« Tu es de ma famille
De mon ordre et de mon rang
Celle que j'ai choisie, celle que je ressens
Dans cette armée de simple gens
Tu es de ma famille
Bien plus que celle du sang »
Jean Jacques Goldman, extrait de la chanson « Famille »
J'entends une voix enfantine « chuchoter » près de moi ; je mets des guillemets parce que, comme je vous l'ai déjà expliqué, les enfants ont du mal avec ce concept… Mais ce matin, les chuchotements de Léa ressemblent plus à des cris pour mon cerveau embrumé et même si elle n'a aucun contrôle sur le volume de ses chuchotements, je sais que ce n'est pas normal qu'ils me donnent mal à la tête.
- Tonton Tae, le père Noël est passé.
- Je sais ma puce.
- Viens, on va ouvrir les cadeaux.
- Je ne peux pas bouger sans réveiller tata Ana...
- Pourquoi elle dort sur toi ?
- Parce qu'elle était très fatiguée hier soir...
Mon cerveau a besoin de quelques secondes pour assimiler cette information : Moi, dormir, Tae Il ? J'ouvre brusquement les yeux et reconnais la chemise verte de Tae Il. Pourquoi ma tête est-elle posée sur le torse de Tae Il ? Je me lève brusquement, OH MON DIEU ! J'ai dormi avec /sur Tae Il ! Ma tête me rappelle à l'ordre lorsqu'elle se met à tourner… Quelques secondes plus tard ou bien quelques minutes ? Je ne saurais pas vous dire, lorsque j'arrive à me stabiliser, mon regard se pose sur les coupables de cette situation : les trois bouteilles d'alcool que nous avons eu la bonne idée de vider hier soir…
Quelques heures plus tôt :
Éric va dans la cuisine et revient en brandissant trois bouteilles d'alcool.
- Bon, maintenant que la tradition des cadeaux a été réalisée, nous pouvons passer à la VRAIE célébration de NOËL !
Il va chercher quatre coupes, ouvre une bouteille de champagne et remplit les verres qu'il tend à chacun d'entre nous. J'accepte avec réticence le verre rempli du liquide doré en me demandant si je veux le boire ou pas. Je ne bois pas d'alcool : rien ne m'empêche d'en boire, je ne suis pas très religieuse, je suis majeure et je ne conduis pas ce soir (Je n'ai pas de voiture de toutes façons). En fait, mon raisonnement est simple : j'ai gouté de la bière une fois, je n'ai pas aimé, j'ai décrété que je n'aimais pas l'alcool et donc je n'en ai plus bu. Ce qui veut dire que, techniquement, je n'ai jamais bu de champagne, ni de vin, ni de whisky, ni de rosé, ni de… Bon je pense que vous voyez où je veux en venir, je n'ai jamais gouté autre chose que de la bière mais je sais que je n'aime pas l'alcool, vous comprenez ? simple et logique ! Bon attendez, même à moi-même ça me parait bête donc je vais prendre un autre exemple. C'est un peu comme lorsque vous goutez un légume pour la première fois, vous n'aimez pas et donc vous décrétez que vous n'aimez pas les légumes ! Bon, je l'avoue : cette logique est extrêmement bancale, si tout le monde réfléchissait comme ça, personne n'aimerait rien… Donc, en réalité, rien ne m'empêche vraiment de boire ou en tout cas de gouter ce champagne…
Bref, Éric lève sa coupe pour porter un toast :
- Je suis hyper heureux d'être ici avec vous pour passer un noël avec ce qui se rapproche le plus d'une famille pour moi. Je vous aime tous les gars et j'espère que l'année prochaine, nous serons encore réunis pour passer les fêtes ensemble !
- « Moi aussi je suis hyper heureuse qu'on puisse célébrer Noël ensemble. Après la mort de mamie Lola, je ne pouvais compter que sur Tae Il, et je sais que ça ne te dérange pas hein » dit-Tamara à celui-ci avec un petit sourire affectueux avant de continuer « Mais je suis heureuse de voir notre famille s'agrandir et de savoir que Léa a des gens qui l'aiment et qui pourraient prendre soin d'elle si jamais… »
Elle n'a pas besoin de finir sa phrase ; nous comprenons tous ce qu'elle veut dire. Même si je ne souhaite pas qu'il lui arrive quelque chose, je sais à quel point la vie est cruelle et à quelle vitesse on peut tout perdre alors, je me rapproche de Tamara et passe un bras autour de sa taille ; j'aurais aimé les passer autour de ses épaules mais elle est trop grande, ou bien je suis trop petite… Peu importe, j'espère juste que ma présence saura la rassurer…
- « Je sais que je ne parle pas beaucoup et surtout que je n'exprime pas souvent mes sentiments, mais j'espère que vous savez tous à quel point vous comptez pour moi. Je suis heureux de pouvoir passer les fêtes avec des gens qui m'apprécient pour ce que je suis et ne passent pas tout leur temps à essayer de me changer. Merci de me supporter » termine Tae Il avec un petit sourire.
Je me rends compte lorsque j'entends les discours de mes amis, que nous avons tous besoin les uns des autres, nous avons chacun nos histoires, nous avons tous vécu des expériences différentes :
Tamara a dû élever sa fille seule : même si elle a pu compter sur l'aide de Tae Il, elle n'a pas pu compter sur celle de ses parents qui l'ont abandonnée et a dû faire le deuil de son premier amour et de sa grand-mère.
Même s'il essaie de nous faire croire que ça ne l'affecte pas, nous savons tous que les parents d'Éric lui manquent et qu'il voudrait qu'ils soient plus présents. Nous savons tous que lorsqu'il rentre chez lui, dans cet appartement vide, il se sent seul.
Tae Il ne parle pas beaucoup de sa famille mais Tamara m'a expliqué une fois que ses parents ne sont pas satisfaits de ses choix. Je n'en sais pas plus mais je pense que sa situation familiale lui pèse plus que ce qu'il voudrait nous faire croire.
Notre amitié nous aide tous à avancer et à surmonter nos problèmes. Je suis contente d'avoir pu rencontrer des personnes aussi géniales.
Je sors de mes pensées lorsque Tamara me chuchote que c'est à moi de parler, je croise les regards de mes amis avant de leur dire ce que j'ai sur le cœur :
- Merci de m'avoir invitée à passer Noël avec vous. Je serais surement en train de me morfondre chez moi si je n'étais pas ici avec vous. Avant d'arriver à Paris, ma vie venait d'être chamboulée : j'ai perdu ma famille et je me suis un peu perdue moi-même. Mais depuis que je vous ai rencontré, j'ai l'impression que je suis prête à recommencer à être heureuse. Alors merci.