Sac en papier contenant la prescription dans la main, Shinsuke repartit vers le rez-de-chaussée et la salle des urgences où plusieurs lits alignés contre le mur s'étaient vidés depuis son départ.
Il se demandait encore comment il avait pu se retrouver embarqué dans cette histoire, bien qu'il connaissait déjà la réponse à cette question.
Alors qu'il parlait à la jeune femme, l'hésitation de cette dernière l'avait rapidement agacé, et il s'était emporté. Était alors survenue sans prévenir l'altercation avec Hasami Mari et la crise de la jeune femme.
« Chef Kobayashi, je trouve que vous êtes un peu dur avec Hana, » l'avait réprimandé l'employée. « Elle n'est là que depuis peu, alors c'est normal qu'elle ne sache pas tout. »
« Ça fait pourtant partie du bon sens à avoir que de savoir si un document doit nécessiter mon approbation ou non ! » avait-t-il répondu.
« Vous pourriez tout de même lui donner le bénéfice du doute ! Vous n'avez même pas assigné de personne pour la superviser à votre place ! » Le contredit avec fermeté Mari.
L'état inquiétant de la jeune femme avait coupé court à tout autre conflit, et rapidement, Shinsuke s'était retrouvé dans une position qui ne lui était pas étrangère : à se précipiter avec la jeune femme portée sur son dos.
Dans d'autres circonstances, il aurait certainement râlé pour se plaindre que la situation était plus que désagréable et déjà vue ; ou encore que cette femme se croyait tout permis et pensait qu'elle pouvait vraiment lui faire subir tout et n'importe quoi.
Cependant, dans l'urgence de la situation et l'inquiétude collective, il s'était concentré sur le chemin à suivre jusque dans le hall de Marline, ainsi que sur le fait de tenir fermement la jeune femme pour qu'elle ne tombe pas, avec l'assistance de Mari et Yuuto l'escortant de près.
Puis par la suite, trajet jusqu'à l'hôpital, entrée aux urgences, puis l'attente. Tout ça, pour se retrouver à ce moment précis où il cherchait du regard la jeune Shinohara Hana.
De nombreux médecins et infirmières passaient ça et là, occupés à contrôler tous les patients qui se trouvaient encore dans le grand espace ouvert des urgences ; et Shinsuke se demandait si, en les suivant, il finirait par trouver la jeune femme.
Un peu trop impatient et détestant attendre sans rien faire, il préféra faire le tour des différents espaces pour essayer de l'apercevoir.
Il croisa le regard de patients avec des bras ou des jambes cassées ; un lycéen qui s'était tordu le doigt, un jeune homme terrassé par une mauvaise grippe, ou encore une femme en survêtement de sport dormant paisiblement avec une perfusion au bras.
Pour une fin de semaine, les urgences étaient plutôt calmes, ce qui rassura Shinsuke. Ce dernier n'aimait vraiment pas se trouver des ce genre de lieu, et plus particulièrement aux urgences ; et il ne pouvait s'empêcher d'être mal à l'aise et tendu, même avec le calme ambiant.
Ce lieu lui rappelait trop de mauvais souvenirs, et il cherchait à l'éviter comme la peste ; même quand lui-même était malade ou blessé. C'était presque une sorte de réflexe, que Shinsuke ne pouvait contrôler.
Être aux urgences équivalait à ressentir des nausées, à avoir la tête qui tourne, et à avoir encore plus mal à son bras droit. Tout ce qu'il détestait et le faisait se sentir mal.
Tournant après une salle de soins, il aperçut au loin une personne aux longs cheveux noirs qui lui tournait le dos pour parler à un infirmier, et sentant qu'il avait peut-être trouvé la jeune femme, se dirigea vers les deux personnes qui entretenaient une conversation continue.
« Les scanners n'ont rien trouvé d'anormal mais vous devez tout de même rester vigilante en cas de chute, » lui expliqua le jeune homme en blouse colorée portant le logo de l'hôpital.
Il vit la jeune femme acquiescer en silence, et cette façon de faire lui confirma que c'était Hana sans même à voir son visage.
« Le médecin vous a tout de même prescrit quelque chose pour la douleur à la nuque, en plus du traitement de fond pour ces prochains jours, » continua le jeune homme.
À ces mots, la jeune femme leva sa main pour la passer entre ses cheveux et sur sa nuque, et Shinsuke se demanda si la chute qu'elle avait fait suite à sa crise était aussi grave que ça. De son point de vue, ça n'avait pas été si violent que ça, et même plutôt lent, comme si la scène s'était produite au ralenti.
Retirant sa main de l'arrière de son cou, les cheveux de la jeune femme reprirent leur position initiale, comme un rideau sombre empêchant de discerner quoi que ce soit.
« Il a aussi ajouté un nouveau stylo injecteur, pour être sûr que vous en ayiez un dès maintenant si vous n'avez pas le temps d'aller en acheter un, » ajouta le jeune homme.
« Merci... » Dit simplement Hana.
L'infirmier leva alors les yeux, et regardant derrière la jeune femme, ses yeux croisèrent ceux de Shinsuke.
« Ah, votre gardien est là, » dit-il avec un léger sourire. « Vous n'avez plus qu'à passer par l'administration et vous pourrez sortir. »
Hana tourna un regard confus derrière elle, et voyant le chef Kobayashi s'approcher, eut un hoquet nerveux.
Elle devait être plus que surprise de le voir là, étant donné qu'il l'avait encore réprimandée juste avant qu'elle ne perde connaissance, et qu'elle ne l'imaginait probablement pas en train de l'accompagner aux urgences.
« C-Chef…. » Balbutia-t-elle.
Shinsuke se contenta de faire la moue, avant de s'approcher du lit où elle était assise.
Il regarda un instant la jeune femme, inspectant son apparence : elle avait un pansement sur le dos de la main - signe qu'on lui avait probablement administré un produit par voie veineuse – avec les cheveux légèrement décoiffés, et on lui avait retiré ses chaussures pour qu'elle puisse être allongée sur le lit des urgences ; laissant apparents ses pieds habillés de ses collants noirs.
Gêné de constater que son regard suivait les jambes de la jeune femme jusqu'aux bords de sa jupe, Shinsuke toussa un peu et détourna le regard pour se forcer à regarder à nouveau le visage de la jeune femme.
'Qu'est-ce qui te prends, Kobayashi Shinsuke ? T'es dingue de te faire distraire par ça à un moment pareil…' Pensa-t-il en se giflant mentalement.
C'était le cadet de ses soucis, de savoir qu'elle avait des jambes fines, ou que ses longs cheveux d'habitude impeccablement coiffés étaient un peu emmêlés.
« S-Shinohara… » Prononça-t-il avec hésitation.
La jeune femme continuait de le regarder avec ses grands yeux dénués d'agressivité ou de reproches, ce qui le mit mal à l'aise.
Comme Hasami Mari l'avait dit, il n'aurait pas dû être aussi dur avec elle et en attendre autant de sa part alors qu'elle n'était interne que depuis à peine plus d'une semaine. Il ne pouvait pas non plus s'empêcher de penser que son attitude avait plus été dictée par son ressenti personnel – le fait qu'il ne l'appréciait pas du tout à cause de son comportement – que par un réel soucis de performance professionnelle.
Vu l'ai interrogatif de la jeune femme, elle devait sûrement se demander pourquoi il était là, et ce qui l'avait poussé à l'accompagner aux urgences.
Il semblait mal venu de répondre qu'il avait été forcé contre son gré à entrer dans l'ambulance, même s'il était initialement inquiet pour elle.
Cependant, il ne pouvait pas non plus manquer cette opportunité de reconnaître ses torts, et se gratta la tête avec gêne.
« Shinohara. » Dit-il cette fois avec fermeté.
La jeune femme semblait craindre ses prochaines paroles, et il ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Il ne pouvait pas non plus faire marche arrière, et baissant la tête, il dit :
« Excuse-moi d'avoir été si dur avec toi, » dit-il un peu trop rapidement.
« Hein ? » S'étonna la jeune femme.
« Je sais que j'ai eu un mauvais comportement envers toi, à cause de raisons purement personnelles, » continua Shinsuke. « Et je tiens à m'excuser pour ça... »
Encore plus gêné avec chaque mot qu'il prononçait, Shinsuke n'osait même pas regarder la jeune femme ou lui laisser l'occasion de parler.
« Je n'aurais pas dû laisser ma colère et mon ressenti envers vous empiéter sur mon rôle de superviseur, » ajouta-t-il rapidement. « Ce n'était pas du tout professionnel de ma part. »
« Chef, je- »
« C'était puéril de ma part, et je m'excuse encore pour ça, » continua-t-il.
« Chef- »
« Si j'avais été plus professionnel, j'aurais pu remarquer plus tôt que quelque chose n'allait pas- »
« KOBAYASHI-SAN ! » Parvint enfin à l'interrompre la jeune femme.
Son soudain haussement de voix fit se retourner quelques personnes dans le service des urgences, et fit taire juste assez de temps son supérieur hiérarchique pour qu'elle puisse prendre elle-même la parole. Il leva un regard surpris vers elle, ne s'attendant pas à ce qu'elle se manifeste avec autant de fermeté.
« Je vais bien, Kobayashi-san. » Dit-elle calmement. « Ce n'était aucunement votre faute, mais l'œuvre de ma propre négligence. »
Shinsuke cligna lentement des yeux. La jeune femme ne souriait pas, et avait à la place une expression résolue qui détonnait avec son attitude d'habitude joyeuse et positive.
« Je n'ai jamais pensé que vous étiez puéril, et chacun sa sa propre vision de l'autre, » ajouta-t-elle. « Je ne peux pas vous en vouloir simplement parce que vous ne m'appréciez pas. »
Il s'apprêtait à reprendre la parole, mais cette fois, ce fut la jeune femme qui l'empêcha de parler ; en s'adressant à lui avec conviction.
« Mais je sais aussi que même si vous me détestez, vous n'êtes pas quelqu'un qui ferait volontairement du mal aux autres. »
Perplexe, Shinsuke ne sut quoi dire en retour de ces paroles surprenantes. La jeune femme semblait si sûre d'elle qu'il ne comprenait pas d'où pouvait lui venir cette confiance. Elle ne le connaissait pas assez pour avancer ce genre de chose à son sujet, alors pourquoi faisait-elle ça ?
Pour le rassurer ou être poli envers lui ?
Comment pouvait-elle être convaincue que l'homme qui se tenait en face d'elle était quelqu'un de bien, alors même que Shinsuke savait pertinemment qu'il avait été mesquin et colérique avec elle ?
C'était à n'y plus rien comprendre, et le temps qu'il revienne à ses esprits, la jeune femme avait remis ses chaussures et récupéré ses affaires ; et l'attendait patiemment en faisant un petit sourire.
Ce sourire inoffensif l'énervait toujours, mais sur le moment, c'était plus l'incompréhension qui frappait Shinsuke.
Il avait beau y penser et y repenser, il ne comprenait pas le comportement de la jeune femme à son encontre.