Chapter 98 - Ils s'entraident.

Une fois sortie de la salle de pause, Hana, Ren, Yuuto et M ari retournèrent à leurs places. Heureusement, l'ambiance au huitième étage n'avait pas tant changé que cela. Puis, la pause de midi arriva, et les employés commencèrent à sortir ou à se rendre à la cafétéria pour déjeuner. À leur tour, Hana et ses collègues se dirigèrent vers le rez-de-chaussée pour manger ensemble ; assistant à une scène plutôt singulière.

Trois employés de leur Département faisaient face à quatre, peut-être cinq employés issus d'autres Départements. Il semblait y avoir un certain air de défi dans leurs yeux, et leurs postures indiquaient également qu'un conflit ouvert était en cours.

« Vous avez vraiment du culot, d'oser sortir alors que votre propre Directeur fait n'importe quoi, » se moqua une des employées en face d'eux.

« Jusqu'à preuve du contraire, c'est notre Directeur, et en tant que tel, il fait ce qu'il veut sans nous demander notre avis, » répondit avec assurance une jeune femme aux cheveux bouclés.

« Hein ? Vous trouvez ça normal qu'il joue de son influence pour protéger une employée ? » Ajouta-t-elle.

« C'est ce que tous le personnel dirigeant devrait faire pour ses employés, » dit un homme aux lunettes rondes. « On est censés être protégés en cas de coup dur, et pas mis sur la touche. »

« Vous dites ça, mais c'est votre propre Chef de Section qui s'est encore énervé ! » S'exclama un homme en costume bleu. « Ce type est une vraie boule de colère au cœur de glace ! »

« Si crier veut dire que le travail est bien fait, alors il peut crier autant qu'il veut. » Répondit l'homme à lunettes rondes. « On le connaît mieux que vous, alors on se fiche de ce que vous pensez. »

« Vous êtes vraiment des tarés dans ce Département pour adorer vous faire hurler dessus à longueur de journée ! » Se moqua l'employé masculin.

« Si ça peut permettre que des abrutis dans ton genre ne deviennent jamais nos collègues, c'est parfait ! » Dit la jeune femme aux cheveux bouclés.

« Répètes un peu pour voir ?! » S'exclama la femme d'un autre Département.

« Allons, Allons, » S'interposa Mari. « Vous devriez tous baisser d'un ton. »

Voyant que la situation dégénérait, l'employée plus âgée s'était avancée pour interrompre la dispute qui, montant d'intensité, résonnait à présent dans tout le hall de l'entreprise.

Tous les employés impliqués dans la dispute, qu'ils soient de son Département ou non, se turent et regardèrent Mari avec gêne. Il semblait que la femme élégante possédait une certaine autorité dont même Hana ignorait l'existence.

« Que vous soyez d'accord sur un point ou non, vous ne devriez pas hausser la voix pour essayer d'écraser les autres, » dit-elle aux employés du huitième étage.

Puis, se tournant vers les employés qui n'étaient pas de leur Département, elle ajouta :

« Et vous, vous ne devriez pas croire aveuglément tout ce qui se dit, que ce soit à notre propos, ou à votre sujet. Vous voulez que je dise à tout le monde ce qui se dit sur vous, pour que tout le monde se mette à parler sur votre dos ? » Menaça-t-elle.

Si les employés du Département Catastrophes Naturelles eurent un air désolé, les autres affichèrent des expressions craintives et hostiles, et fusillèrent du regard Mari comme Hana. Cependant, le groupe se fissura en deux, chacun partant de son côté, et quand les collègues d'Hana la croisèrent, ils s'adressèrent à elle.

« Ne t'en fais pas, Shinohara-san, » lui dit l'homme à lunettes rondes. « On sait que tu fais de ton mieux, et que ça ne cache pas de mauvaises intentions. »

« Et si le Directeur a choisi de t'aider, c'est son choix avant tout, et t'as rien dont tu doives te sentir coupable, ok ? » Renchérit la femme aux cheveux bouclés.

Hana les reconnut respectivement comme Yatagi-san et Hirowa-san, deux personnes que Hana avait déjà aidées à plusieurs reprises pendant les heures de travail. Qu'il s'agisse de leur faire des photocopies, de leur chercher des dossiers, ou encore de leur amener quelque chose à boire, ces deux personnes faisaient partie des collègues de bureau que la jeune femme avait assistés ces dernières semaines ; et il semblait que cela avait eu pour effet de la rendre appréciable à leurs yeux.

Toutefois, ce n'était probablement pas le seul facteur qui avait dicté ce comportement.

Tandis que les trois employés de leur Département les saluaient une dernière fois avant de se diriger vers la sortie, Mari s'adressa à Hana.

« Ceux-là ont un peu de mal à se contenir, mais je pense que tout le monde pense la même chose, » dit-elle avec un air plein de sympathie.

« Penser quoi ? » Demanda Yuuto. « Que le Chef est un abruti ? »

Ren se pinça l'arrête du nez.

« Au moins, vous êtes à mi-chemin de la vérité... » Soupira-t-il. Puis, se tournant vers Hana. « Le Département est peut-être défaillant sur certains points, mais ses employés excellent à être solidaires et à ne pas se laisser marcher sur les pieds. »

Hana Acquiesça silencieusement d'un hochement de tête. Les employés du Département Catastrophes Naturelles Savaient se montrer solidaires en cas de coup dur, y compris quand de mauvaises rumeurs circulaient à propos d'employés qu'ils côtoyaient.

Ils semblaient aussi ne pas tant se soucier de cela des choix de leur Directeur, ou des accès de colère du Chef Kobayashi.

En réalité, ils étaient même un peu heureux de voir le jeune homme s'impliquer de la sorte. Les précédents Directeurs n'étaient jamais restés longtemps, et se fichaient complètement de ce qui se passait au huitième étage. Ils ne s'impliquaient jamais, comme ils ne menaient pas leur travail à bien. Alors même si c'était mal d'utiliser son influence, le jeune Directeur n'avait pas agi en dehors de sa zone d'influence – le Département Catastrophes Naturelles et ses employés – et n'avait pas non plus utilisé cette influence pour faire quelque chose de mal. Alors quoi ? Tant pis si les autres voyaient ça de façon négative.

Pour les employés du huitième étage, c'était toujours mieux que rien. Ils savaient parfaitement que personne ne voulait aller dans leur Département à cause de leurs deux Chefs, qui étaient chacun insupportables à leur façon. Ils étaient passés par cette phase de jugement et d'appréhension, pour certains ; avant de rejoindre leur poste actuel.

Cependant, ils avaient tous appris à se méfier des rumeurs. C'était devenu une seconde nature chez eux.

Pour Hana, cela semblait hors de portée. Elle ne pouvait ignorer ce que les gens murmuraient sur elles dans les couloirs de Marline, ni les regards – discrets ou évidents – qu'on lui lançait.

C'était beaucoup de pression, de se retrouver l'objet de discussions et de médisances ; et cela l'aurait probablement moins affectée si elle n'avait pas eu le passif qu'elle avait. Elle n'aurait probablement pas ressenti cette angoisse et cette nervosité constante, et ce, malgré les paroles rassurantes de ses collègues. Elle n'aurait pas non plus à faire autant attention à ses faits et gestes en public.

Même en compagnie de Ren, Yuuto et Mari, elle n'arrivait pas à se sentir calme et apaisée. C'était comme si toute une période de sa vie passée refaisait surface pour la tourmenter à nouveau.

En avançant dans les rues et à travers la foule, c'était comme si elle entendait un écho venu tout droit d'il y a cinq ans en arrière. Comme si… Tout cela recommençait.

C'était impossible, pas vrai ?

Pourtant, c'était ce qu'elle ressentait. Il n'y avait rien d'autre dans son esprit. Qu'importe que le Chef Kobayashi lui ait crié injustement dessus, ou que Takao lui ait menti sur son identité. Tout cela n'avait aucun poids face à ce que son esprit lui dictait sur l'instant.

Vous aviez beau tenter de désapprendre certaines habitudes, elles restaient gravées dans votre cœur et votre esprit.

Être calme, et apaisé ? Non, plutôt paniquer et devenir paranoïaque en se méfiant de tout le monde.

Ce n'était normalement pas son genre de revenir sur une décision qu'elle avait prise il y a un moment, mais parfois, elle n'avait pas le choix.

Elle ne voulait plus être une victime, mais qu'est-ce que ça voulait dire, au fond, d'être une victime ? Était-ce tout accepter de ce qui vous arrivait, et faire comme si ça n'avait jamais existé ? Était-ce se lamenter chaque jour sur son sort, ou encore pardonner à ses agresseurs ? Est-ce que c'était de leur en vouloir et d'être en colère envers eux à chaque occasion donnée, pour garder enfouie cette rancune ? Où est-ce que c'était être sans arrêt torturé par des pensées négatives à chaque fois que le sujet était abordé sous une forme ou une autre ?

Ça, Hana ne le savait pas. Cela pouvait très bien être un mélange de tout, en diverses proportions. Ça pouvait aussi être quelque chose de tout à fait différent.

En tout cas, ce qui était sûr à ses yeux, était que certaines blessures ne guérissaient jamais, même avec du temps. Ces blessures profondes et fines, n'étaient pas mortelles, et c'était là toute leur gravité : elles ne vous menaçaient pas tant que ça, mais s'infiltraient jusqu'au plus profond de vous-mêmes. Comme des racines, elles allaient de plus en plus profondément, de plus en plus fines, si bien qu'on ignorait jusqu'à quel point elles s'étaient infiltrées dans votre cœur.

Et comme on en ignorait les limites, on ne pouvait jamais savoir avec certitude quand elles feraient à nouveau mal. Elles étaient là, ces blessures, et se faisaient discrètes. Jusqu'au moment, où de façon traître, elles se rappelaient à vous.

Sans pouvoir s'en empêcher, Hana fut envahie de souvenirs sur toute cette période de sa vie qu'elle aurait souhaité conjuguer au passé, pour toujours. Elle repensait à toute cette année en Lycée, où elle avait vécu comme l'ombre d'elle-même, et où elle avait peu à peu perdu tout espoir. Elle repensait à ces jours qui lui paraissaient interminables, et à ces lendemains qu'elle avait peur de voir arriver.

C'était si loin, et pourtant si présent, que Hana avait parfois du mal à faire la différence ; et quand passé comme présent se confondaient, c'était là que les douleurs de son cœur se réveillaient. C'était là, en cet instant, que tout lui revenait dans les moindres détails, et avec la même intensité.