Pendant ce temps et depuis son poste de travail, Chiho avait observé toute la scène se déroulant dans la salle de pause.
Elle avait vu le nouveau Directeur discuter confortablement avec Hana, et sourire à la jeune femme de façon naturelle. Ils étaient tous les deux confortables l'un avec l'autre.
Pour Chiho, ça ne faisait aucun doute : quelque chose se tramait entre Hana et ce type de la direction, et elle se sentait que la solution à ses problèmes n'était peut-être pas si loin d'elle qu'elle aurait pu le croire.
Si Hana s'était rapprochée de ce type, alors il était aussi possible de l'en éloigner brusquement ; et Chiho était une experte dans ce domaine. Depuis toujours, elle savait comment analyser le comportement des gens pour comprendre ce qu'ils pensaient, et comment elle devait les manipuler pour obtenir ce qu'elle voulait. Elle l'avait toujours fait, et c'était comme une seconde nature chez elle.
Elle savait déjà quelles étaient les faiblesses de la jeune femme, et comment les exploiter ; ce qui jouait nettement en sa faveur. Il suffisait d'une seule opportunité pour qu'elle puisse mettre son plan à exécution.
Bien sûr, elle pouvait aussi compter sur la présence du Chef Kobayashi : ce type colérique était du genre très facile à manipuler, car ce genre de personne s'emportait toujours en premier avant d'avoir obtenu des explications. Même s'il semblait s'être un peu apaisé ces derniers jours, Chiho savait que ce genre de personne bouillonnait de l'intérieur et qu'il suffisait d'une seule étincelle pour provoquer une explosion.
Après tout, il était très facile de gagner la confiance de quelqu'une, et encore plus facile de la perdre subitement.
D'autant plus que le Chef Kobayashi semblait harponner du regard le jeune Directeur assis en salle de pause. Elle ne savait pas encore si cela valait le coup d'être rapporté à Yamada Kiyo. Cette dernière lui avait bien dit de lui faire part de tous les faits et gestes du Chef de Section, et Chiho devait donc estimer si ce comportement était digne d'être consigné ou non.
Les derniers employés encore en pause retournèrent à leurs bureaux ou vers l'ascenseur pour se rendre dans leur propre Département, et Chiho observa avec attention Hana.
Depuis leur altercation ce matin, la jeune femme n'avait pas daigné lui lancer un seul regard et l'ignorait complètement ; ce qui n'en finissait pas d'énerver Chiho. Cette fille se croyait déjà en terrain conquis, juste parce qu'elle avait réussi à coincer son ancienne camarade de classe dans la cage d'escaliers.
Le jeune Directeur se dirigea vers l'ascenseur – sûrement pour repartir vers les étages de la direction de l'entreprise – et la jeune femme commença à avoir une idée.
Hana venait tout juste d'arriver, donc elle ne pouvait normalement pas être renvoyée avant la fin de sa période d'internat de un an.
En revanche, elle pouvait démissionner par elle-même, ou le cas échéant, être renvoyée pour faute grave. Il restait donc ces deux scénarios probables pour pouvoir se débarrasser d'elle ; et il ne manquait plus qu'à Chiho de trouver l'élément qui servirait de déclencheur.
Au même moment, Hana et Mari discutaient ensemble, installées côte à côte à leurs bureaux.
« Franchement Hana, tu me surprends… Je pensais que tu avais compris que je voulais être ton amie... » Soupira Mari. « Je suis même venue te voir pendant le weekend... »
Hum. Maintenant qu'Hana y pensait, c'est vrai que c'était plutôt inhabituel de voir une simple collègue de travail débarquer chez elle en dehors des heures de travail ; qui plus est avec son enfant.
« J'ai… J'ai pas l'habitude... » Dit avec gêne Hana.
« Heureusement que ce type était là pour me le faire savoir, » soupira Mari. « Au fait, c'est qui ? »
« Un ami… ? » Répondit avec doute Hana, n'était pas sûr de l'objet de la question.
« Oui, d'accord, mais il fait quoi à Marline ? »
Hana fronça les sourcils. La question, tout à fait légitime, lui échappait également.
Jusqu'à présent, elle n'avait jamais demandé à Takao quel poste il occupait et dans quel Département, parce qu'elle n'en avait pas vu l'utilité.
Cependant, ne pas savoir où il travaillait exactement pouvait rendre difficile de le retrouver, si jamais elle décidait elle-même d'aller à sa rencontre.
« Je… j'en ai pas la moindre idée... » Répondit-elle.
« Hé, sans blague ? Ah… C'est vraiment pire que ce que j'aurais pu penser... » Se plaignit Mari. « Non seulement tu n'as aucune expérience relationnelle, mais en plus tu n'es même pas curieuse au sujet des autres ? »
Hana baissa un peu la tête, dépitée.
« Bon, de toute façon tu sais que je suis là pour te conseiller si tu en as besoin ! » La réconforta Mari. « Laisse faire cette amie experte en relations pour t'apprendre plein de choses ! »
Un peu rassurée, Hana hocha de la tête. Si Mari la conseillait en effet sur ce qui lui faisait lacune, elle pourrait sûrement s'améliorer sur le plan social.
« Tu sais au moins comment il s'appelle, hein ? » Voulut s'assurer Mari.
« O-oui, » répondit Hana. « Utagawa Takao. »
« Ut- ! » S'exclama Mari avant de subitement se taire.
Ce nom de famille ne lui était pas inconnu. En réalité, la plupart des employés le connaissaient : c'était aussi celui de leur PDG. Les chances étaient bien trop minces pour que deux personnes partageant des noms aussi distincts se retrouvent par hasard dans la même entreprise, et même si elle devait encore confirmer cette information, Mari pouvait à peine cacher sa surprise.
Si elle ne se trompait pas, cet homme qui venait de discuter avec eux en toute aisance et sans complexes était de la même famille que leur PDG ; et la jeune femme en face de lui avait dit son nom en toute légèreté, comme si elle parlait de n'importe qui.
Se pouvait-il qu'Hana ignore qui pouvait potentiellement être cet homme ?
Avec précautions, Mari observa la jeune femme en face d'elle : Hana ne semblait pas du tout stressée ni affolée de prononcer ce mot. Elle semblait aussi ne pas comprendre pourquoi Mari avait réagi avec un air aussi choqué, ce qui tendait à confirmer qu'elle n'avait pas la moindre idée de qui était vraiment son « ami ».
« Quelque chose ne va pas ? » Demanda Hana.
« Ah, euh, non. J'ai juste pensé à quelque chose sur le moment, » prétexta Mari.
Non, avant d'avancer une chose pareille à Hana, elle devait d'abord s'assurer que cet homme était bien qui elle pensait.
« Shinohara. » Dit une voix d'homme.
Elle leva les yeux, et vit que le Chef Kobayashi s'était approché d'elles pendant qu'elles discutaient. Hana le regardait aussi avec appréhension, bien que Mari détecta sur son visage une pointe de panique certainement dû à l'apparition inopportune de cet homme juste à ses côtés.
« Quand tu auras fini la compilation des données de l'année dernière, détruis les doublons pour libérer de la place. » Lui ordonna-t-il en désignant les gros classeurs sur son bureau et ceux restés dans la longue armoire près des photocopieurs.
Il semblait un peu plus calme que d'habitude, et Mari sentit aussi sur elle les paires d'yeux indiscrets qui toisaient déjà le Chef de Section.
Nul doute que, même avec la rumeur dissipée par Hana, les gens continuaient de l'avoir en horreur et à le surveiller avec méfiance.
« Et… Si tu comprends pas un truc… Tu peux demander à tes collègues ou au Chef Adjoint Ogawa... » Ajouta-t-il avec une certaine gêne.
Il semblait un peu embarrassé et contraint de donner ce conseil, auquel Hana répondit par un sourire tout aussi gêné.
Peut-être essayait-il d'assagir son comportement ?
Jetant un regard sévère tout autour d'eux, le Chef Kobayashi retourna vers sa place, et Mari posa le coude sur son bureau pour laisser reposer sa tête dans sa main.
« On dirait qu'il marche sur des œufs, vu comme il fait soudainement attention à ne pas hurler, » pensa-t-elle à voix basse.
« C'est… Surprenant, oui... » Dit Hana.
« Il est comme ça depuis le jour suivant ton aller retour à l'hôpital, » ajouta Mari. « J'ai l'impression que même s'il ne le montre pas, ça l'a bien secoué d'assister à ça. Je lui en voudrais pas pour ça, moi aussi ça m'a choqué de te voir utiliser ce stylo... »
« Uwah, même moi j'arrive pas à croire ce que j'ai vu, » ajouta discrètement Yuuto.
Hana eut un sourire sympathique ; désolée que cet événement plutôt rare avait pu perturber ses collègues.
« C'est sûrement pour ça que, même en sachant qu'il n'était pas fautif, les gens lui en veulent quand même encore, » observa Mari. « Ça a marqué les esprits. »
C'est vrai…
Hana n'avait pas pu s'en rendre compte sur le moment, à cause de son état, mais les gens qui avaient assisté à la scène avaient été affolés et inquiets. Elle comprenait un peu mieux aussi pourquoi Mari était venue la voir directement chez elle.
La femme plus âgée avait dû vouloir savoir si tout allait bien, sans pour autant avertir Hana de la situation au travail. Sûrement pour lui éviter de s'inquiéter à son tour, ou de stresser à l'idée d'être au centre des regards et des rumeurs. Il y avait bien eu des regards furtifs dirigés vers elle, mais ça n'avait pas été suffisamment notable pour qu'elle en prenne pleinement conscience.
« Vraiment désolée de vous avoir tous inquiétés... » Dit d'une petite voix Hana.
Mari hocha la tête tandis que Yuuto se pencha en arrière sur son siège pour sourire à Hana avec désinvolture. Ren se contenta de lui lancer un regard au-dessus de l'écran de séparation en plastic gris.
Toutefois, même en sachant maintenant qu'il y avait eu une certaine agitation ces derniers jours, cela ne changeait rien à la situation. Hana allait mieux, et elle avait averti Chiho.
De plus, le Chef Kobayashi, peut-être pris de remords, essayait d'être moins agressif dans son comportement. Ce qui, aux yeux d'Hana, représentait une opportunité sans précédent : elle pourrait tenter de se rapprocher un peu plus de lui, et faire en sorte qu'il lui fasse confiance.