"Apnée"
Le lendemain, Hellen se leva assez tôt, comme à son habitude. Elle profita qu'Emily soit toujours endormie pour prendre une bonne douche et prendre son temps pour se préparer.
Dans la salle de bain, elle réalisa que ce matin, leurs horaires allaient leur être distribués. A quelle sauce seraient-ils mangés cette année ?
Généralement, les cours les plus longs sont donnés avant midi, sous la forme de 2 blocs de 2h chacun. Ensuite, l'après-midi, les cours sont généralement plus légers, ou se sont les cours pour les élèves qui ont choisis une option.
Quatre options sont disponibles pour leur année : sport, art, psychologie ou langue ancienne. Hellen avait choisi psychologie et elle savait qu'Emily avait préféré choisir sport. Ces options ne sont pas obligatoires, mais il est toujours bien vu d'en choisir une tout de même.
Généralement, les cours de chimie se donnent au matin, pour le plus grand malheur des élèves. Commencer la journée avec le professeur Fleming n'est pas de tout repos !
Il y avait toujours beaucoup de garçon à ces cours : les élèves préférés du professeur. Il se plaisait à rappeler que les filles sont trop superficielles et précieuse que pour avoir un niveau suffisant dans l'art qu'était la chimie. Hellen avait beau avoir un faible pour lui, ce genre de paroles lui faisait se hérisser les poils. Pour ça, ce qu'elle pouvait le détester.
Subitement, elle se rappela qu'Arthur était chaque année avec elle en cours. Elle soupira sous la douche, exaspérée d'avance. Arthur Jake Bradford était loin d'être un élève particulièrement intelligent. C'était un garçon de bonne famille qui, au niveau de l'école, se situait dans la moyenne. Généralement, il ne se faisait pas vraiment remarquer. Pas particulièrement beau, au look très BCBG, il n'était pas spécialement apprécié mais personne ne s'attaquait à lui pour autant.
Il aurait pu passer complètement inaperçu. Mais chaque année, en cours de chimie, il fallait qu'il se fasse remarquer. Même sans être particulièrement doué, le professeur Fleming trouvait toujours un moyen de le mettre en avant, chantant presque ses louanges.
« Oh, monsieur Arthur, en voilà enfin un qui n'est pas complètement demeuré. »
« Monsieur Arthur, pourriez-vous servir d'exemple à la classe étant donné que vous êtes le seul qui semble avoir compris les consignes ».
Sous la douche, elle repensait à ces phrases que son professeur avait lancées si injustement. Surtout que ses expériences à elle étaient bien mieux réussies que celles d'Arthur !
Elle était en train d'imiter son professeur sous la douche en faisant des grimaces lorsqu'elle fut interrompue par Emily.
« HEEEEELL ! Sors de là, dépêche !
-Oui, deux minutes, je sors de la douche.
-T'en as mis du temps. J'aurai plus d'eau chaude moi. Depuis quand tu prends autant de temps pour te préparer ?
-Tu exagères toujours !
-Regarde l��heure qu'il est. »
Tournant le regard vers le réveil, elle réalisa qu'il était déjà 7h00. Elle était restée une heure dans la salle de bain, sans pour autant avoir fait grand-chose. Il était vraiment temps qu'elle se reprenne et qu'elle se concentre sur les cours et uniquement sur ça !
Elle enfila son uniforme rapidement : une paire de bas, une jupe bleu marine et une chemise blanche avec le blason de l'école. Elle enfila une paire de derbies bleu marine avant de s'attaquer à ses cheveux.
Ils avaient bien poussé durant les vacances, lui arrivant maintenant presque à la moitié du dos. Elle voulut les discipliner pour faire une demi-queue mais visiblement, ils ne voulaient rien entendre. C'était l'un de ces jours sans où, pour aucune raison particulière, ses cheveux étaient impossibles à coiffer. Elle renonça, choisissant de les rassembler en une queue de cheval.
Emily fut prête assez rapidement pour une fois, alors les deux jeunes filles se rendirent ensemble dans la grande salle où les repas sont servis quotidiennement. Elles arrivèrent vers 7h30. Le petit déjeuner étant servis jusqu'à 8h, elles n'étaient pas les premières, mais elles n'étaient pas non plus les dernières.
Certains amis étaient déjà installés à une table, notamment Alvin, Terence et Erin
« Eh bien ! Emily, on a l'habitude de la voir à cette heure-ci, mais toi Hellen, je crois que c'est une première.
-Pourquoi vous faites une fixette sur ça ?
-Parce que tu es toujours la première arrivée d'habitude. Un souci ?
-Non, aucun. J'ai juste rêvassé un peu ce matin, j'étais certainement encore à moitié endormie. Quoi de neuf ?
-Rien de spécial. Alvin mange, comme d'habitude, Terence est plongé dans les pages foot, rien d'original … Ah si ! L'infirmerie est fermée pendant quelque jours parce que l'infirmière est à un séminaire pour je ne sais pas quoi et Fleming n'est pas là.
-Fleming est absent ? »
Hellen sentit une pointe de déception mais la dissimula bien rapidement. Erin ne sembla pas la remarquer et prit une voix solennelle.
« Malheureusement, le professeur Fleming n'est pas en état d'assurer ses cours aujourd'hui. Les élèves ayant dans leur horaire des heures avec le professeur sont priés d'aller en salle d'étude ou de se rendre utile dans d'autres cours ou au sein de l'établissement. Voilà ce que la directrice a dit exactement ce matin.
-On ne va quand même pas pleurer pour le bâtard. Surtout qu'on était censé avoir cours de 8h à 12h avec lui aujourd'hui.
-Terence ! Et s'il lui était arrivé quelque chose ?
-Hell, depuis quand on en a quelque chose à faire de lui ? Moi je dis, tant mieux ! J'ai beau être un mec, je ne peux pas le voir ce prof. La roue tourne et je ne vais pas m'en plaindre.
-Je ne me préoccupe pas de lui, mais bon … »
Alvin l'interrompit, la bouche encore pleine de bacon et d'œufs brouillés.
« Mais quoi ? Lui ne se pose pas autant de question avant de te rabaisser pour rien alors que tes travaux sont parfaits. Du coup, on fait quoi ?
-Je comptais m'entraîner ! La saison va commencer et il est hors de question Aingeal se fasse ridiculiser par les équipes d'autres écoles.
-C'est vrai que quelques heures d'entraînement en plus ne font pas de mal.
-Je vous suis !
-Je vous rejoindrai ! Et toi, Hellen, tu viens avec nous ?
-Vous savez bien que je n'aime pas le foot.
-Non, mais tu peux venir nous encourager. Je passerai tout à l'heure, d'abord j'aimerais aller à la bibliothèque ».
Alvin, Terence et Erin quittèrent la salle pour se diriger vers le terrain de football où se trouvaient les vestiaires. Hellen et Emily restèrent donc à deux à table.
« Depuis quand ?
-Depuis quand quoi ?
-Depuis quand tu craques pour Fleming ?
-N'importe quoi, je ne craque pas pour Fleming !
-Hell, tu me prends vraiment pour une débile ?
-Mais non. Pourquoi tu dis ça ?
-Déjà hier, tu n'arrêtais pas de le regarder. A ce moment-là, je me disais que je me faisais des idées. Mais après avoir vu ta tête quand Erin a annoncé qu'il n'était pas là, j'en suis certaine. Tu peux peut-être cacher ton jeu avec eux, mais pas avoir moi, je suis ta meilleure amie.
-Tu racontes n'importe quoi. Je ne craque pas pour Fleming.
-Alors, pourquoi tu rougis ?
-Je ne rougis pas.
-Oh si ! Tu es écarlate même. Sérieux, tu peux me le dire, je m'en fou. Je ne dirai rien à personne.
-Ecoute, je n'en sais rien. C'est vrai que je le trouve pas mal, mais de là à dire que je craque pour lui, tu exagères. C'est un truc d'ado, ce n'est pas comme si j'étais la seule fille qui a déjà trouvé un prof beau.
-Depuis quand ça dure ?
-Oh … Je crois que ça doit faire à peu près 2 ans.
-Attend ! 2 ans ? Et tu ne m'as pas encore raconté ça ?
-C'était après le bal, j'étais énervée et triste alors j'étais partie en trombe. Je me suis endormie et quand je me suis réveillée, je me suis rendue compte qu'on me portait et c'était lui. Il était, comment dire, différent ce soir-là. Depuis, j'essaye de ne plus y penser parce que c'est ridicule et ça ne se fait pas.
-Ça ne se fait pas ? Tu ne peux pas contrôler tes pensées comme ça et en plus, ça ne fait de mal à personne que tu y penses.
-C'est un professeur.
-Mais l'amour, ça ne se contrôle pas.
-Tout de suite les grands mots !
-Ecoute, tu es une fille magnifique, intelligente, courageuse, sensible … Il n'y a même pas assez de mots pour te décrire. Qui sait, peut-être que lui aussi pourrait tomber sous ton charme.
-N'importe quoi, tu sais quel âge il a ?
-Non … Je sais juste qu'à la fin de cette année, tu auras 18 ans … »
Emily sortit de table, un sourire malicieux et rieur aux lèvres. Elle laissa son amie pour aller rejoindre les autres près du terrain de foot. Hellen pourrait réfléchir à ce qu'elles venaient de se dire et elles en reparleraient peut-être après.
Encore perplexe, Hellen se releva également, se dirigeant vers la bibliothèque comme elle l'avait dit plus tôt. Elle avait fait, pendant les vacances, une liste de livres qu'elle aimerait lire et elle avait prévu de s'atteler le plus vite possible à ces lectures.
L'école étaient découpés en plusieurs niveaux et en plusieurs bâtiments : tout d'abord dans le bâtiment principal, au rez-de-chaussée, il y avait le hall d'entrée, la salle des repas, les cuisines et les salles d'étude. Le niveau inférieur était consacré pour la bibliothèque, les ateliers d'art et l'infirmerie. Ce niveau avait un accès au parc, permettant d'être assez lumineux tout de même. Il y avait enfin un dernier niveau encore plus bas consacré au rangement si bien qu'aucun élève n'y allait. Dans les niveaux supérieurs, il avait un premier niveau qui accueillait les bureaux administratifs d'un côté et les salles de travail individuelles (pour les retenues par exemple.) Le niveau au-dessus était consacré pour les élèves. Il y avait ensuite un autre bâtiment qui regroupait les salles de classe. Ce bâtiment était sur 4 étages avec en son sommet, la classe d'astronomie qui avait un accès à la plateforme sur le toit. Enfin, le dernier bâtiment était destiné aux professeurs qui logeaient sur place. Les bâtiments étaient reliés entre eux par des passerelles, même si les élèves n'étaient pas autorisés à se rendre où ils voulaient.
Elle était donc descendue, passant devant l'infirmerie et les classes d'art. Elle allait rentrer lorsqu'un rayon de soleil venu de l'extérieur l'éblouit. Elle s'approcha de la porte, savourant le souffle encore chaud de ce début de septembre qui fit voleter les quelques mèches qui s'étaient échappées de sa queue de cheval.
Il lui sembla entendre un bruit et elle eut une sorte de pressentiment. Déposant son sac de cours contre le mur près de la porte, elle s'avança. Plus loin, elle vit une silhouette semblant accroupie contre le mur. Elle se dirigea vers elle, pensant d'abord qu'il s'agissait d'un élève de première année certainement intimidé par ses premiers jours de cours.
Mais plus elle se rapprochait, plus elle comprenait qu'il ne pouvait pas s'agir d'un élève. Elle vit des traces rouges sur le mur à proximité de l'homme. Son sang ne fit qu'un tour et elle se précipita vers son professeur. Il semblait vouloir se diriger vers le bâtiment des professeurs. Il parvint à se relever, et entra dans le bâtiment qui n'était qu'à quelques mètres. Ce bâtiment étant justement l'un de ceux interdit aux élèves, elle hésita à entrer. Après tout, son professeur avait réussi à se relever et i était entré.
Par acquis de conscience, elle avança et le découvrit, écroulé sur le sol, la porte de l'un des appartements, ouverte. Elle devina qu'il s'agissant de l'endroit où il logeait. Elle tenta tant bien que mal de le relever, entrant dans le couloir qui se trouvait devant elle. Les lumières semblaient s'être allumée automatiquement à l'ouverture de la porte. Elle emmena l'homme à l'intérieur, le couloir débouchant sur un salon de petite taille.
Elle repéra rapidement le canapé, installant l'homme du mieux qu'elle le pouvait. Elle n'avait pas osé retirer le moindre vêtement, le porté ayant déjà été assez difficile et visiblement douloureux pour lui.
Elle écarte les pans de son manteau et de sa veste de costume dévoilant son gilet visiblement tâché. Elle déboutonna doucement son gilet et la chemise blanche, découvrant un torse très pâle. Ses muscles étaient légèrement développés, mais pas à outrance. Sa peau était marquée de zébrures, certaines marques étant cicatrisée, d'autres étant ouvertes, saignant assez abondamment. Visiblement, des agrafes avaient été posées, mais elles n'avaient pas tenu, laissant des blessures ouvertes à vif.
Elle voulut le soigner, mais elle sentait qu'elle n'était pas à la hauteur. Elle retourne dans le couloir principal du bâtiment, déclenchant l'alarme d'urgence qui, elle le savait, retentirait dans le bureau de la directrice.
Elle retourna dans les appartements de l'homme, tentant de faire de son mieux pour apaiser ses douleurs. En réalité, les appartements des professeurs sont plus spacieux que ceux des élèves, mais pour certaines choses, ils sont très semblables. Hellen chercha une trousse de secours dans le couloir, chose qui était présente dans le couloir de sa propre chambre.
Elle trouva effectivement ce qu'elle cherchait et s'employa à utiliser tout ce qu'elle pouvait pour soigner son professeur.
Il y avait de nombreuses crèmes, baumes et désinfectants dans cette trousse. Elle trouva également des compresses, des bandages, et des strips adhésifs. Elle rassembla ses esprits, essayant de raisonner le plus logiquement possible et essayant de réfléchir à ce qu'elle avait appris lors de ses cours et dans ses lectures.
Au fur et à mesure de ses manœuvres, l'homme semblait avoir moins mal, son visage se détendant progressivement. Elle avait réussi à stopper les saignements. Elle faisait du mieux qu'elle le pouvait jusqu'à ce que subitement, son regard croisa celui de l'homme.
Elle s'immobilisa, se laissant scruter par ce regard sans savoir que faire. Tant qu'il était inconscient, elle arrivait à se concentrer, mais maintenant qu'il la regardait, elle ne savait plus bouger.
Elle se mit soudainement à pleurer, ses émotions reprenant le dessus. Depuis le début, elle était comme un robot, laissant ce qu'elle pouvait ressentir de côté, mais croiser son regard l'avait ramenée à la réalité. Elle ne comprenait pas vraiment sa propre réaction, mais pour le moment, c'était loin d'être sa préoccupation.
« Miss Blum ?
-Oui ?
-Pourquoi pleurez-vous ?
-Je n'en sais rien … Vous étiez blessé, et il y avait tellement de sang, et vous étiez inconscient … Et j'ai eu peur je crois. »
Il essaya de se relever, mais elle l'en empêcha.
« J'ai prévenu la directrice, elle devrait arriver. Mais vous devriez rester allongé. Les bandages ne sont pas très robustes. »
Le silence se fit autour d'eux, ils se regardaient sans rien dire. Le temps semblait se ralentir, jusqu'à se figer.
Au moment où il voulut parler, la directrice arriva, suivie de l'infirmière qui semblait être arrivée en catastrophe.
Hellen sentit qu'elle devait quitter le bâtiment, laissant les deux femmes fraîchement arrivées prendre le relais.
Comme dans un état second, elle retourna vers son sac qu'elle avait abandonné plus tôt à quelques mètres de là. Sentant qu'elle ne pourrait pas entamer une lecture maintenant, elle prit la direction du terrain de football, résolue à retrouver ses amis pour les encourager et mettre un maximum de distance avec ces évènements.