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Chapter 29 - Réflexion.

« Qu'est-ce que t'as foutu ?! » S'exclama avec effroi monsieur Chiba en me fixant avec un regard atterré.

Il n'était que huit heures du matin, lundi. Et je me faisais déjà crier dessus.

« Non, sérieusement ! » S'écria Chiba. « Tu pars en week-end avec un œil au beurre noir, et tu reviens avec une main inutilisable ?! Tu fous quoi de ton temps libre ?! »

« J'ai aidé à arrêter un harceleur, » répondis-je avec un air inexpressif.

Monsieur Chiba leva alors une main vers moi, et tout en secouant la tête, il ferma les yeux.

« Mais bien sûr… Non, tu sais quoi ? Je veux même pas savoir ce que tu fais de ton temps libre. Oublie ! » Chouina-t-il, désespéré. « Mais si ça retarde ton travail, t'as intérêt à te préparer à voir ta paie réduite en conséquence ! »

Je hochais de la tête, avant de rejoindre mon bureau dans le plus grand silence.

Et à peine étais-je assis, que madame Asanuma me rejoignit pour me dire bonjour.

« Arrêter un harceleur, vraiment ? » Demanda-t-elle avec un air amusé. « Je t'aurais cru plus malin que ça, pour trouver une excuse valable…. »

« C'est pourtant la vérité... » Répondis-je sans même lui lancer un regard, trop occupé à allumer mon ordinateur.

« Oh... » Dit-elle avec étonnement. « Si je m'attendais à ça... »

Pourquoi disait-elle cela ?

Est-ce que l'idée même de me voir faire quelque chose du week-end les surprenait tant que ça ?

D'accord, je n'avais jamais vraiment rien fait de significatif jusqu'à présent. Mais ne pouvaient-ils pas tout simplement reconnaître que je pouvais aussi agir pour le bien d'autrui ?

Terminant de m'installer, je laissais derrière moi l'ordinateur en train de ronronner et me levais pour aller me faire une tasse de café, et fus suivi de près par madame Asanuma.

« Au fait, tu as regardé la proposition d'émission de télé pour Osagawa sensei ? » Demanda-t-elle, visiblement plus intéressée par cela, que par mes loisirs.

Je hochais de la tête, tout en versant de l'eau chaude sur un mélange de café instantané et de sucre en poudre ; l'odeur caractéristique de la boisson venant chatouiller mes narines.

Même sous cette forme, c'était un peu trop fort ; aussi m'empressais-je d'ouvrir une dosette de crème pour éclaircir la diabolique boisson.

« C'est tout de même assez exceptionnel, comme avancée dans ton travail, » me fit-elle remarquer. « Alors tâche de remplir à bien les missions qui te seront confiées, et je suis sûre que tu auras rapidement un auteur junior assigné. »

Elle sourit, avant de me tapoter légèrement l'épaule, ce qui me fit sursauter.

Puis, elle retourna vers son bureau, et tout en la suivant du regard, mes yeux se posèrent sur le bureau fermé vitré de monsieur Chiba, où ce dernier semblait avoir une dispute énergique au téléphone. Il faisait les cent pas, tout en faisant de grands gestes, le coussin de voyage vert pomme autour de son cou sautillant avec chaque nouvelle secousse de ses épaules.

Mes collègues comme moi-même pouvions remercier l'isolation phonique de son bureau, pour nous épargner les gueulantes qui s'y produisaient régulièrement.

Il n'était que huit heures du matin, et la journée promettait déjà d'être animée.

Comme à leur habitude, les scripts et les manuscrits s'empilèrent dans ma boîte d'e-mails, ne me laissant pas un instant de repos. J'avais presque oublié que nous étions le dernier jour du mois, et que beaucoup d'auteurs envoyaient en même temps les chapitres de ce mois-ci et du suivant ensemble pour gagner du temps. Ce qui avait pour conséquence de déborder tout le monde de travail.

À cause de cela, je n'appréciais pas vraiment les fins de mois. Ni les jeudis.

C'était le genre de jour où on commençait à être fatigué de la semaine, mais pas encore assez proche du week-end pour pouvoir complètement se reposer. Et le vendredi, ça dépendait de ma charge de travail. Plus vite je rentrais chez moi, mieux c'était. Même si c'était pour ne rien faire de particulier.

Parfois, mes parents m'envoyaient un message, pour savoir comment j'allais. C'étaient toujours eux qui initiaient le contact, car même avec eux, je ne voulais pas faire le premier pas. Il fallait toujours que ce soient les autres qui viennent à ma rencontre, sans quoi je restais silencieux.

Je me demandais même comment faisaient ces gens qui, à la fin de l'année scolaire, se promettaient de rester régulièrement en contact alors qu'ils changeraient d'établissements et ne se reverraient plus. Est-ce que ça valait seulement la peine de se donner tout ce mal ?

Je n'avais jamais eu d'amis, alors je ne pouvais pas vraiment avoir un avis sur la question. Toutefois, si je ne gardais déjà pas le contact avec mes propres parents, il était peu sûr que je le garde avec des gens que je n'avais côtoyés que quelques heures par jour, le temps de quelques années.

Je ne savais pas non plus pourquoi mes parents se donnaient tant de mal avec leurs messages. Ils parlaient virtuellement de tout et de n'importe quoi, comme s'ils souhaitaient me donner un aperçu de leur quotidien ; et m'y inclure par la même occasion. Par la suite, ils me demandaient à chaque fois ce que je faisais de mes journées, si mon travail me plaisait. Si j'avais quelqu'un dans ma vie, aussi…

Ce dernier point me fit soupirer, car ce n'était pas du tout quelque chose que j'avais eu à l'esprit, jusqu'à présent. Je me contentais de me rendre au travail tous les jours de la semaine, et de rester bien tranquille chez moi les week-ends. Mes parents désespéraient même de me voir venir leur rendre visite. Mais pour ça, il fallait soit prendre le train, soit conduire pendant plusieurs heures. Et j'étais un peu trop fatigué pour faire ça l'espace de un ou deux jours.

Mais pour ce qui était d'une petite amie… Les choses étaient un peu compliquées. J'étais loin d'être sociable, à cause des problèmes que je rencontrais pour m'exprimer ou communiquer mes émotions. Alors même si une femme m'abordait, je ne faisait jamais attention, ou ne comprenais jamais les intentions derrière sa démarche.

Pourtant, lorsque j'avais rencontré la détective, je m'étais retrouvé étrangement fasciné par ces deux yeux qui me dévisageaient.

Et même si elle avait dit ça sur le moment sans vraiment y penser, le fait qu'elle avait dit avoir des sentiments pour moi avait suffi à dépoussiérer mon insensible cœur. Est-ce que ça tenait à si peu de choses, finalement ? Ou était-ce cette réplique, accompagnée du choc que j'avais subi en ayant cru avoir tué quelqu'un par accident ?

Les paroles de maître Osagawa me revinrent alors à l'esprit.

Il fallait parfois trouver quelque chose qui nous occupe l'esprit, pour oublier complètement le problème qui nous accable.

Est-ce que ce genre de procédé pouvait réellement fonctionner ? Je m'étais mis en danger les deux derniers jours, mais en retour, cela m'avait perturbé comme jamais. J'avais ressenti des émotions que je n'avais jamais ressenties jusqu'à présent, mais qui me paraissaient pourtant étrangement familières. Quelque chose qui était naturel, et qui avait toujours été là, sans que je m'en rende compte.

La lumière du soleil disparut brusquement de mon bureau, un store ayant été baissé devant les grandes fenêtres par un de mes collègues. Je plissais alors des yeux.

Peut-être que cela était dû à la situation, et à elle seule.

Peut-être aussi, que la cause de ce tourbillon confus emplissant mon cœur était cette étrange femme. Les gens penseraient mon raisonnement simpliste, mais j'en étais convaincu: elle avait été la première à me faire me sentir comme ça.

Non, rectification.

Elle serait probablement la seule à avoir cet effet sur moi.

Peu importe si elle était bizarre, ou qu'elle me dissimulait des choses. Je n'attendais pas d'elle qu'elle me livre quoi que ce soit à son sujet, mais qu'elle déclenche des choses en moi. Alors je pouvais bien passer outre les informations dissimulées, car après tout, je cachais moi aussi quelque chose.

Sur cette pensée, je me mis à palper le petit étui en plastique dans la poche de mon pantalon.

Non.

Je préférais tout de même qu'elle me mette au courant de tout ce qu'elle faisait. Je n'aimais vraiment pas être laissé dans le flou. Et pour cela, j'avais pile le moyen de pression nécessaire.