Peu après que Hosoda Chiho soit arrivée, elle avait rapidement donné à Hana sa boisson, puis était allée s'asseoir à son bureau pour aller y ranger ses affaires.
La jeune interne, quant à elle, avait à peine eu le temps de la remercier, et s'était remise à travailler sur son ordinateur.
« Tu pourrais rentrer chez toi maintenant, Hana-chan, » dit Mari. « Comme tu étais sur le terrain, tu peux tout à fait prendre ta soirée... »
« C'est vrai… Mais j'aimerais au moins terminer ça, » répondit la jeune femme en montrant du doigt son écran.
Enfin, du moins, c'est ce que Shinsuke s'imaginait qu'elle faisait, vu comment elle avait regardé devant elle en soulevant légèrement les sourcils.
Il n'avait pas abandonné l'idée d'observer plus en détail la jeune femme dont il trouvait le comportement suspect.
Par moments, elle pouvait se montrer violente et imprévisible, comme quand elle l'avait poussé devant l'ascenseur. Puis, à d'autres moments, elle se montrait timide, cordiale et souriante, comme c'était le cas actuellement.
Devait-il comprendre par là que la jeune femme était bien plus différente sur son temps libre, que durant les heures de travail ? Et qu'elle avait éventuellement fait déborder ce comportement inapproprié envers lui ?
Si c'était le cas, pourquoi juste avec lui ?
Fronçant les sourcils – sa marque de fabrique, et très certainement son expression par défaut à présent – il continua d'observer la discussion qui prenait place à quelques rangées de bureaux de là, et dont il ne pouvait pas entendre tout le contenu à cause du bruit ambiant dans l'étage.
« Quoi ? Chiho t'as donné tout ça à faire ?! » S'étonna rapidement Yuuto avant de regarder avec un air craintif tout autour de lui.
Il n'avait probablement pas cherché à être entendu de tous, et s'était donc assuré de chuchoter pour la suite, ce qui avait privé Shinsuke de toute nouvelle information sur ce sujet.
Quelques minutes passèrent, où Shinsuke vit les têtes de Yuuto, Mari et Hana bouger – signe qu'ils avaient toujours une discussion à voix basses – et pendant lesquelles il ne put rien entendre de particulier.
Il pensait même éventuellement se lever pour se rapprocher d'eux et aller les écouter discrètement, quand Saizo lui tapota l'épaule.
Surpris, Shinsuke se tourna vers lui, et l'homme aux lunettes rectangulaires s'adressa à lui :
« La RH se plaint encore que tu ne leur as pas envoyé la fiche d'employé de Shinohara, » dit-il.
« La fiche d'employé ? » Répéta Shinsuke, ayant du mal à se souvenir de quel type de document il s'agissait.
« Le document récapitulatif avec les choix de mutuelle, de plan d'épargne, et de mode de paiement, » lui rappela Saizo.
« Ah, ça... » Maugréa Shinsuke.
« Ils en ont besoin avant la fin du mois, sans quoi son dossier ne sera pas à jour... » Continua Saizo. « Tu… Lui as bien donné la fiche, au moins ? »
« Euh... » Hésita Shinsuke.
Saizo lui renvoya un regard sévère avant de soupirer avec exaspération.
« Je sais que tu as sûrement autre chose en tête en ce moment, mais évite de me refiler du travail en plus... » Dit-il.
L'homme aux côtés de Shinsuke prit alors un document dans un de ses tiroirs et commença à se lever ; pour être interrompu par la main de Shinsuke tirant sur son bras.
« Non, attends, je vais y aller moi-même. » Dit-il avec précipitation.
Lentement, Saizo se rassit sur son siège, et tandis que Shinsuke se levait à son tour, il tendit à son ami le document. L'autre homme le prit en main d'un geste brusque, ce qui amusa Saizo encore plus que sa réaction précédente.
Est-ce qu'il devait en déduire que quelque chose avait fait changer Shinsuke ?
Avec un petit sourire, Saizo regarda Shinsuke faire le tour par le côté des rangées de bureaux, avant de s'avancer à l'intérieur de la rangée de sièges où la jeune femme se trouvait.
« Shinohara, » l'interpella Shinsuke.
Surprise, la jeune femme leva vers lui de grands yeux. Elle ne l'avait probablement pas vu arriver, et se sentait prise de court par cette soudaine proximité. Avec nervosité, elle prit une gorgée de son thé latte pour reprendre ses esprits.
« Remplis ça avant ce weekend, ok ? » Lui dit-il en lui tendant le document.
« Qu'est-ce que c'est, » Demanda avec curiosité Hana.
« De la paperasse pour la RH, donc rends-le le plus vite possible. » Répondit-il avec un air agacé.
Hana reprit une gorgée de thé, sûrement pour se calmer et masquer sa gêne ; avant de parler à nouveau.
« Je dois leur envoyer moi-même, directement ? » Demanda-t-elle avec un léger sourire.
« Je suis pas là pour faire les choses à ta place, donc oui. » Répondit-il encore plus agacé.
Elle sentait une étrange sensation de démangeaison s'emparer de ses lèvres, mais aussi une vague de chaleur s'emparer de sa gorge.
Le thé devait être un peu trop chaud pour être déjà bu, et avec précautions, abaissa son bras tenant le gobelet pour continuer sa conversation avec le chef Kobayashi.
« Euh… D'accord… Mais je dois quand même vous en faire parvenir une copie ? » Demanda-t-elle avec crainte.
Elle ne voulait pas trop l'énerver, même si elle avait du mal à savoir ce qui l'énervait exactement ; et prit donc dans sa main libre les deux feuilles de papier.
« Pourquoi ? Tu peux pas savoir toi-même si tu fais une erreur ? » S'impatienta Shinsuke.
Il n'aimait pas trop qu'elle pose autant de questions, ni qu'elle continue d'avoir cette expression gênée en sa présence. Cela l'énervait, même s'il ne savait pas exactement pourquoi.
« Si… Je voulais juste savoir si je devais aussi vous tenir au courant... » S'excusa d'une voix étranglée Hana.
Sa gorge s'était resserrée ces dernières secondes, bien qu'elle ne se sente pas triste au point d'en pleurer, et avec nervosité, posa les documents sur son bureau avant de passer sa main gauche sur sa gorge.
« Non, t'as pas à me tenir au courant pour ça, » répondit Shinsuke. « En revanche, j'attends toujours le fichier comptable de l'année dernière. »
Hana sentit qu'elle avait du mal à respirer, et se demanda si l'anxiété causée par l'attitude du Chef Kobayashi pouvait en être la cause.
Cependant, plus les secondes passaient, et plus Hana sentait que ce qui lui arrivait n'était pas normal.
« Shinohara ? » Dit Shinsuke. « Tu m'écoutes, au moins ? »
Hein ?
Relevant les yeux vers lui, Hana se rendit compte qu'il lui avait probablement encore parlé mais qu'elle n'avait rien entendu.
« Quoi ? » Parvint-elle à dire entre deux respirations lentes et saccadées.
« Tu trouves ça drôle de m'ignorer alors que je me trouve juste devant toi ? » Dit Shinsuke avec agressivité.
Un peu affolée par la tournure que prenait la situation, Mari lui tapota l'épaule en chuchotant son nom pour la faire revenir à elle, sans succès.
« N-Non... »
Hana sentit sa tête tourner à cause du manque d'air, et soudainement, lâcha de sa main droite le gobelet de thé dont le contenu éclaboussa le sol et projeta des gouttelettes de liquide à peine tiède partout autour.
Ce qui lui arrivait… C'était…
Avec un regard paniqué, elle ignora le Chef Kobayashi qui la fusillait du regard et criait à présent qu'elle n'avait pas à se venger de la sorte sur lui, et se mit à frénétiquement fouiller dans son sac.
« Hana-chan, ça va pas ? » Entendit-elle Mari lui demander, cette fois à voix haute.
Vite… Il lui fallait…
Elle entendit des gens se disputer juste à côté d'elle, mais ne comprit pas ce qu'ils disaient. Son état de détresse respiratoire lui avait fait oublier tout ce qui se passait autour d'elle.
C'est donc avec surprise qu'elle sentit sa chaise soudainement être tournée dans l'autre sens par Mari, et le regard inquiet de la femme plus âgée se poser sur elle.
« Hana, qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui t'arrive ?! » S'exclama avec inquiétude Mari.
Fouillant toujours dans son sac, Hana trouva enfin entre ses doigts l'objet long et fin qu'elle cherchait, et le sortant avec précipitation de son sac, se le planta dans la cuisse droite sous les regards surpris de ses collègues.
« Hana ! » S'écria Mari.
Il semblait que tous les employés à proximité s'étaient depuis attroupés autour d'eux, ce qui fit encore plus tourner la tête d'Hana. Mari, elle, était si paniquée de voir que la jeune femme s'était poignardée la jambe qu'elle fondit en larmes et ne comprit pas tout de suite ce qui venait de se passer, jusqu'à ce que quelqu'un fasse enfin la remarque nécessaire.
« Hé, c'est pas un stylo pour les réactions allergiques ça ? » Dit Yuuto. « Je crois en avoir vu un à la télé dans une série. »
« Un… Stylo… Pour les allergies ? » Balbutia Mari entre deux sanglots.
Hana fronça les sourcils et sentit sa conscience commencer à partir, avant que son regard ne change soudainement pour passer de la panique à un air résolu. Elle se redressa sur sa chaise, avant de glisser et de tomber au sol.
Immédiatement, Yuuto et Mari s'avancèrent pour chacun lui prendre un bras et lui éviter une chute plus sérieuse, écartant de ce fait Shinsuke qui ne comprenait toujours pas ce qui était en train de se passer.
« Hô… Hôpital... » Dit Hana dans un dernier effort avant de fermer les yeux.
Elle entendit encore pendant quelques secondes des gens s'agiter tout autour d'elle, puis plus rien. Son corps se détendit, signe qu'elle était inconsciente, et ses deux collègues s'assurèrent alors de l'allonger sur le sol avec une veste roulée en boule sous sa tête.
« Ambulance ! Il faut appeler une ambulance ! » S'écria Mari.
« Déjà fait, » dit avec calme Ren. « Je me doutais que quelque chose n'allait pas quand elle a commencé à avoir du mal à respirer. »
Rassurée, Mari s'accroupit auprès de la jeune femme allongée au sol, jetant des regards inquiets au stylo jaune vif toujours planté dans sa jambe.
Shinsuke, lui, fut envahi d'une sensation d'inquiétude.
Est-ce que c'était à cause de lui que la jeune femme s'était retrouvée dans cet état ?
Les chuchotements et les regards en coin qui lui étaient lancés par tous les autres employés attroupés autour d'eux ne firent que renforcer son sentiment de culpabilité, et il serra les dents avec frustration.
« L'ambulance arrive dans 5 minutes, » ajouta d'une voix calme Ren.
« Cinq minutes ?! » Répéta Mari, inquiète.
C'était court comme délai, mais déjà un peu trop long aux yeux de Shinsuke.
S'il était fautif, autant prendre ses responsabilités.
« Ils ne seront pas là avant un petit moment, alors autant prendre de l'avance. » Dit-il en s'avançant à nouveau vers la jeune femme au sol.
Il s'accroupit alors dos face à elle, et tournant sa tête vers Yuuto et Mari, leur donna un ordre.
« Mettez-là sur mon dos, je vais l'amener dans le hall ! » Dit-il d'une voix claire et précise.
Les deux employés, surpris qu'il choisisse de proposer cela, restèrent un moment immobiles pour le regarder avec de grands yeux.
« Vite ! » Les pressa avec animosité Shinsuke.
Enfin sortis de leur état contemplatif, les deux employés s'affairèrent à relever la jeune femme inconsciente pour la placer sur le dos du Chef Kobayashi, et ce dernier, après avoir pris les jambes de la jeune femme sous ses bras, se releva pour se diriger avec hâte vers l'ascenseur.
Les autres employés s'assurèrent de lui dégager le passage en poussant les chaises et les sacs qui traînaient sur son chemin, tandis qu'un autre appelait déjà l'ascenseur.
Chiho, se tenant à l'autre bout de la pièce et bien loin de toute cette agitation, ne put s'empêcher de claquer sa langue avant de pouffer discrètement de rire.
Avec un air très satisfait, elle consulta à nouveau ses messages.
[Yuuka : Hum, c'est difficile de se souvenir de quoi que ce soit la concernant. C'était pas quelqu'un avec qui les gens voulaient traîner lol]
[Chiho : Ouais, m'en parle pas. Me la coltiner au travail ce serait vraiment pourri. T'es sûre que tu te souviens de rien sur elle?]
[Chiho : N'importe quoi qui pourrait m'aider à confirmer que c'est bien elle?]
[Yuuka : Comment tu veux que je me souvienne de quelqu'un comme elle… Je m'intéresse jamais à ce genre de personnes, à moins de trouver un truc marrant sur eux….]
[Yuuka : Mais si je me souviens bien, elle avait une sale allergie à la cannelle. Ça, c'était super amusant.]
Puis, avec un sourire mauvais, elle leva à nouveau la tête vers l'agitation qui prenait place à une dizaine de mètres de là, et se chuchota lentement à elle même.
« Bienvenue à Marline, Takeuchi Hana. »