« Vous voulez quoi ? » Demanda le jeune Directeur.
Ren détourna le regard de la décoration aux tons pastels pour faire face à l'homme qui patientait avec lui devant le comptoir de la boutique.
« Une infusion, » répondit-il.
Utagawa Takao leva un sourcil perplexe face à ce choix surprenant, et commanda à son tour un café. Puis, après avoir réglé leur commande, le jeune Directeur se dirigea vers une table près de la vitrine, suivi de près par Ren.
Il faudrait sûrement encore quelques minutes avant que leur commande ne soit prête, et Takao profita de ce temps en plus pour commencer à aborder le sujet qu'il voulait explorer en parlant à l'employé de Marline.
« Ça prendra sûrement du temps, mais j'ai beaucoup de questions à vous poser à propos de rumeurs que j'ai entendues, » commença-t-il.
« Des rumeurs ? » Répéta Ren.
« J'ai aussi entendu dire que vous étiez la personne idéale à qui poser des questions, » continua Takao. « Selon certains employés, vous êtes au courant d'absolument tout, et êtes toujours bien placé pour obtenir des informations. »
« Et donc ? Si vous en savez déjà autant sur moi, pourquoi ne me demandez-vous pas directement ce que vous voulez savoir ? »
Takao haussa les épaules.
« Je ne pensais pas vous demander ça de but en blanc, mais si vous insistez... » Dit Takao. « En consultant les dossiers du personnel, j'ai pu constater que le Département Catastrophes Naturelles était en sous effectif depuis très longtemps. Une raison particulière à cela ? »
« Vous me demandez ça par curiosité personnelle, ou en tant que Directeur de ce Département ? » Demanda en retour Ren. « Car à en juger par votre ton de voix et la façon dont vous parlez, on dirait que vous avez déjà votre propre idée. »
Takao eut un sourire narquois, mais ne se laissa pas pour autant déstabiliser.
« Je pense que beaucoup de personnes ont démissionné ou ont demandé à être mutées dans ce Département à cause du Chef Kobayashi, » dit-il brusquement. « Je me trompe ? »
« Ça dépends de ce que vous voulez dire par le fait que ce serait de sa faute à lui, » dit calmement Ren.
« Et selon vous, qu'est-ce qui me fait dire que c'est sa faute ? Vous devez être bien placé, en tant qu'employé avec une longue ancienneté au même poste, pour savoir tout ce qui se passe, non ? » Répliqua Takao.
« Je suis en effet capable d'observer ce qui se passe tout autour de moi, depuis plusieurs années déjà, » répondit Ren. « Et je peux vous assurer que même avant l'arrivée de Kobayashi Shinsuke dans l'entreprise, la situation était déjà compliquée. »
Un peu agacé par cette réponse qui n'allait pas dans la direction espérée, Takao fronça les sourcils.
« Donc vous dites que Kobayashi Shinsuke ne serait pas en cause dans ces départs répétés ? » Demanda-t-il avec une voix plus grave.
« Oui. Même si le Chef Kobayashi a parfois des accès de colère, il n'est pas fautif concernant les démissions ou les transferts de Départements, » confirma Ren.
« Pourtant, bon nombre d'employés disent que ce Département est celui des fous, et que personne ne veut y travailler. Il doit bien y avoir une raison pour que de telles rumeurs circulent, non ? » Insista Takao.
« Et en tant que Directeur, vous les croyez ? » Le contredit Ren. « Je pensais qu'en tant que Directeur, vous ne croiriez pas les gens qui tentent de dénigrer le Département dont vous avez la charge... »
Une employée de la boutique arriva avec un plateau, et posa devant eux deux tasses ; interrompant momentanément leur joute verbale.
Les deux hommes la remercièrent poliment, et avant que Takao ne puisse reprendre la parole, Ren le prit de court en parlant le premier.
« Je suis une personne pratique et terre-à-terre avant tout, » dit Ren en clignant lentement des yeux. « Donc je ne suis pas du genre à dire des choses pour faire plaisir aux autres. »
La remarque piqua au vif Takao.
« Que voulez-vous dire par là ? » Demanda-t-il en craquant sa mâchoire.
« Je vous ai demandé si vous vouliez en savoir plus pour raison personnelle ou en tant que Directeur, non ? » Dit Ren en portant à ses lèvres la tasse à l'arôme familier.
Il but deux gorgées, et reposant la tasse sur sa coupelle, croisa les jambes sous la table.
« Depuis que vous commencez à me poser des questions, vous semblez toujours orienter la conversation vers un certain point. » Continua Ren. « Vous espérez que mes paroles iront aussi dans votre sens, pour confirmer votre aversion envers le Chef Kobayashi. »
« Mon aversion ? C'est n'importe quoi. » Se moqua Takao.
« Alors comment appelez-vous ça ? À mes yeux, il semble que vous avez déjà votre idée de faite sur la situation, et espérez que d'autres personnes confirmeront votre ressenti. » Trancha Ren. « Cependant, vous vous trompez. »
Un peu pris de court par cette attitude directe et à la limite de l'insubordination, Takao resta silencieux un instant.
Oui, il avait déjà une opinion bien faite du Chef Kobayashi, et à juste titre. Il avait vu comment le Chef de Section s'emportait, et comment il se comportait avec Shinohara Hana. C'était un type violent dans ses propos et son attitude, et il n'avait rien fait jusqu'à présent pour faire changer d'avis Takao.
« Vous pensez vraiment que je me trompe, en pensant que le Chef Kobayashi n'a pas sa place dans l'entreprise ? » Demanda Takao.
« Parce que vous pensez qu'il devrait être renvoyé ? Juste pour s'être assuré que les employés faisaient bien leur travail ? » Lui fit remarquer Ren.
« Non, je ne remet pas en cause cela. Ce que je remet en cause, est qu'il a tendance à blesser les gens avec la façon dont il se comporte. »
« Par 'les gens', vous devez sûrement penser à quelqu'un en particulier, » observa Ren. « Alors laissez-moi vous poser encore une fois cette question : est-ce personnel, ou professionnel ? »
Cette fois, Takao fit directement le rapport entre la question de Ren, et ce qu'il pensait depuis le début.
Il s'était peut-être fourvoyé en pensant que c'était uniquement pour des raisons professionnelles qu'il s'était intéressé à ce qui se passait dans le Département dont il avait la charge. Peut-être qu'il s'était intéressé au manque de personnel et à l'implication possible du Chef Kobayashi dans cette situation car il espérait pouvoir trouver quelque chose contre ce type.
Et s'il espérait trouver quelque chose contre lui, c'était plus que probable que Shinohara Hana en était la cause.
Inconsciemment, il avait voulu protéger la jeune femme, ou peut-être même la venger, et était allé un peu trop loin. La question que Ito Ren avait répétée avec insistance prenait aussi tout son sens : si Takao lui-même ne s'en était pas rendu compte, les gens autour de lui avaient tout à fait compris que sa curiosité n'avait pas de bases honnêtes.
Toutefois, ce n'était pas quelque chose qu'il comptait avouer à l'homme assis en face de lui. Il ne voulait pas être tourné en ridicule pour ne s'être rendu compte que maintenant que ses sentiments personnels avaient pris le pas sur ses préoccupations professionnelles.
« Que je pense à quelqu'un de particulier ou non, le résultat reste le même : je suis convaincu que le Chef Kobayashi abuse de son autorité et se montre trop colérique pour la fonction qu'il occupe. »
« Tout le monde sait que le Chef Kobayashi peut être dur dans ses propos et parfois s'emporter, mais il ne le fait jamais sans raison, » concéda Ren. « Cependant, en tant que Directeur, vous ne le côtoyez pas comme nous, employés en poste dans le Département tous les jours, le côtoyons. Vous ne pouvez pas avoir le même regard que nous sur les événements, et pouvez donc vous tromper par défaut d'information. »
Peut-être ne pouvait-il pas observer le Chef Kobayashi comme il le fallait, mais pour ce qui était de l'incident survenu au Service Juridique, Takao avait tout vu. Il avait assisté à toute la scène, et rien ne pouvait justifier le comportement que ce type avait eu envers Hana. C'était quelque chose que Ito Ren ignorait sûrement ; alors leurs points de vues ne pouvaient être que différents.
Peut-être avait-il fait une erreur en s'adressant à cet homme.
Ren poussa un soupir, et s'appuyant en arrière sur sa chaise – une attitude plutôt perturbante pour quelqu'un d'aussi soigné et impeccable dans ses mouvements que lui – il croisa les bras.
« Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression qu'à chaque fois que je me retrouve ici, c'est pour donner des conseils aux gens... » Dit Ren avec un air contrarié.
Même si la situation était très différente de ce jour où Hasami Mari lui avait offert une infusion ici, l'issue en était d'autant plus identique.
« Pardon ? » Lâcha Takao, un peu déstabilisé par les propos de l'employé assis en face de lui.
« Je ne sais vraiment pas pourquoi les gens viennent me chercher pour obtenir des conseils, alors que je suis la pire personne à qui en demander, » continua Ren. « Je ne suis pas du genre à être émotif, ou à suffisamment m'intéresser aux autres pour avoir une opinion objective, bien que je fasse l'effort de ne jamais dire de mauvaises choses... »
Il décroisa les bras, et se redressant en avant, reprit une posture correcte et droite.
« Mais puisqu'on en est là, autant tenter de vous donner des conseils. » Dit-il avec un regard perçant. « Vous devriez expérimenter les choses par vous-même, et vous débarrasser de vos préjugés. Ce n'est pas en croyant ce que des personnes tierces vous livrent que vous pourrez vous faire une autre opinion. Et je vous arrête tout de suite, si vous pensez que vous n'avez plus rien à découvrir au sujet d'une personne. »
Il poussa alors sa tasse et sa soucoupe vers Takao, et tout en regardant la boisson de couleur violette qui se trouvait à l'intérieur, dit :
« Selon vous, est-ce que je suis le genre de personne à commander de moi-même ce genre de boisson ? »
Qu'est-ce que c'était que cette question ? Takao n'en voyait pas l'intérêt, et ne comprenait pas en quoi le choix d'une boisson pouvait être important dans la discussion actuelle.
« Vous ne pouvez pas savoir, pas vrai ? » Dit Ren en relevant le regard vers Takao. « Parce que vous ne me connaissez pas assez pour l'affirmer avec certitude. De même, je ne peux pas affirmer avec certitude les raisons pour lesquelles vous souhaitez cacher votre poste dans l'entreprise à Shinohara Hana. »
Takao fut un peu surpris de voir la discussion partir dans cette direction, et se demanda si Ito Ren avait fait exprès de citer le nom de la jeune femme pour rendre la situation plus abordable à son esprit.
« Les gens ne montrent pas toujours ce qu'on veut savoir d'eux, et on ne voit pas forcément ce qu'ils espèrent qu'on perçoive. » Conclut Takao. « Ce n'est pas parce que vous avez vu quelque chose au sujet d'une personne, qu'elle se définit uniquement par cela. »