"Désirs inavoués"
La rue commerçante était bondée. De jeunes garçons étaient devant le magasin de sport, attendant avec impatience la mise en place de la vitrine. C'était l'euphorie ! Et pour cause : les nouveaux maillots des équipes nationales venaient de sortir.
La jeune fille n'aimait pas particulièrement le football. Elle passa donc devant cette vitrine, se frayant un chemin dans la foule, sans même jeter un coup d'œil par curiosité.
Elle passa devant une boutique d'antiquité où un miroir ancien était exposé. Elle repensa au passé, avec une pointe de nostalgie et elle observa méticuleusement son reflet devant cette glace.
Elle était de taille moyenne. Les années lui avaient donné des formes qui ne la désavantageaient pas. Pourtant, on ne pouvait pas dire qu'elle se trouvait belle. Elle n'avait plus rien à voir avec la petite fille de 12 ans qui était arrivée au pensionnat.
Ses cheveux, autrefois courts, étaient maintenant très longs, tombant en cascade dans son dos. Elle n'avait plus ce visage de petite fille non plus. Les années et les épreuves traversées avaient laissées discrètement leurs traces. Mais il y avait certaines choses inchangées : ses yeux chocolat, ses cheveux aux reflets roux/ambrés, son sourire.
Oui, elle était toujours Hellen Blum ! Elle avait simplement évolué, mais le changement est de toute façon quelque chose d'inévitable.
Elle fut stoppée dans ses pensées, remarquant que quelqu'un au milieu de la rue l'observait également. Bien sûr, elle avait deviné de qui il s'agissait : ce visage pâle et ces yeux bleus presque transparent qui faisaient ses cheveux presque noir. Il ne pouvait s'agir que de son professeur de chimie. Même s'il avait laissé de côté son éternel costume pour un pantalon en jeans brut et une chemise blanche, elle l'avait reconnu. Elle l'aurait reconnu entre milles de toute façon.
Au moment où leurs regards se croisèrent, elle esquissa un sourire radieux tandis que lui en afficha un plus discret, mais tout autant ravageur.
La jeune fille se dépêcha de se rendre dans la librairie où elle avait ses habitudes depuis de nombreuses années maintenant. Contrairement à l'effervescence devant le magasin de sport, cette boutique était vide. Pas même un vendeur pour l'accueillir au comptoir.
Ce n'était pas vraiment important puisque ce qu'elle aimait surtout, c'était de se perdre le long de ces étagères remplies de contes, de manuels, et d'encyclopédies en tout genre.
Elle se dirigea vers le fond de ce sanctuaire du savoir. Là, contrairement à l'avant de la boutique, rares étaient les personnes qui s'y aventuraient. L'éclairage était moins assuré, les ampoules jaunies par le temps n'ayant pas été remplacées depuis longtemps. C'était l'ambiance parfaite pour se perdre au milieu de tous ces livres qui ne demandaient qu'à être ouverts. La poussière était aussi plus abondante dans cette partie de la boutique. C'était de cette poussière qui pouvait rendre un livre ordinaire soudainement mystérieux.
Elle s'enfonça de plus en plus dans les entrailles de la boutique, se laissant engloutir par celle-ci sans opposer la moindre résistance.
Un doux tintement vint troubler le silence des lieux et son cœur se mit à battre plus fort. Le silence qui s'en suivit la rendit perplexe. Était-ce un visiteur de passage qui, croyant la boutique vide, avait fait demi-tour ?
Le calme était revenu, comme si rien ne l'avait perturbé auparavant et elle s'apaisa progressivement.
Elle s'intéressa à un livre qui semblait ancien. La couverture était d'un noir profond, souligné par des bordures dorées. Il y avait comme des symboles hyliens sur cette couverture, lui donnant un aspect aux allures diaboliques. Elle avait à la fois une indescriptible attirance vers cet ouvrage, et pourtant elle ressentait un profond malaise.
« Tiens, tiens … N'êtes-vous donc pas trop jeune pour de si sombres lectures ? »
Elle fut surprise d'entendre cette voix, si surprise que son cœur sembla rater un battement. Elle se retourna et le vit, se tenant juste derrière elle, dans cette demi-pénombre qui lui donnait un air encore plus mystérieux.
Elle rougit et il ne put s'empêcher de sourire.
« Qui te dit que c'est si sombre pour moi ?
-Auriez-vous été emportée par ces croyances obscures ?
-Pourquoi pas ? »
Elle affichait maintenant un sourire malicieux.
« Une jeune femme si belle ne peut pas être attirée par de choses si sombres.
-Oh, les apparences sont souvent trompeuses.
-Ah bon ?
-Parfois, ce qui peut paraître sombre, dangereux et austère renferme les plus beaux trésors. »
Elle ne le laissa rien ajouter, l'embrassant à pleine bouche. Il resserra ses bras autour d'elle, l'attirant un peu plus contre lui.
Elle releva les yeux vers lui. Son regard était si tendre et si doux qu'elle eut l'impression de fondre de l'intérieur. Il passa une main délicatement dans ses cheveux, ses doigts s'emmêlant dans ses longs cheveux.
C'était comme si le temps s'était arrêté. Ils n'étaient plus dans libraire, ils n'étaient même plus sur Terre. Ils étaient dans leur propre monde : un monde où seul l'autre existe.
Elle avait sa tête posée sur la poitrine de cet homme qui la tenait toujours dans ses bras. A travers ses vêtements, elle pouvait entendre son cœur battre et elle trouvait ce son plus qu'apaisant.
Elle releva doucement la tête, posant ses lèvres dans le cou de l'homme. Elle l'embrassa lentement, remontant vers ses lèvres. Il ressentait comme des décharges électriques à chaque fois qu'elle déposait ses douces lèvres sur sa peau. Elle entoura de ses bras son cou, approfondissant le baiser langoureux qu'elle avait commencé.
Il fit glisser doucement ses mains le long de son dos, les passant ensuite sous son chemisier pour la chatouiller et elle ne put s'empêcher de rire. Elle avait les joues rougies par cet éclat de rire et certainement également par ces baisers.
« Tu es si belle quand tu rougis.
-Seulement quand je rougis ?
-Mais non voyons ! Tu sais très bien que tu es toujours belle. Pour moi, tu es la plus belle et je ne vois que toi.
-Je préfère ça. Je ne veux te partager avec personne ! »
Il sourit. Elle était si fraîche, si naturelle et spontanée. Elle avait un effet indescriptible sur lui et c'était une sensation unique pour lui.
Elle voulut lui parler, mais elle se sentait comme bâillonnée. Soudainement, tout sembla se désintégrer autour d'elle. Tour à tour, les étagères tombèrent en poussières et les livres avec elles. Le sol se déroba sous ses pieds et elle se sentit tomber comme si elle s'engouffrait dans un puit sans fond.
Elle s'époumonait de peur en voyant son petit monde au-dessus d'elle s'éloigner progressivement sans qu'elle ne puisse rien y faire.