"Tu ne sais jamais à quel point tu es fort jusqu'au jour où être fort reste la seule option."
Bob Marley
Point de vue de Tamara (17 ans)
- Tae Il, est-ce que tu saurais où est Léo ? Je n'arrive pas à le joindre, nous avions rendez-vous il y a deux heures.
- Non, nous nous sommes vus ce matin mais il est rentré tôt pour se préparer pour votre rendez-vous...
- Mais il n'est pas là et tu sais qu'il n'est jamais en retard...
- Ne t'inquiète pas, je vais appeler sa mère je suis sûr que tout va bien.
- J'espère que tu as raison, mais j'ai un très mauvais pressentiment...
- Je te rappelle quand j'ai des nouvelles.
Je tourne en rond pendant environ quinze minutes avant que Tae Il ne me rappelle.
- Allô ?
- Tam, il faut que tu restes calme...
Dès qu'il prononce cette phrase, mon cœur se met à battre à toute allure. Tae Il ne m'appelle jamais Tam, d'ailleurs, il n'appelle jamais personne par autre chose que son prénom. Alors, s'il emploie ce surnom, je sais que j'ai de quoi m'inquiéter...
- S'il te plaît, ne tourne pas autour du pot, dis-moi ce qui se passe.
- Léo a eu un accident, il est mort.
En entendant ces mots, mon cœur s'arrête de battre. C'est impossible, Léo ne peut pas être mort, nous nous sommes vus hier soir et nous devions nous voir aujourd'hui, je suis sûre qu'il va arriver, il finit toujours par arriver...
- Allo ? Tamara, tu es toujours là ?
Je n'arrive plus à respirer, mon regard devient trouble et puis, plus rien.
Lorsque j'ouvre les yeux, une lumière aveuglante me force à les refermer. Je prends quelques secondes pour reposer mes yeux puis je fais une nouvelle tentative en ouvrant mes yeux plus lentement cette fois-ci. En observant mon environnement, je me rends compte que je suis dans une chambre d'hôpital. Mamie Lola est assise sur une chaise à coté de mon lit et semble endormie mais je décide quand même de la réveiller.
- Mamie ? Qu'est ce qui s'est passé ?
Ma grand-mère se réveille lentement avant de me prendre dans ses bras et de me murmurer.
Oh mon chaton ! Tu m'as fait tellement peur ! Que s'est-il passé ?
Le souvenir des mots de Tae Il me revient en mémoire et j'éclate en sanglot dans les bras de ma grand-mère.
- Il est mort mamie ! Léo est mort…
Mamie Lola ne prononce pas un mot mais resserre son étreinte et me caresse les cheveux comme pour me dire qu'elle est et sera toujours là pour moi.
Nous restons dans cette position jusqu'à l'arrivée du docteur qui demande à me parler seule. Mamie sort de la pièce en me disant qu'elle va revenir avec de quoi manger.
- Comment vous sentez-vous mademoiselle Charlier ?
- Juste un peu désorientée mais sinon ça va. Que m'est-il arrivé ?
- Rien de grave, un évanouissement sûrement dû à la fatigue.
- Ok. Que vouliez-vous me dire ?
- Nous avons pratiqué des tests sanguins pour nous assurer que vous alliez bien. Suite à ses tests nous avons découvert que vous êtes enceinte.
Il me faut quelques secondes pour percuter.
- Moi, enceinte ? Ce n'est pas possible, je prends la pilule et je ne l'ai jamais oubliée, jamais !
- La pilule a une efficacité de 99,7%. Alors les chances de tomber enceinte en la prenant sont infimes mais bien présentes.
Je secoue la tête comme pour montrer mon incompréhension, comment est-ce que ça a pu se produire ?
- Compte tenu de votre jeune âge, je me suis dit que vous préfèreriez peut-être discuter des différentes options qui s'offrent à vous sans la présence de votre grand mère.
- J'en suis à combien de semaines ?
- Vous êtes enceinte de neuf semaines. Vous avez encore la possibilité de demander une IVG .
En entendant ces derniers mots, je place mes mains sur mon ventre comme pour protéger ce bébé qui n'est encore qu'un embryon des mots du médecin... Mes pensées vont vers Léo et les larmes me montent aux yeux : Il m'a laissé une partie de lui avant de partir. Ma décision est prise :
- Je ne veux pas d'IVG, je vais le garder.
- Vous en êtes sûre ? Vous avez encore un peu de temps pour réfléchir calmement.
- Oui je suis sûre, aussi sûre que deux et deux font quatre.
Le médecin sort de la pièce me laissant pensive. Ai-je pris la bonne décision ? J'espère…
Mamie Lola et Tae Il sont les seules personnes qui sont restées à mes côtés durant ma grossesse. Mes parents m'ont déshéritée parce que je n'ai pas cédé à leur ultimatum qui m'imposait d'avorter. Au lycée, je suis devenue la risée de tout le monde et Tae Il étant en école d'ingénieur, j'ai passé l'année scolaire toute seule. Mon entraineur d'athlétisme a été extrêmement déçu lorsque je lui ai appris la nouvelle. Il m'a traitée d'irresponsable et m'a promis que je regretterais ma décision lorsque ça serait trop tard. Malgré tout cela, j'ai fait face et j'ai décroché mon bac avec mention.
Le quatorze Août, Ma petite Léa a vu le jour. Ça a été le plus beau jour de m vie. Malgré la douleur, j'étais heureuse. Une petite larme a glissé sur ma joue lorsque j'ai reconnu les yeux bleus de Léo dans le regard de notre fille mais la présence de Mamie Lola et Tae Il m'a redonné le sourire.
Malheureusement, quelques jours après la naissance de Léa, mamie Lola a fait une crise cardiaque et nous a quittée. Cette période a été très difficile pour moi. Je n'arrivais pas à me détacher de ma fille ; j'avais l'impression qu'on pouvait me l'enlever à n'importe quel moment, aussi facilement qu'on m'a enlevé Léo et aussi rapidement qu'on m'a pris ma grand-mère. Tae Il a dû sécher les cours trop de fois pour venir m'aider à m'en sortir. En parallèle, le regard des autres a commencé à m'affecter : les jugements, les insultes, les moqueries... Je ne sortais plus de l'appartement que ma grand-mère m'avait laissé. Grâce à l'héritage laissé par mamie Lola, j'ai pris deux années sabbatiques et pu survivre.
Si Tae Il n'avait pas été là, je ne pense pas que je m'en serais sortie. Il a été comme un frère pour moi et un oncle pour Léa. Il a su me faire prendre conscience de la chance que j'avais. Après tout, j'ai peut-être perdu deux êtres chères mais au moins je suis là pour m'occuper de ma fille. En plus, j'ai connu l'amour et tout le monde ne peut pas en dire autant.
"Il vaut mieux avoir aimé et perdu que de n'avoir jamais aimé du tout"
Augustin d'Hippone
Retour au présent : point de vue d'Ana
Nous sommes assises sur un banc lorsque Tamara termine son histoire :
- Lorsque j'ai appris à ne plus voir que le négatif, j'ai décidé de commencer la fac pour devenir la femme que mamie Lola aurait voulu que je sois et la mère que Léo aurait voulu pour sa fille. Mais même quand on essaie d'avancer, le passé n'est jamais très loin, c'est pourquoi ça reste difficile pour moi de laisser de nouvelles personnes rentrer dans notre vie, à Léa et à moi.
- Je comprends et je suis contente que tu m'ais raconté tout cela.
- Moi aussi : ça m'a fait du bien.