de secondes. Cette magie était donc davantage limitée par les compétences de l'utilisateur plutôt que par ses capacités magiques.
Son fonctionnement était simple : l'utilisateur utilisait une magie d'eau pour détecter tout fluide dans les alentours. Il superposait ensuite cette magie d'eau à une magie de foudre de petite ampleur, capable de retranscrire les données récoltées par la magie d'eau sous forme de signaux neuronaux.
L'avantage de cette méthodologie, malgré la difficulté encourue à maîtriser une telle magie, était la simplification du traitement d'information. Le magicien ayant recourt à ce sort pouvait choisir très précisément quel fluide retenir et rechercher, ce qui limitait d'éventuelle surcharge d'information. Le sort de recherche permettait notamment de lire tout flux de mana sur une certaine distance, bien plus importante que ce que l'utilisateur pourrait voir sans y avoir recourt.
En effet, les premiers mages ont pendant des siècles chercher à percer l'origine même de la magie. De sa création au sein du corps jusqu'à sa nature même. Bien que son fonctionnement ne soit pas encore tout à fait connu, il était de notoriété commune que le mana possédait un comportement similaire à celui d'un fluide.
Ophélie et Eiji procédaient donc d'une manière simple : A chaque cent cinquante mètres parcourus, Ophélie utilisait sa magie de recherche pour analyser les environs. Au lieu de se déplacer à l'aveugle, ils avaient également établi une stratégie. Au lieu d'avancer dans une seule direction et de laisser recours à la chance, ils décidèrent d'avancer en spirale, commençant leurs recherches autours de la ville, puis avançant du nord vers l'ouest. Bien que cela n'était pas la plus efficace des stratégies et certainement pas la plus rapide, elle leur permettait de n'oublier aucun endroit, à l'image d'une battue.
Malheureusement pour eux, bien que toutefois ils s'en doutaient, ils ne trouvèrent aucune trace du père Andréa à proximité de la ville. Ils continuèrent ainsi pendant encore des heures durant, couvrant l'intégralité du kilomètre entourant la ville.
"Je suis épuisée. Je suis désolée mais je ne peux pas continuer."
Légèrement titubante, Ophélie eut utilisé tant de magie que ses jambes ne pouvaient complètement la soutenir. Eiji la soutint, attrapant habilement son bras et le fit passer par-dessus ses propres épaules. Ophélie ne put s'empêcher de rougir malgré sa fatigue.
"Ne t'en fait pas, de toute façon le soleil est presque derrière l'horizon. Je vais t'aider à marcher pendant que tu récupères. Ou bien préfères-tu te reposer un peu avant de rentrer en ville ?"
Un léger sourire se dessina sur son visage, tandis qu'elle s'empressa de refuser sa dernière proposition.
"Rentrons. Lorsque nous aurons atteint la ville, j'aurai suffisamment récupéré pour être capable de me tenir sans aide sur mes jambes."
Eiji acquiesça. Ils rejoignirent ainsi la ville, marchant comme un homme. A peine arrivés aux premiers bâtiments de la ville, Ophélie se sépara du bras d'Eiji.
"Je peux marcher seule maintenant, merci."
Il la laissa faire quelques pas seule. Voyant qu'elle ne vacillait plus, il la rattrapa et marcha à côté d'elle.
"J'imagine que Tahrren est déjà retourné à l'auberge, il est déjà si tard. Ophélie, connais-tu le numéro de la chambre de Tahrren ?"
"C'est la numéro 23 il me semble. Elle est proche de la nôtre."
Ils arrivèrent rapidement à leur auberge. L'ambiance y était toujours la même, à croire que les habitants d'Hortux fêtaient chaque soirée. Ils traversèrent le hall principal et montèrent directement dans leur chambre. Ils y déposèrent leurs affaires et toquèrent enfin à la porte de la chambre de Tahrren.
Il ne fut pas longtemps pour que la porte s'ouvrit, laissant apparaître le mentor d'Eiji.
"Entrez. Nous devons parler."
Il retourna s'asseoir sur une chaise et invita les deux nouveaux arrivants à s'asseoir sur le lit. Ils refermèrent la porte derrière eux et s'exécutèrent.
"Bien, heureux de vous savoir indemne, je commençais à m'inquiéter, à voir la nuit tombée et vous qui n'étiez pas encore rentrés. Malheureusement, à vous voir sans le Père Andréa ni la moindre égratignure, j'imagine que vous n'avez rien trouvé ?"
Eiji soupira si légèrement que s'en fut à peine perceptible.
"Ophélie a analysé les environs de la ville sur un kilomètres, malheureusement nous n'avons rien trouvé. Et toi, Tahrren. As-tu trouvé des informations en ville ?"
Tahrren détourna le regard.
"J'imagine que l'on peut dire ça ainsi."
Dubitatif, Eiji se gratta le front, et invita son mentor à continuer.
"J'ai interrogé l'intégralité des commerçants en ville, et plus encore. Mais absolument aucun d'entre eux n'avait d'informations quant au père Andréa. En fait, ils ne savaient même pas qu'il était en mission à proximité d'Hortux. Il n'y logeait pas, et n'y fit aucune apparition. Mais ce qui est encore plus étrange, c'est que lorsque j'interrogeai les prêtres au temple de la ville, aucun n'osa me répondre, au contraire pour la plupart d'entre eux leur regard se défila."
Surpris réfléchit un peu aux propos de son mentor. Il ne s'attendait pas à de telles nouvelles.
"Il est clair que ces prêtres cachent quelque chose. Mais quoi donc ?"
Ophélie interrompit la réflexion d'Eiji.
"Cela ne sert à rien de trop y penser. Les prêtres sont tout simplement sur la liste des suspects dorénavant. Mais s'il y avait réellement d'autres choses à tirer de cette information, j'imagine que Tahrren aurai déjà trouvé. Après tout, vous avez passé bien plus de temps que nous auprès de ces prêtres." Dit-elle en tournant son regard vers l'elfe.
Ce dernier acquiesça. "En effet, bien que ce ne fut que quelques heures, je pense que si ces personnes préparaient réellement quelque chose, j'aurai trouvé au moins un indice, vu leur capacité à cacher leurs informations. Ils savent probablement quelque chose que nous ignorons."
A ces mots, Ophélie se leva, et s'esclaffa d'une manière presque indigne d'une princesse, brisant l'atmosphère tendue qui régnait jusqu'alors dans la chambre.
"Bien. Allons souper ! Après tout, comme l'a si bien dit Eiji l'autre jour, nous ne pouvons avoir une discussion fructueuse en ayant le ventre vide."
Eiji et Tahrren rirent aux éclats face à une telle intervention.
"Tu as raison, allons diner. Cela ne nous servira pas de nous pencher davantage dessus." Répondit Eiji.
Les trois sortirent de la chambre que Tahrren ferma derrière lui, et descendirent au rez-de-chaussée. La réceptionniste les remarqua presque instantanément.
"Bonsoir. Souhaitez-vous de nouveau une table au calme, ou préférez-vous manger dans le hall principal ce soir ?"
Les trois saluèrent la réceptionniste avant que Tahrren ne lui réponde.
"Nous prendrons une table dans le hall principal s'il vous plaît."
"Très bien. Suivez-moi."
La réceptionniste leur fit signe de la suivre, et les mena à une table entourée de quatre chaises dans un coin de la pièce.
"Voilà une table qui pourrait vous convenir. Je vous laisse vous installer je reviens dans un instant prendre votre commande."
Ils se posèrent chacun sur une chaise. Fatigués, notamment pour Eiji et Ophélie qui parcoururent de nombreux kilomètres, ils furent heureux de pouvoir enfin se relaxer.
La réceptionniste revint vers moins de deux minutes plus tard.
"Bien. Que souhaitez-vous pour les boissons."
A cette question, les trois levèrent leur main en même temps et annoncèrent en cœur : "Une bière !". Même Ophélie qui préférait de loin le vin se décida à prendre une bière pour étancher sa soif et soulager sa fatigue.
La réceptionniste ne put que laisser s'échapper un petit rire discret face à cette scène.
"Très bien. Pour le repas du jour, il s'agit de pomme de terre cuite au four, ainsi qu'un mijoté d'agneau. Cela vous convient ?"
Les trois acquiescèrent une nouvelle fois en cœur.
"Excellent, je vous apporte cela dans l'immédiat."
Ils n'eurent pas à attendre pour leur bière, qu'Eiji n'hésita pas à boire d'une traite avant d'en recommander une nouvelle. Le temps que les repas arrivent, il répéta le processus une fois encore.
"Tu ne devrais pas trop boire, Eiji."
Ce dernier fit fi du conseil de son mentor, et continua à boire et manger. Lorsqu'il termina son repas, il arrêta presque de bouger, perdu dans ses pensées. Après quelques secondes de stases, il termina sa bière avant de se lever de sa chaise.
"Je suis désolé, je suis fatigué. Je remonte me coucher."
Légèrement titubant, il grimpa tant bien que mal les escaliers, sous les encouragements bruyants de quelques clients ayant remarqué son état d'ébriété.
Ophélie et Tahrren échangèrent des regards inquiets, avant que celle-ci ne se précipita vers son camarade de chambre, en vain car elle fut arrêtée par la main ferme de Tahrren.
"N'y vas pas. Tu dois le laisser traverser cette épreuve seul."
Elle ne put s'empêcher de continuer à s'inquiété pour Eiji.
"Que lui arrive-t-il ? Je ne l'ai jamais vu ainsi."
Tahrren soupira avant de lui répondre.
"Je sais. Eiji n'est pas très ouvert avec les autres quant à ses sentiments. Mais je sais ce qu'il traverse, pour la simple et bonne raison que je suis passé par la également. Tu dois le laisser tranquille pour un moment."
Eiji disparu rapidement à la vue de tous. Il pénétra dans sa chambre, insérant avec difficulté la clé dans sa serrure. Il s'assit sur son lit, proche du mur. Après quelques secondes, il frappa avec violence le mur.
"Pourquoi… Pourquoi suis-je si faible ! Si inutile !"