Le lendemain, Hana n'adressa plus la parole à personne ; pas même à Ryuji. Ce dernier n'était plus venu lui parler, et se contentait de parfois lui envoyer des sourires gênés. Une confession rejetée et le problème survenu avec le groupe de filles avait sûrement dû en être la cause ; mais Hana trouvait cette situation plutôt appréciable. Elle n'avait plus à rester après les cours et à écouter les histoires de Ryuji, et seul le temps dirait si elle en viendrait à regretter ces tentatives d'interactions.
Toutefois, si quelque chose d'autre avait légèrement changé depuis la veille, c'était également l'attitude des gens dans sa classe. En rentrant dans la salle de cours, la majorité des regards s'étaient braqués sur elle, avant de rapidement se détourner. Elle ne savait pas trop quelle en était la cause, mais ça n'avait pas l'air si terrible que ça : au moins, les gens allaient lui ficher la paix.
Elle s'assit à son pupitre, et vit que les deux élèves devant consultaient avidement leurs téléphones. Elle savait que la classe avait fait un groupe de discussion, et qu'elle avait refusé de s'y inscrire. Ledit groupe était plus utilisé pour raconter tout et n'importe quoi, que de parler des cours ou des devoirs à faire, alors ça ne l'intéressait pas. De plus, elle soupçonnait que le groupe était aussi utilisé pour répandre des ragots, ce qui l'intéressait encore moins ; et se doutait que personne ne lui répondrait même si elle posait quelque chose.
« Tu te fiches de moi ? » S'éleva une voix que Hana reconnut.
Jusqu'à présent, la classe avait été bruyante à son habitude, sans qu'un son ou qu'une voix se démarque plus que l'autre. Le brouhaha habituel de la première heure du matin, où tout le monde se disait bonjour et se plaignait de la journée à venir. Cependant, la voix de Ryuji, à la limite du cri, avait attiré l'attention de tout le monde dans la classe, Hana comprise.
« Je t'avais dit de te tenir tranquille ! » S'exclama Ryuji.
Le jeune garçon se tenait devant le pupitre de Kaeri – où cette dernière était calmement assise – et debout, la toisait du regard.
Hana ne savait pas trop ce qui se passait, mais étant liée aux deux personnes en train de se disputer, elle avait peur d'avoir un lien avec tout ça.
« J'ai fait ce que je croyais juste ! » Se défendit Kaeri. « Tu t'es complètement laissé embobiner ! »
« Quoi ? » Dit Ryuji, stupéfait. « Qu'est-ce que tu vas encore inventer comme mensonge ?! »
« Mais tu vois pas, Ryuji ? Elle t'a complètement endoctriné ! » Continua Kaeri, en feignant les larmes.
Pour rendre la scène encore plus émotionnelle, Kaeri leva les mains comme pour se saisir du jeune garçon en face d'elle.
« T'es complètement folle ! » S'exclama Ryuji en secouant son bras pour éviter que Kaeri ne le prenne en main. « Jusqu'où t'es prête à aller pour avoir ce que tu veux ?! »
'Jusqu'au bout', pensa Kaeri.
Elle n'allait pas se laisser faire. Depuis hier soir, elle et les filles du groupe avaient répandu la rumeur selon laquelle Takeuchi Hana se jouait des gens et faisait tout pour leur faire du mal, sous couvert d'un comportement calme et passif. Toute la classe avait consulté le groupe de discussion, et ce n'était qu'une question de temps avant que la rumeur ne se répande dans tout l'établissement. Le clou du spectacle était de montrer à quel point elle tenait à Ryuji, même si ce n'était plus qu'à moitié vrai depuis le refus qu'elle avait essuyé hier soir.
« Je suis prête à tout pour t'ouvrir les yeux ! » Plaida Kaeri.
« Dans ce cas je vais aussi t'ouvrir les yeux : je ne t'aime pas, et je ne sortirai jamais avec toi ! » Gronda Ryuji.
Kaeri resta silencieuse, mais même si elle hésita quelques secondes entre la colère et la honte, elle choisit une expression triste pour que les gens s'apitoient sur elle.
C'est ce moment que le premier professeur de la journée choisit pour entrer dans la salle de classe, et pour dire aux élèves de regagner leurs places avant le début du premier cours de la matinée.
Ryuji envoya un regard hostile à Kaeri avant de regagner son propre pupitre, et la jeune fille soutint son regard.
Hana, elle, avait un mauvais pressentiment. Elle était sûrement liée à ça, d'une façon ou d'une autre. Elle ne pouvait pas savoir ce qui se passait en dehors de la scène, car elle ne s'y était jamais intéressée ; mais pour une fois, elle espérait obtenir des informations.
Les deux premières heures de cours passèrent en un clin d'œil, et la pause du matin venue, Hana tenta d'en savoir plus en écoutant discrètement les conversations des élèves devant elle.
« Ça devient vraiment n'importe quoi, » dit la jeune fille aux cheveux courts. « Que ces deux-là sortent ensemble et qu'on en finisse... »
« Ils ne peuvent pas à cause de tu-sais-qui, » la contredit le jeune garçon assis à ses côtés. « Mais ça se voit que Ryuji joue le rôle du type qui refuse de s'avouer vaincu le premier. «
« Je pense plutôt que ce que dit Kaeri est vrai, et que Ryuji se fait mener par le bout du nez. Comme quoi, ce sont les plus silencieuses qui font le plus de dégâts, » dit la jeune fille.
« Non, je suis du côté de Ryuji sur ce coup-là. Kaeri est beaucoup trop directe dans ses approches, » rétorqua le jeune garçon. « Puis tout le monde sait qu'il est pas du genre à s'intéresser à des filles aussi insipides... »
« En même temps, qui s'intéresserait à une fille aussi coincée et distante ? »
Puis, espérant que Hana ne les ait pas entendus, ils jetèrent discrètement des regards en arrière vers la jeune fille qui occupait seule un double pupitre. Hana avait prévu cela, et s'était affairée à lire un livre, pour écouter sans vraiment rendre évident le fait qu'elle n'avait quasiment pas tourné de page depuis le début de sa lecture.
Rassurés, les deux élèves continuèrent leur conversation, bien qu'Hana ne les écoutait plus. Alors… C'était bien à cause d'elle que quelque chose n'allait pas dans la classe aujourd'hui. Elle se doutait aussi du regard que les autres pouvaient avoir d'elle, mais jusqu'à présent, cela ne l'avait pas préoccupée plus que cela. Elle ne faisait jamais attention à ce qui se passait autour d'elle, comme si tout cela l'indifférait.
Elle avait été un peu trop timide, au départ, puis étant émotionnellement instable, elle avait refusé de se montrer trop vulnérable face aux autres. Tenant les autres à distance, personne n'avait pris la peine de venir vers elle, et Hana s'était retrouvée tout naturellement isolée au sein de sa propre classe. Non pas que la situation lui déplaisait. Elle était tout à fait ravie de ne pas avoir à s'ouvrir aux autres.
Ce qu'elle appréciait moins, était qu'on lui accorde trop d'attention. Une attention qui se retrouva vite déviée, tous les regards étant rivés sur Ryuji et plusieurs garçons.
Il semblait que deux factions s'étaient formées même parmi les garçons de la classe, certains croyant Kaeri, d'autres soutenant Ryuji.
Cependant, ce qui se passa ensuite montra que le différent était bien plus préoccupant que ce que les gens auraient pu croire.
« Tu dis ça parce que t'es du côté de la recluse ! » S'exclama un des garçons. « Kaeri a rien fait de ma à part avoir des sentiments pour toi ! »
« Ryuji non plus a rien fait de mal ! » Répliqua un garçon en face de lui. « Il a pas envie de sortir avec Kaeri, donc le moins qu'elle puisse faire, c'est arrêter de le harceler ! »
« Du harcèlement ? Et puis quoi encore !? » Répondit l'autre garçon. « Si quelqu'un cherche à faire du mal aux autres, c'est la recluse, qui se sert de Ryuji ! »
« Personne se sert de Ryuji ! » Cria le garçon qui lui tenait tête.
Le ton montant vite, la situation dérailla et déboucha sur une bagarre générale entre les deux groupes de garçons. Ryuji, qui tentait au départ de les arrêter, commença aussi à taper les garçons qui se disaient du côté de Kaeri. Il se retrouva charrié par les autres garçons, au gré des coups et des mains envoyées vers l'avant pour agripper vêtements et cheveux. Des chaises et des bureaux se retrouvèrent poussés, des cahiers et des stylos renversés sur le sol.
Les filles et autres garçons qui refusaient de se voir mêlés à ça s'écartèrent vivement pour ne pas se prendre un coup de poing perdu, et Hana comme les autres élèves purent entendre les cris des surveillants et des enseignants des classes voisines ayant rappliqué en vitesse pour séparer les élèves bagarreurs. Pour qu'ils arrivent aussi vite, quelqu'un avait dû aller les chercher dès que la dispute avait commencé.
« Séparez-vous ! » Hurla l'un des surveillants.
Les professeurs s'étaient jetés dans la mêlée pour commencer à écarter les deux groupes d'élèves en levant leurs bras comme deux barrières, séparant la cohue en deux comme la mer Rouge. Puis, une fois les deux groupes séparés, et la réalisation que des adultes étaient intervenus les frappant enfin, les garçons se calmèrent.
Certains avaient les cheveux décoiffés, d'autre les poings éraflés. L'un d'une avait même le nez en sang, et le coupable derrière ce coup violent fut immédiatement empoigné par un des professeurs. Il s'agissait de Ryuji – considéré comme l'agresseur - et d'un autre garçon – la victime.
Les deux élèves furent traînés hors de la salle de classe et vers le bureau du principal pour l'un, l'infirmerie pour l'autre ; tandis que le professeur principal de la classe arriva enfin depuis la salle des professeurs. Il dut surveiller la classe entière pendant tout le reste de la pause du matin, et si le calme et le silence revinrent progressivement, Ryuji et le garçon au nez ensanglanté ne revinrent pas. Un surveillant vint chercher leurs affaires à tous les deux, sans expliquer la moindre chose sur ce qui allait arriver aux deux élèves manquants. Il était clair, même si personne ne le disait, qu'ils ne reverraient pas ces deux-là avant un bon moment.