"Tournant décisif"
Elle était allée rejoindre ses amis près du terrain de football. Ils terminaient un entrainement qui semblait bien se passer.
Emily était une grande sportive, ayant toujours beaucoup d'énergie, le sport coulait dans ses veines en bien plus grande quantité que le sang. Terence, lui, était d'ordinaire un garçon assez discret et calme. Mais une fois sur le terrain, c'était une toute autre personne. Il menait l'équipe avec une habilité déconcertante, performant et n'hésitant pas à crier quand c'était nécessaire. Mais la transformation la plus impressionnante une fois sur le terrain était celle d'Erin et Alvin. La sœur et le frère se chamaillent quotidiennement, n'étant jamais d'accord. Mais sur le terrain, ils sont une seule et unique personne presque. Ils sont l'une des armes secrètes de l'équipe. Malgré les 2 années qui les séparent, sur le terrain, ils communiquent sans même se parler, anticipant chacun les gestes de l'autre. Ils sont un véritable binôme, inarrêtables, complices, unis et littéralement invincibles.
Hellen aimait venir voir ses amis. Non pas par passion de ce sport, mais elle aimait voir à quel point ils pouvaient changer, se transcender une fois sur le terrain. Elle aimait le sport, mais son élément fétiche était l'eau.
L'heure du repas rappela tout le monde dans la grande salle à manger. Les cinq amis prirent placent à une table où d'autres élèves étaient déjà installé. Autour de la table, les conversations allaient bon train. Tout le monde discutait de son horaire, chacun essayant de savoir qui avait le meilleur.
« C'est vrai que je n'ai même pas regardé l'horaire qu'on aurait cette année.
-Lundi et mardi, on finit à 18h, mercredi, on finit à midi sauf si tu as une option dans ce cas, c'est 18h et enfin, jeudi et vendredi, on termine à 15h30, sauf si tu as pris l'option « Langue 2 » en plus, dans ce cas, c'est 18h aussi.
-J'ai pris option psychologie cette année, mais j'ai laissé tomber la 2e langue.
-Oh moi non plus je n'ai pas pris de 2e langue. On a déjà de sacré horaire comme ça.
-Terence, tu as oublié le plus important !
-C'est-à-dire ?
-Les cours d'astronomie de minuit à 4h du matin.
-Ah oui … Comment les oublier ceux-là …
-Au fond, le cours est chouette, mais c'est clair que pour les heures, c'est une horreur.
-On sait ce qu'il nous reste à faire : ne pas nous taper de rattrapages, sinon, on est bon pour se lever tôt samedi ! »
Le reste du repas se passa assez joyeusement. Cette après-midi, ils avaient cours de géographie, puis philosophie avec une pause de 30 minutes entre les cours. Ensuite, après avoir mangé, ils auraient étude de 19h à 21h pour pouvoir travailler.
« Alors les gars, vous en pensez quoi de l'horaire ?
-Y'a pire donc ça va.
-Finir tous les jours à 18h sauf le vendredi, ça va être terrible.
-Arthur, qu'est-ce que tu avais à choisir une 2e langue.
-Quand mes parents ont vu ça, ils ont dit qu'il était primordial que je maîtrise le plus de langues possibles. Donc voilà … Je n'ai pas vraiment eu trop le choix. »
Erin et Hellen échangèrent un regard complice. Toutes deux eurent la même pensée : comment des parents peuvent être si exigeant quand on voit comment est leur fils ? Arthur n'était pas idiot, loin de là, puisqu'il avait intégré l'école. Mais il était moyen et disons-le : plutôt assez naïf.
Le reste de la journée se passa sans encombre. Les cours étaient assez légers et les professeurs étaient compréhensifs. Etant donné que c'était la première semaine, ils avaient décidé de ne pas pousser la matière trop loin pour le premier cours, si bien que les devoirs furent rapidement expédiés.
« Enfin en paix ! », dit Emily en se laissant retomber sur son lit, lâchant son sac par la même occasion.
Hellen ne put s'empêcher de rire en voyant son amie simuler l'épuisement.
« Tu dis ça alors qu'on a à peine eu une demi-journée de cours.
-Une demi-journée ? Je suis levée depuis 6h30 ce matin, il est 20h15 donc je considère que j'ai fait une journée bien complète.
-Tu oublies qu'il n'y a pas eu cours de 8h à 12h30.
-Mais je me suis entraînée, donc ça compte.
-Allez, je te l'accorde.
-Tu te souviens si Arthur était toujours en salle d'étude quand nous sommes parties ?
-Non, je ne fais pas vraiment attention à lui. Pourquoi ?
-Je voulais aller le voir.
-Tiens, tiens … Mademoiselle Emily avec Monsieur Arthur…
-Attention Mademoiselle Hellen ou je vais commencer à parler de toi et d'un certain professeur.
-C'est bon, je n'ai rien dit !
-Il me semblait bien. Allez, je te laisse, à tout à l'heure. »
Allongée sur son lit, elle se remémora les évènements de la journée, réalisant petit à petit ce qu'il s'était passé. L'image de son professeur en sang, presque sans vie, allongé dans ce divan, lui revint en tête. Elle avait sincèrement eu peur pour lui, peur qu'il ne meurt. C'était irrationnel, incompréhensible pour elle. Pourquoi fallait-il qu'elle pense à lui comme ça ? Ne pouvait-elle pas le voir simplement comme un professeur ?
Elle resta allongée un long moment sans bouger, les yeux fermés. C'est vrai que cette journée avait été fatigante, même si elle n'avait pas été si remplie que ça.
Subitement, elle se souvint que ce matin, elle avait au départ eu envie d'aller à la bibliothèque. Elle regarda l'heure et heureusement, il n'était pas encore trop tard. Elle se changea rapidement, enfilant une tenue un peu plus confortable et décida de redescendre vers la bibliothèque.
A peine entrée, elle fut arrêtée par la responsable.
« Mademoiselle Blum, je crois que la directrice vous cherche.
-La directrice ?
-Oui, un appel a été passé en salle d'étude et ici-même. Elle vous attend dans son bureau. »
Un peu anxieuse, Hellen rebroussa chemin, remontant jusqu'au bureau. Arrivée devant la porte, elle avait les mains moites. Elle frappa à la porte, attendant pour rentrer une réponse qui ne se fit pas attendre.
« Vous avez demandé à me voir Madame ?
-Oui, mademoiselle. Je voulais vous parler des évènements de ce matin.
-Je vois. Je sais que nous ne sommes pas autorisés à nous rendre dans ce bâtiment, mais …
-Ne vous inquiétez pas. Il n'est pas question de ça. Je voulais vous féliciter pour le sang-froid dont vous avez fait preuve.
-Merci Madame, mais c'est normal. Est-ce que le professeur Fleming va bien ?
-Oui, il se repose dans ses appartements. Les soins que vous avez prodigués ont été approfondis et complétés par ceux de Madame Williams, l'infirmière. Votre professeur devrait être très rapidement sur pied.
-Tant mieux alors. Vous vouliez me dire autre chose ?
-Effectivement. Il est évident que ce que fait votre professeur de son temps libre ne regarde que lui. Il est donc important de ne pas ébruiter l'incident auprès de vos camarades. N'y voyez pas un secret d'état, mais juste la protection de la vie privée de votre professeur.
-Evidemment, je n'en ai parlé à personne.
-Parfait dans ce cas. Vous pouvez disposer du reste de votre temps libre comme bon vous semble. Mais il me semble que Madame Williams aimerait vous dire quelques mots également
-Merci Madame, bonsoir.
-Bonsoir Mademoiselle. »
Elle soupira en sortant de la pièce. Elle n'avait pas l'habitude d'être appelée par la directrice. Dans tous les cas, cette entrevue c'était bien passée. La directrice semblait surtout vouloir la complimenter … Et lui signifier de ne pas parler de ce qu'il s'était passé aux autres élèves, mais elle n'en avait de toute façon pas l'intention.
Elle voulut retourner à la bibliothèque mais se souvint que l'infirmière la cherchait également. De toute façon, les deux locaux n'étaient pas loin de l'autre.
« Ah ! Mademoiselle Blum, vous voilà !
-Oui, la directrice m'a dit que vous vouliez me voir.
-Effectivement. Je voulais vous féliciter pour les soins que vous avez prodigués.
-Merci Madame, mais c'était normal.
-Peut-être, mais ils ont été très bien exécutés. Vous vous intéressez à cette branche ?
-Pas exactement, mais il est vrai que je ne la trouve pas sans intérêt.
-Ecoutez, j'ai une proposition à vous faire, si vous êtes d'accord, et si le professeur est d'accord.
-Et bien, expliquez-moi.
-C'est le professeur Fleming qui se charge de réaliser certains remèdes. Etant chimiste et ayant de nombreuses compétences, nous profitons de certaines plantes médicinales pour préparer certains baumes et onguents par exemple. Il se trouve que je vais devoir m'absenter pour retourner à mon séminaire. Le professeur Fleming devant encore se reposer, vous pourriez l'assister pour la préparation. De cette manière, il aura de l'aide et vous, l'équivalent de cours particuliers en potions.
-Et bien …
-Il va de soi que cette mention sera ajoutée à votre parcours. De tels talents doivent être mis en avant.
-Quand auraient lieu les cours ? Parce que je vous avoue que mon horaire est assez chargé.
-Les samedis.
-Et bien, je suis d'accord. Si le professeur l'est aussi évidemment.
-Non pas que cette idée m'enchante, mais j'accepte. »
Cette voix qui les avait interrompus était froide et sans émotion apparente. Elle venait de derrière un rideau qui s'ouvrit juste après.
« Professeur Fleming, vous devez vous reposer.
-Je peux très bien me reposer dans mes appartements.
-Pour ce qui est des cours, j'irai en parler à la directrice. Et vous, professeur, vous devez rester en observation. »
L'homme ignora les dires de sa collègue, quittant la pièce sans plus de cérémonie, ni un regard en arrière.
Hellen prit congé poliment de l'infirmière, abandonnant l'idée d'aller à la bibliothèque pour retourner dans sa chambre. En chemin, elle prit conscience progressivement des dernières informations qu'elle avait reçues. Elle allait avoir des cours particuliers, avec le professeur Fleming, qui la détestait très certainement, et qui ne la laissait pas véritablement indifférente. Elle ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose.
Arrivée devant sa chambre, elle en était venue à la conclusion que dans le meilleur des cas, ces cours se passeraient bien et elle allait pouvoir clarifier ces sentiments pour son professeur et dans le pire des cas, il serait exécrable et elle en serait dégoutté. Finalement, les choses ne se présentaient pas si mal que ça.
Emily, qui était déjà revenue dans la chambre et qui s'était installée dans son lit, l'interpella lorsqu'elle passa la porte.
« Tiens, tu es revenue ?
-Oui, j'étais à la bibliothèque.
-Tu es allée à la bibliothèque et tu ne reviens pas avec une montagne de bouquins pour te divertir ? Hell, mais qu'est-ce qu'il t'arrive ?
-Je suis fatiguée.
-Regardez-moi ça ! Mais je pensais que nous n'avions eu qu'une demi-journée de cours.
-Oui et bien tu avais raison : c'était épuisant quand même ! ».
Les deux amies discutèrent encore plusieurs minutes avant de se décider à dormir. L'avantage de partager une chambre à deux était qu'elles pouvaient choisir l'heure à laquelle elles dormaient, ce qui n'est pas le cas lorsque l'on est en dortoirs collectifs. Même une fois le couvre-feu passé, personne ne vient regarder dans les chambres individuelles si les élèves dorment bien. Mais malgré cette liberté, peu d'élèves se risquent à faire une nuit blanche. Et pour cause : le petit déjeuner est servi de 7h à 8h et ensuite la journée de cours commence. Il est impensable de rater les premières heures de cours qui sont les plus longues et les plus importantes de la journée.
Hellen s'endormit donc paisiblement, mais dans ses rêves, l'idée qu'elle allait passer ses samedis seule avec son professeur, s'insinua bien vite…