Shinsuke se gratta la tête avec nervosité tandis que l'infirmière lui tendait un document administratif à remplir.
Il avait encore du mal à réaliser comment il avait pu se mettre dans ce pétrin.
Déjà, l'incident avait attiré l'attention de beaucoup de personnes, ce qui, indirectement, l'avait aussi mis au centre des préoccupations. Ensuite, sachant qu'il avait rapidement accompagné la jeune femme dans le hall pour la remettre aux urgentistes, il avait été embarqué contre son gré dans l'ambulance.
« Vous êtes son accompagnateur ? » Avait demandé l'un des urgentistes.
« Non, je suis son responsable, » avait rapidement rebuté Shinsuke.
« Dans ce cas montez, » avait alors dit l'homme avant de commencer à pousser Shinsuke à l'arrière du véhicule.
« Non, attendez- »
« On a pas de temps à perdre ! » Le pressa l'ambulancier.
« Puisque je vous dis que- »
« On verra ça à l'arrivée, d'accord ? » Lui coupa une nouvelle fois l'autre homme.
Le médecin avait alors fermé rapidement la porte arrière de l'ambulance, ne laissant aucune chance à Shinsuke de s'échapper. Le véhicule avait démarré, puis laissé derrière lui Marline et le quartier dans lequel se trouvait l'entreprise, avant de finir par s'engouffrer sur une grande avenue pour rejoindre l'hôpital le plus proche.
Quelques minutes plus tard, ils étaient enfin arrivés aux urgences, et la jeune femme avait été emmenée dans le hall, tandis qu'un médecin était venu rapidement lui demander des informations sur ce qui s'était passé.
Enfin cette agitation passée, il avait été laissé seul, planté en plein milieu de la grande salle d'attente, sans vraiment savoir s'il pouvait partir ou pas. Du moins, jusqu'à ce qu'une infirmière l'appelle.
Ce qui ramenait Shinsuke au moment présent, coincé à l'accueil, à devoir remplir des documents pour une personne qu'il connaissait à peine.
Il n'aimait pas vraiment les hôpitaux, et se faire emmener hors de son lieu de travail alors qu'il n'avait même pas terminé sa journée était la dernière des choses qu'il aurait pu souhaiter.
À cause de cela, le travail allait s'empiler, et le nouveau Directeur allait probablement lui passer un savon pour s'être absenté de son poste sans prévenir.
Il grimaça un instant, et se gratta à nouveau le crâne, ce qui le décoiffa légèrement.
Ok, il connaissait son nom et son prénom.
Mais pour tout le reste…
Il ne s'était pas intéressé plus que cela à la jeune femme, et vu la relation plus que tendue qu'il avait jusqu'à présent eue avec elle, il n'avait pas pris l'initiative de lancer une discussion avec elle pour en apprendre plus sur sa vie.
Son âge ? Inconnu.
Son adresse ? Inexistante.
Ses contacts à prévenir en cas d'urgence ? Étrangers.
Plus il avançait dans le questionnaire de prise en charge de patient, plus il se rendait compte qu'il ne savait absolument rien de la personne qu'il avait accompagnée malgré lui aux urgences.
'Allez Shinsuke, t'es pas si stupide que ça, pas vrai ?' Pensa-t-il. 'T'es sûr que t'as rien appris au détour d'une conversation ?'
Il réfléchit un moment, tentant de se remémorer toutes les fois où la jeune femme lui avait adressé la parole ou que quelqu'un avait parlé d'elle.
Rien. Rien du tout.
Frustré, il tendit à l'infirmière un questionnaire presque vierge, obtenant de la part de la jeune femme en blouse bleu ciel un regard réprobateur.
« Vous n'en savez pas plus ? » Demanda-t-elle, un peu déçue. « Je pensais que vous étiez de sa famille... »
« Hein ? Euh non, absolument pas, » contredit immédiatement Shinsuke. « Nous travaillons au même endroit, c'est tout. »
« Ah, donc vous étiez juste là pour l'accompagner, rien de plus ? » Demanda l'infirmière, soucieuse.
« Oui, même si j'aurais préféré ne pas venir, » renifla-t-il. « Pourquoi ça ? »
« Hé bien, il semble que la personne que vous avez amenée n'a jamais été vue par notre hôpital, ni ceux aux alentours... » Déclara l'infirmière. « Donc nous n'avons pas de dossier la concernant, ni de personne de sa famille à prévenir... »
« Bah. Vous lui demanderez quand elle sera plus en forme, » répondit nonchalamment Shinsuke. « Je peux y aller ? »
« Le médecin aura peut-être besoin de vous parler, » dit-elle au lieu de lui répondre directement.
L'infirmière lui fit un petit sourire maladroit, avant de s'excuser pour aller entrer informatiquement les informations qu'elle avait obtenues. Peut-être pensait-elle en disant cela qu'il pourrait lui donner les coordonnées de quelqu'un proche d'Hana. Mais encore une fois, il en savait trop peu sur elle, et selon lui, elle devait sûrement vivre seule.
Retournant s'asseoir dans l'espace d'attente sur un siège en extrémité de rangée, il sortit son téléphone.
Étant donné qu'il était coincé ici pour une durée indéterminée et qu'il ne pouvait pas non plus travailler, il n'avait plus qu'à profiter de cette pause forcée. Et maintenant qu'il y pensait, il n'avait pas regardé depuis un moment les dernières publications d'un photographe qu'il suivait sur les réseaux sociaux.
Ouvrant une application de partage de photos, il chercha rapidement le nom d'utilisateur qu'il avait déjà tapé des centaines de fois – peut-être plus, même - avant cela, et tomba sur le profil qu'il voulait consulter.
La dernière photo était toujours la même depuis bientôt deux semaines, et il se demandait si quelque chose n'allait pas. Jusqu'à présent, le photographe avait toujours posté une ou deux nouvelles photos par semaine ; laissant Shinsuke attendre avec appréhension et excitation toute nouvelle publication. Toutefois, le manque de mises à jour l'avait plutôt déçu, et avait miné son moral déjà bien bas.
Il ouvrit en grand la dernière publication, et en contempla chaque détail avec attention.
Il s'agissait d'une route de campagne sans grande prétention située au milieu de nulle part, en pleine nuit, et bordée de deux fossés pour laisser s'écouler l'eau de pluie. On pouvait distinguer au loin un chapelet discret de lumières indiquant qu'une petite ville s'y trouvait probablement, logée entre deux collines dont les silhouettes foncées étaient à peine visibles devant un ciel étoilé sombre et vide de tout nuage.
Les côtés de la photo se perdaient dans de grandes herbes hautes partant dans tous les sens comme si quelqu'un avait caressé à l'envers les poils d'un chat, et sur la route elle-même, des feuilles avaient commencé à tomber, tandis qu'une vieille bicyclette toute tordue dépassait de derrière un rocher.
Enfin, quelques flaques d'eau reflétaient leurs environs immédiats, comme des morceaux de miroirs qui auraient été posés à même le sol.
Malgré toute l'agitation qui régnait dans les urgences, Shinsuke se sentit apaisé. Regarder le cliché pris de nuit l'avait calmé, et lui avait fait oublier tous ses soucis, comme si ces derniers n'avaient jamais existé.
Aussi longtemps qu'il s'en souvienne, ces photos, toujours prises de nuit et sans un seul sujet humain devant l'objectif, avaient toujours déclenché un sentiment de tranquillité chez lui. Et au fur et à mesure, c'était devenu une habitude de vérifier les nouvelles mises à jour.
S'il s'en souvenait bien, le photographe avait commencé à poster il y a de cela 4 ans, et avait depuis décroché un contrat pour des livres avec un éditeur. Bien entendu, Shinsuke avait acheté les livres dès leur parution. Il s'était surpris lui-même, en agissant de la sorte. Il n'était pas du genre à suivre avec avidité les célébrités ou les influenceurs qui postaient régulièrement sur ce genre d'application. Il était plutôt du genre à suivre les comptes postaient des photographies de paysages urbains ou naturels. Dans ces clichés, les gens ne prétendaient pas, et les retouches étaient purement esthétiques, et non pour flatter l'ego de quelqu'un.
Toutefois, ce photographe était différent. Les photos n'étaient jamais retouchées et étaient postées brut, telles quelles. Il n'y avait pas non plus de photos de lieux connus de la capitale, étant donné que l'artiste semblait vivre en zone rurale.
Rapidement, Shinsuke vérifia la boutique en ligne pour voir si des nouveautés étaient parues depuis la dernière fois.
Toujours rien. Les trois précédents livres étaient toujours disponibles à la commande, et…
Attendez un instant… Est-ce qu'il y avait un nouvel article sur le blog attaché à la boutique ?
Avec l'anxiété – cette fois positive - le gagnant à nouveau, il cliqua sur le lien menant au contenu, et commença à lire.
Un quatrième livre était sur le point d'être publié, avec des photos inédites, ce qui ravit Shinsuke au plus haut point. Puis, une phrase en fin d'article attira son attention.
[Le quatrième volume sera accompagné d'une carte postale signée par l'artiste. Attendez-le avec impatience!]
Une carte signée ?
Maintenant qu'il y pensait, l'artiste n'avait jamais fait de séances de dédicaces, ni même d'apparition publique pour promouvoir ses livres ; se contentant de faire passer toute la publicité directement à ses abonnés.
Encore une fois, c'était plus pour les photos elles mêmes que la personne derrière l'objectif, qu'il achetait les livres et suivait les publications en ligne. Mais… Pourquoi pas.
Il passa la demi-heure suivante à consulter ses e-mails et à passer un coup de fil à Saizo pour lui déléguer certaines de ses tâches, avant que le médecin ayant pris en charge Shinohara Hana ne vienne le chercher.
« Le gardien de mademoiselle Shinohara ? » Appela-t-il.
Shinsuke ne réagit pas tout de suite, ne comprenant pas que ces mots le désignaient lui, même s'il n'était pas d'accord avec la formulation employée.
Le médecin appela une seconde fois, et il leva enfin les yeux, ayant compris que c'était lui qu'on appelait de la sorte.
« Je suis pas son gardien... » Se plaignit Shinsuke.
« Mais vous êtes bien la personne qui l'a accompagnée, non ? » Chercha à confirmer le médecin qui s'était approché de lui.
« Oui, je suppose... » Répondit Shinsuke, un peu fatigué de devoir corriger chaque personne qui s'adressait à lui.
« Mademoiselle Shinohara va mieux, mais je déconseille qu'elle retourne au travail pour aujourd'hui, mais aussi pour demain. Elle a besoin de se reposer ce weekend, mais elle devrait être complètement remise pour lundi prochain, » expliqua le docteur. « Par contre, je lui en ai déjà parlé, mais je pense qu'il faudra que vous insistiez auprès d'elle sur ce point. Ce n'est pas parce qu'elle n'a pas eu de crise depuis longtemps que la réaction allergique sera moins forte. »
« Une… Allergie ? » Répéta Shinsuke.
« Quoi ? Je pensais que vous l'aviez accompagnée parce que vous le saviez... » Dit le docteur, perplexe.
« Non, encore une fois, j'ai un peu été forcé à venir, » protesta Shinsuke. « Personne ne m'a demandé mon avis. »
Le médecin fit un sourire sympathique, comme s'il était habitué à entendre régulièrement ce genre de plaintes, puis lui tendit une enveloppe.
« Mademoiselle Shinohara va pouvoir sortir dans peu de temps, mais si vous voulez, vous pouvez déjà aller au comptoir de la pharmacie pour aller récupérer ses médicaments, » dit-il avant de repartir pour déjà aller voir un autre patient.