Chereads / La Grande Fracture / Chapter 11 - Chapitre 4 - Partie 3

Chapter 11 - Chapitre 4 - Partie 3

Le réincarné l'avait remarqué depuis un moment, mais le physique de sa race, la race des Kzhan'La, surpassait aisément celui d'un être humain. Briser des os ne représentait aucune difficulté. Sa vitesse de réaction était une dizaine de fois plus rapide que celle dans son ancienne vie, au bas mot. Quant à son endurance, il supposait que courir un marathon entier à une vitesse supérieure à celle d'Usain Bolt. Cela serait très dur et épuisant, mais possible. Etant désormais un non-humain, Asgorath s'attendait à avoir des capacités différentes de quand il était humain, mais c'était au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer.

Encore plus étonnant, ces assassins humains possédaient des capacités physiques suffisamment élevées pour combattre à égalité avec un Kzhan'La presque mature. Et même, en ce qui concernait la vitesse et l'agilité, le surpassaient. Le réincarné savait pourquoi. Il ne comprenait pas le cheminement permettant une telle chose, mais il savait pourquoi cela était possible. La réponse venait de ses entrainements avec Kranir, le démon qui lui avait appris à se battre. Ces assassins étaient des Combattants. Des individus qui absorbaient de l'énergie vitale pour améliorer leurs capacités physiques et se battre.

« [Hallebarde de Foudre] » cria le jeune démon, invoquant un sort du cinquième rang sans incantation. Le nom des sortilèges étaient connus dans les rangs des initiés, mais les incantations restaient un secret que les apprentis mages n'apprenaient que grâce à un maître. Mais pour Asgorath, il était impossible d'en apprendre.

Sa mère était une mage, mais elle n'avait jamais pu lui enseigner des sorts, à cause des différences entre leurs éléments, mais aussi à cause du collier d'esclavage. Néanmoins, son affinité élémentaire lui permettait d'apprendre et d'utiliser des sorts sans incantation, bien que très peu.

Cette action augmenta fortement la vigilance des humains. Le sort [Hallebarde de Foudre] était un sort puissant et difficile à exécuter. Il nécessitait un contrôle mental très fort. Son principe, simple, consistait à matérialiser de l'électricité à très forte intensité et de la garder sous la forme d'une hallebarde au design incroyablement raffiné. Longue de trois mètres, elle pesait quelques grammes au plus. L'un des bouts était constitué d'une petite lame se divisant pour former une fleur de lys mortelle. De l'autre côté, une lame de quarante centimètres rappelait la naginata japonaise, mais celle-ci était droite et finissait comme la lame d'une épée. La partie émoussée de la lame voyait, en face d'elle, une lame de hache de trente centimètres de long commençait au même niveau que la lame.

Cette magie ne semblait pas très différente des [Flèches Foudroyantes] mais elle l'était. Le sort des [Flèches Foudroyantes] consistait à matérialiser des espèces de traits de foudres pendant quelques secondes, le temps qu'ils tuent l'ennemi. La [Hallebarde de Foudre] matérialisait également de l'électricité, mais ce sort lui donnait une véritable apparence et restait en place plusieurs minutes au moins.

Le degré de contrôle de l'énergie spirituelle nécessaire ainsi que la force mentale requise se trouvaient à des niveaux totalement différents. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle les [Flèches Foudroyantes] n'était qu'un sort de rang trois alors que la [Hallebarde de Foudre] était de rang cinq. Outre la difficulté d'invocation, la puissance du sort était un autre critère. Le premier sortilège utilisait la foudre pour bruler et détruire les cellules de la cible, mais si le deuxième en était capable, l'intensité du courant électrique traversant la hallebarde suffisait amplement pour tuer par électrocution un millier d'hommes faisant une chaîne.

Les assassins n'étaient pas des mages mais ils s'étaient assez souvent battu contre ou avec pour connaitre les rudiments de la magie. Comme par exemple que la matérialisation physique d'un élément était très difficile, et que la quantité invoquée, ainsi que sa forme, reflétaient les capacités du mage. Une hallebarde de foudre aussi longue et finement détaillé ne pouvait qu'être de mauvaises nouvelles. Et l'arme leur donnait un mauvais pressentiment.

Les sorts de foudre possédaient tous une très grande puissance offensive comparée aux autres éléments, mais leur utilisateur n'était normalement pas protégé. Asgorath prit cependant l'arme de foudre dans ses mains sans s'inquiéter. Ce geste engendra donc une forte incompréhension chez les humains. Mais Asgorath savait ce qu'il faisait.

Séparant sa main de la foudre, une fine couche de mana suivait la paume du démon lorsque celle-ci se déplaçait le long de la hallebarde, le protégeant d'une électrocution. Les assassins étaient effrayés. Des mages capables d'utiliser des sorts du cinquième rang n'étaient pas rares, loin de là, mais très peu pouvaient le faire sans incantation. Et le contrôle qu'il possédait sur ce sortilège et son mana surpassait la plupart des mages qu'ils connaissaient.

La force mentale et spirituelle du réincarné avaient toujours été supérieures à la moyenne, même chez les Kzhan'La. Cependant, quelques mois auparavant, il pouvait à peine utiliser les [Flèches Foudroyantes] sans incantation, et cela le vidait de ses forces. Mais le temps et les expériences faisaient grandir et renforçaient les individus. Or, ceux qui survivaient à une expérience tragique comme celle d'Asgorath n'étaient pas nombreux, et encore moins en entier. Or Asgorath Strÿnkar avait survécu et, dans un sens, surmonté ces épreuves.

Et ces difficultés l'avaient changé. En les surmontant, son mentale avait évolué et s'était renforcé, se durcissant jusqu'à un nouveau niveau. La force mentale du démon avait atteint un tel niveau qu'il pouvait diviser son attention sans difficulté ni répercutions pour réaliser diverses tâches. Ses mains pouvaient agir comme si elles appartenaient à deux personnes différentes.

Profitant de la surprise et des ruminations des assassins, le Kzhan'La attaqua avec sa hallebarde fraichement créée et décapita l'un des humains. La partie hache trancha la chair sans difficulté. L'intensité de la foudre détruisait les cellules et cicatrisait la blessure à mesure qu'elle se formait, tout en électrocutant l'individu, stoppant son cœur, détruisant les nerfs et faisant imploser le cerveau. Du sang coula des oreilles et des yeux, ces derniers vitreux. L'homme mourut en un instant.

Les trois autres se secouèrent en voyant leur camarade mourir, et leurs yeux s'étrécirent. L'un d'eux enveloppa sa dague dans une étrange énergie et attaqua d'un coup précis. Alors que le démon s'apprêtait à esquiver avec un reniflement dédaigneux, la lame vibra et s'assombrit. Sous les yeux abasourdis du Kzhan'La, deux douzaines de lames d'ombres apparurent. La dague de l'assassin se mélangea à ces dernières et fonça.

Etouffant sa surprise, Asgorath réagit en une fraction de seconde. Ses mains agrippèrent la hallebarde et la fit tourner, créant un cercle jaune, pour bloquer les attaques furieuses mais silencieuses. Des arcs électriques se formèrent. Une idée germa dans l'esprit du réincarné et il fit tourner l'arme bien plus vite. Les arcs électriques s'intensifièrent et devinrent plus nombreux. L'humain n'arrêta pas son attaque. 'Les lois concernant l'électricité semblent être mal connues dans ce monde,' ricana intérieurement le démon. Attiré par la dague, l'un des arcs électriques se déforma et la frappa. Le courant remonta la lame et atteignit le cœur, l'arrêtant. L'homme s'effondra, mort.

Asgorath n'attendit pas et s'attaqua aux autres. Avec une accélération époustouflante, il arriva à portée d'un troisième assassin. Il balança la hallebarde, tentant de le trancher en deux. L'assassin esquiva au dernier moment et contre-attaqua. Ayant vu ce qui était arrivé à ses compagnons, il faisait très attention. Son dernier allié vivant se joignit au combat, essayant de l'aider du mieux qu'il pouvait. Les coups pleuvaient en direction du démon, mais dès qu'il voulait parer avec sa hallebarde, les assassins se repliaient et attaquaient selon un autre angle. Aucune blessure importante n'avait été infligée au Kzhan'La, mais les dagues l'avaient entaillé en des dizaines d'endroits. Du sang rouge vif coulait très légèrement de ses plaies. 'Ce combat ne peut pas continuer comme ça,' réfléchit le réincarné. 'Ça devient un combat d'usure, et je n'ai aucune chance de le gagner. Il faut que j'élimine ces deux-là rapidement. La question, c'est comment ?' Aucune idée brillante ne lui vint. Seulement une idée pas trop mauvaise, et une idée risquée. Il opta pour la méthode pas trop mauvaise.

Se servant de ses blessures comme excuses, il ralentit petit à petit sa vitesse de combat et créa des ouvertures. Grâce à son énergie spirituelle l'entourant, il pouvait toujours éviter les attaques au dernier moment, mais aux yeux des humains, il faiblissait. Le combat se prolongea plusieurs minutes encore durant lesquelles Asgorath faiblissait et les assassins s'enhardissaient. Il fit onduler la hallebarde afin de simuler une perte de contrôle sur sa magie.

Les assassins échangèrent un regard et foncèrent vers leur ennemi, dagues brandies, en même temps. Une ou deux secondes avant que les lames ne pénètrent le corps du démon et ne lui ôtent la vie, les yeux de ce dernier s'embrasèrent. La hallebarde vola et trancha en deux l'assassin qui approchait de l'avant tandis qu'il libérait son énergie spirituelle tel un flot rageur. A la sortie du corps du démon, l'énergie spirituelle sans forme ni élément se transforma en un flux électrique très puissant.

Ce flux qui traversait les airs à l'horizontal rappela à l'assassin un sort de foudre qu'il avait déjà vu, le sort de sixième rang [Foudre], avant de se faire transpercer et d'avoir les cellules de son corps grillées. L'homme grillé tomba sur le sol comme une poupée désarticulée, de la fumée sortant du cadavre.

Epuisé, Asgorath relâcha son sort, [Hallebarde de Foudre], mit un genou à terre et haleta bruyamment. Du sang coula des coins de sa bouche et dégoulina sur le sol. Alors qu'il prenait quelques minutes pour récupérer, les deux jeunes humains se recroquevillaient, effrayés, mais cette fois-ci ils ne s'enfuyaient pas.

Ils regardaient le démon aux multiples coupures desquelles s'écoulaient des flots faibles mais réguliers de sang. Ce n'était pas très graves mais les pertes de sang l'affaiblissaient avec le temps. Plus grave, il avait épuisé énormément d'énergie spirituelle, le fatigant mentalement et physiquement. Après avoir quelque peu récupéré, il se leva et se tourna vers les enfants.

Etrangement, le garçon qui regardait les assassins sans rien oser se tenait désormais debout, une épée à la main. Ses mains tremblaient mais la lame était levée. Le jeune démon le regarda et ricana. Le garçon avait peur de se battre contre des assassins mais un démon, un être connu par les humains comme incroyablement cruel et mauvais.

Dans un sens c'était logique. Il y avait plus de risques à tomber dans les mains d'un démon que dans celles d'assassins. 'C'est probablement aussi à cause de la haine qu'il arrive à se mettre debout et à se préparer au combat,' se moqua-t-il intérieurement. L'idée qu'il se faisait des démons venaient des siècles de guerres, de l'accumulation de la haine à cause des morts et d'une doctrine enseignée par les anciens et la religion.

Qu'ils aient peurs et se méfient étaient normal. Alors, lorsque le Kzhan'La s'assit devant eux, une expression d'étonnement absolue se peignit sur leurs traits.

«Pose-ça, tu vas te blesser, déclara le réincarné en regardant les deux jeunes.

-Pour que tu puisses nous attaquer après ? Tu peux toujours rêver, sale démon !

-Réfléchis trois secondes, soupira Asgorath. Si je voulais vous tuer, tu crois sérieusement que j'aurais besoin de te faire baisser ton arme ? Je viens de tuer, sous tes yeux, une dizaine d'hommes bien plus puissants que toi et qui savent se battre. Te tuer ne prendrait que quelques secondes, si je le voulais.»

Ces mots, dits sur un ton à la fois exaspéré et jovial glacèrent l'atmosphère. Pire encore, les jeunes nobles savaient que le démon en face d'eux se contentait d'exposer des faits.

«Écoutez, je ne vous veux pas de mal. Au contraire, je vous ai sauvé la vie. A moins que vous ne les ayez pas remarqués, ces individus habillés en noir et au visage voilé étaient des assassins. Vu comment ils ont agi, leurs cibles, c'étaient vous.

-Tu es un démon. Les démons sont des êtres mauvais qui se réjouissent de massacrer des humains et de les faire souffrir. Pourquoi tu nous sauverais ?

-Qui a dit que les démons étaient des êtres maléfiques ? Et, même si c'était le cas, est-il impossible qu'il en naisse un qui ne le soit pas ?»

Le silence se fit, pesant et long. Les deux jeunes nobles étaient choqués par les paroles du démon devant eux, mais la réalité était qu'il les avait belle et bien sauvés. Mais c'était un démon ! Il avait forcément des mauvaises intentions, sinon il ne les aurait pas sauvés. Il ne pouvait en être autrement. Cette discussion et l'attitude du démon, assis tranquillement et s'occupant de ses blessures, embrouillaient l'esprit du garçon et de sa sœur. Ils ne savaient plus quoi penser.

« Il y a de grandes différences entre la réalité et les histoires que l'on vous a raconté » continua le démon, le regard sur les deux adolescents, la voix égale. « Rien n'est blanc d'un côté et noir de l'autre. D'ailleurs, il est presque impossible de trouver quelque chose de blanc ou de noir. Le monde n'est qu'un ensemble de dégradé de gris. Il y a certainement des démons cruels et mauvais, mais des humains identiques existent aussi. »

Malgré ses paroles et ses actes, Asgorath n'arrivait pas à les convaincre qu'il ne leur voulait pas de mal, et cela l'exaspérait. Regardant la deuxième personne du duo, la jeune fille, il déclara bien plus froidement. « Maintenant c'est à vous de voir : soit vous me suivez et je vous fais sortir de la forêt tout en vous protégeant, soit je pars de mon côté et vous allez où vous voulez, tout seul, et vous vous débrouillez avec les bêtes sauvages et les futurs assassins. »

Les deux nobles pâlirent. Ils savaient qu'ils ne pourraient survivre seuls dans la nature. Sans parler des bêtes sauvages et des assassins, ils ne savaient même pas comment survivre dans la nature. Chasser, trouver à manger et à boire seraient presque impossibles pour eux. D'une manière ou d'une autre, ils mourraient s'ils étaient seuls. L'adolescente le savait très bien et, pour survivre, elle était prête à littéralement tenter le diable.

«Vous accepteriez, demanda-t-elle d'une petite voix, de nous aider sans rien demander en échange ?

-Non, répondit-il franchement. C'est pourquoi je voudrais une carte du continent et des informations sur ce qu'il s'y passe.

-Une carte du continent, répéta le garçon incrédule.

-Oui, j'aimerais bien savoir où je suis.

-Grande sœur ! On ne va pas confier nos vies à quelqu'un qui ne sait pas où on est ? Sans oublier que c'est un démon !

-Tais-toi, lui cria-telle. Il est le seul à pouvoir nous aider. De plus, il nous a déjà sauvés la vie. Que ce soit un démon ou un humain ne change rien au fait que nous mourrons si on ne le suit pas.

Rabroué par sa sœur, le garçon rougit de colère et d'embarras, mais finit par baisser les yeux devant sa sœur et grommela ce qui ressemblait à des mots d'accords. Asgorath les regarda, assez surpris par la personnalité pragmatique de l'adolescente et sa capacité d'adaptation, ainsi qu'à la vue de l'adolescente prenant la décision dans un monde qui, du point de vue du réincarné, ressemblait au Moyen-Age. Mais ce n'était qu'un étonnement passager, et il oublia rapidement l'incident.

«Très bien. Maintenant que la décision est prise, déclara le Kzhan'La, allons dormir. La lune est encore haute et, après ce qui s'est passé cette nuit, on sera tranquille pendant un moment. Autant récupérer autant de sommeil que possible».

Après avoir jeté un regard au démon, les deux jeunes nobles acquiescèrent et se dirigèrent vers le leur campement original. Après de longues minutes de marches dans un silence froid, les trois individus arrivèrent au campement. Les adolescents entrèrent dans le carrosse pour se recoucher. Le jeune démon, lui, finit de panser ses blessures avant de rassembler les corps sur le côté et de leur mettre le feu. Ensuite, il se coucha directement sur le sol. Il regarda les étoiles, se remémorant les deux vies qu'il avait vécu. Une larme coula pendant qu'un sourire indéchiffrable, mais dont la tristesse était visible, avant qu'il ne s'endorme.