La porte des appartements de la princesse se referma dans un bruit feutré, la coupant enfin du tumulte des festivités. Dès qu'elle se retrouva seule, à l'abri des regards scrutateurs de la noblesse, un souffle tremblant s'échappa de ses lèvres.
Elle était libre…pour quelques heures seulement. Loin de la salle du trône, loin des rires mondains et des coupes qui s'entrechoquaient en son honneur. Elle pouvait enfin relâcher l'illusion qu'elle avait soigneusement entretenue toute la soirée. Mais à présent que la tension quittait ses épaules, elle se sentait comme vidée, épuisée jusqu'au plus profond de son être.
Elle fit quelques pas dans la chambre, le bruissement de sa robe résonnant dans le silence pesant. La pièce, baignée par la lumière vacillante des chandeliers, lui sembla plus oppressante que d'habitude. Habituellement, cet espace lui offrait un semblant de refuge. Mais ce soir, tout ici lui rappelait la prison dorée dans laquelle elle était enfermée.
Une présence discrète attira son attention. Elle tourna légèrement la tête, son regard se posa alors sur Anna, sa servante, qui se tenait près du grand miroir. Ses mains étaient jointes devant elle, le visage fermé par une inquiétude qu'elle ne tentait même plus de dissimuler. Elle attendait le retour de la princesse, comme toujours, mais ce soir, son regard était plus insistant, plus inquiet.
La jeune femme blonde n'eut pas la force de lui offrir un sourire rassurant. Elle n'en avait plus la force.
— Anna: "Laissez-moi vous aider, Votre Altesse." murmura t-elle en s'approchant, sa voix douce.
La princesse à la chevelure blonde hocha la tête d'un geste lent, fatigué. Elle se laissa faire, comme une poupée inanimée, pendant que sa servante s'affairait à détacher les broches de sa robe. Le tissu glissa lentement de ses épaules, dévoilant sa peau marquée par les heures passées à être emprisonnée dans ce carcan de soie et de broderies.
Lorsque le corset fut enfin dénoué, un profond soupir s'échappa de ses lèvres. Elle respirait enfin. Mais ce soulagement fut de courte durée.
Alors qu'Anna s'agenouillait pour lui retirer ses souliers, ses doigts frôlèrent la peau nue de son poignet. Elle s'arrêta brusquement, le regard fixé sur une fine marque rougeâtre.
—Anna: "Votre Altesse! Qu'est-ce que…?"
Elena baissa les yeux et vit la trace. C'était une brûlure discrète, laissée par la pression insistante des doigts du prince Adrian lorsqu'il l'avait agrippée pendant la danse.
Son estomac se serra. Elle aurait voulu l'ignorer, faire comme si ce contact n'avait pas existé. Mais la marque était bien là, preuve silencieuse de ce qu'il s'était passé.*
Elle détourna rapidement le regard et attrapa la chemise de nuit en lin que lui tendait Anna. Ce vêtement simple et fluide était une délivrance après la contrainte de sa tenue d'apparat. Elle l'enfila en hâte, cherchant à recouvrir sa peau, comme si cela pouvait effacer le frisson de dégoût qui la traversait encore.
Un silence pesant s'installa dans la chambre. Anna se redressa lentement, mais ne bougea pas, se contentant d'observer la princesse avec une intensité douloureuse.
Puis, d'une voix basse, elle demanda :
—Anna: "Était-ce si terrible?"
Elena ferma les yeux un instant.
"Terrible" un mot bien faible face à ce qu'elle ressentait.
Elle s'assit sur le rebord du lit, passant une main nerveuse dans sa chevelure dénouée. Elle aurait voulu répondre immédiatement, exprimer tout ce qu'elle gardait enfoui en elle. Mais les mots restaient bloqués dans sa gorge, formant une boule douloureuse.
Finalement, d'une voix presque éteinte, elle murmura :
—Elena: "Il m'a touchée."
La servante se figea.
—Anna: "Quoi ?" souffla-t-elle, les yeux agrandis par l'effroi.
Elena serra les poings sur le tissu de sa robe de nuit, tentant de maîtriser les tremblements qui menaçaient de la submerger.
—Elena: "Pendant la danse… il ne s'est pas contenté de me guider. Il… il a laissé sa main traîner sur moi, comme si j'étais déjà à lui."
Elle inspira profondément, puis ajouta dans un souffle amer :
—Elena: "Et il a recommencé, à table. Il a frôlé mon poignet… doucement, comme si c'était un simple geste de courtoisie. Mais je l'ai senti."
Elle releva brusquement la tête, son regard bleu acier rencontrant celui d'Anna.
—Elena: "Il le sait, Anna. Il sait que je ne peux rien faire. Que je suis piégée."
La jeune servante eut un mouvement de recul, comme si ces paroles lui faisaient physiquement mal. Puis, dans un élan de rage, elle s'agenouilla face à Elena et prit ses mains entre les siennes.
—Anna: "Il n'a pas le droit ! Vous n'êtes pas encore mariée, il ne peut pas se comporter ainsi!" s'exclama-t-elle, la voix tremblante.
Elena eut un sourire triste avant de répondre:
—Elena: "Et qui l'en empêchera?" demanda-t-elle d'une voix douce, cruellement lucide.
Anna ouvrit la bouche, mais aucun mot n'en sortit. Parce qu'elles savaient toutes les deux que personne n'interviendrait.
Pas la cour, pas le roi, pas même la Reine Isabella.
Le silence retomba, lourd et oppressant. Anna, les yeux brillants de larmes serra un peu plus fort les mains de la princesse.
— Anna: "Vous devez trouver un moyen… Il doit y avoir une issue." murmura-t-elle.
La jeune femme fixa sa servante un long moment, lisant dans ses prunelles toute la détresse qu'elle-même n'osait pas exprimer.
Elle avait pensé à un moyen de s'échapper. Elle savait qu'elle ne pouvait pas fuir maintenant.
Mais elle devait préparer quelque chose.
Alors, avec une lenteur mesurée, elle retira ses mains de celles d'Anna et posa doucement une paume sur son épaule.
—Elena: "Ne t'inquiète pas pour moi."souffla-t-elle.
La servante hocha simplement la tête, puis se releva et s'éloigna pour souffler les bougies, plongeant lentement la chambre dans l'obscurité.
Allongée sur son lit, la jeune femme le plafond sans vraiment le voir, son esprit encore hanté par la voix du prince Adrian, par son toucher qu'elle ne pouvait oublier. Elle savait qu'elle ne dormirait pas cette nuit.
La nuit était bien avancée, enveloppant le palais dans un silence presque irréel.
Allongée sur son lit, Elena fixait le plafond sans trouver le sommeil. Le repos lui échappait, comme tout le reste. Son corps était immobile sous les draps de soie, mais son esprit, lui, ne cessait de tourner en boucle, cherchant une issue invisible à cette prison dorée.
Par-delà la fenêtre entrouverte, le ciel nocturne s'étendait à l'infini, profond et insondable, parsemé d'étoiles tremblotantes. Elles étaient là, figées au-dessus du monde, témoins impuissantes du destin des hommes. Une lune pâle veillait sur la ville endormie, projetant des ombres argentées sur les jardins du palais. Tout semblait paisible...Trop paisible.
Le vent nocturne soufflait doucement à travers les rideaux de soie, soulevant les voiles légers qui encadraient le lit de la princesse. Pourtant, malgré la fraîcheur agréable de la nuit, elle sentait une chaleur oppressante peser sur elle.
Alors qu'elle était allongé dans le lit, un son léger, presque imperceptible attira son attention. Trois coups, discrets mais insistants, résonnèrent contre la porte en bois massif.
Elle se redressa lentement, son cœur battant soudain plus fort. Qui viendrait la voir à cette heure ? Anna dormait sûrement depuis longtemps, et personne n'osait troubler le repos d'une princesse en pleine nuit.
Une étrange appréhension lui noua la gorge. Elle se leva avec précaution, ses pieds nus frôlant le tapis épais. La lueur vacillante d'une chandelle laissée allumée projetait sur les murs des ombres mouvantes, rendant la pièce plus menaçante qu'elle ne l'était réellement.
Elle hésita. Puis, du bout des doigts, elle déverrouilla le loquet et entrouvrit la porte, laissant juste assez d'espace pour voir l'intrus.
Son sang se figea instantanément.
Debout dans l'obscurité du couloir, se tenait face à elle le vieux homme qui allait hanter son existence jusqu'à ce qu'elle rende l'ame. Que pouvait-il bien lui vouloir à cette heure-ci? Elle regrettait ouvert cette porte. Elle aurait dû faire semblant de ne pas entendre.
Il avait une main appuyée contre l'encadrement de la porte, l'autre négligemment posée sur la ceinture de son pourpoint. La lumière des torches du couloir dessinait sur son visage des ombres dures, accentuant les traits épais de son visage marqué par l'âge et l'ivresse de la soirée.
Il souriait. Un sourire affable, presque bienveillant, mais quelque chose dans son regard mettait Elena profondément mal à l'aise.
—Prince Adrian: "Ma chère princesse, vous êtes éveillée. J'avais peur que vous soyez déjà dans le monde des songes et de perturber votre sommeil."
souffla-t-il d'une voix trop douce pour être sincère.
Elle serra discrètement la poignée de la porte, retenant l'envie instinctive de la refermer immédiatement.
—Elena: "Je… J'avais du mal à dormir." répondit-elle, mesurant chaque mot.
Le sourire du prince s'élargit légèrement.
—Prince Adrian: "Voilà qui est une heureuse coïncidence. Moi non plus."
Un silence gênant s'étira entre eux. Elle se sentait mal à l'aise.
—Prince Adrian: "Peut-être cela est-il dû à l'excitation de cette belle journée. Après tout, nous venons d'officialiser notre union…" continua-t-il d'un ton léger, comme si cela justifiait cette visite nocturne.
Elle força un sourire poli, priant pour que la conversation prenne fin rapidement.
—Elena: "Il se fait tard, Votre Altesse. Je devrais essayer de me reposer."
Elle voulut refermer la porte, mais avant qu'elle ne puisse faire un geste, la main du prince s'interposa brusquement. Un frisson de panique parcourut son échine.
—Prince Adrian: "Allons, allons…" dit-il en pressant légèrement contre le bois pour empêcher la porte de se refermer. "Nous devrions apprendre à nous connaître, n'est-ce pas ? Après tout, nous serons bientôt mari et femme."
Le ton était toujours courtois, mais dans son regard, une insistance dérangeante s'intensifiait.
Elena raffermit sa prise sur la poignée mais il était plus fort qu'elle.
— Elena: Demain sera un jour propice à cela. répondit-elle avec une froideur maîtrisée, tentant de garder son calme.
Mais le vieil homme ne recula pas. Au contraire, il fit un pas en avant. Et avant qu'elle ne puisse l'arrêter, il poussa la porte et entra dans la chambre. Il pénétra dans son intimité sans invitation, sans permission. Comme si ce lieu, comme si elle, lui appartenait déjà.
Elle fit instinctivement un pas en arrière, son cœur tambourinant contre sa poitrine.
Il referma la porte derrière lui d'un geste tranquille, puis balaya la chambre du regard, comme s'il évaluait l'endroit, comme s'il s'installait dans un espace qui lui revenait de droit.
Puis, il posa son regard sur elle. Un regard qui la glaça jusqu'aux os.
—Prince Adrian: "Vous n'avez aucune raison d'avoir peur, ma chère." dit-il en s'approchant légèrement. "Je veux simplement parler avec vous. Apprendre à vous connaître. Nous avons une longue vie à partager, après tout…"
"Une longue vie." Le poids de ces mots la frappa de plein fouet. Une vie à côté de cet homme à supporter sa présence. A endurer ses regards, ses sourires, ses mains qui se poseraient sur elle avec cette même insistance.
Elle ravala sa peur, redressant légèrement le menton pour masquer le tremblement de ses lèvres.
—Elena: "Il est tard, Votre Altesse. Ce n'est ni le moment ni le lieu." déclara-t-elle avec fermeté.
Adrian haussa un sourcil, comme s'il était surpris qu'elle ose encore lui résister. Puis, lentement, il avança.
Elena ne bougea pas, mais son souffle se coupa lorsqu'il se posta à seulement quelques centimètres d'elle. Elle pouvait sentir l'odeur du vin qu'il avait consommé en abondance au banquet.
Elle pouvait entendre la respiration posée d'un homme sûr de lui, sûr de son pouvoir, sûr du fait que rien ni personne ne pouvait s'opposer à lui. Il effleura doucement l'un des rubans de sa chemise de nuit du bout des doigts. Un geste calculé.
— Prince Adrian: "Vous êtes ravissante dans cette tenue." murmura-t-il.
Elle sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine. Mais elle ne recula pas. Elle soutint son regard, ses yeux bleus brisant le contact insistant du prince. Et d'une voix plus dure qu'elle ne l'aurait cru possible, elle déclara :
— Elena: "Quittez ma chambre, maintenant. Vous n'avez aucun droit d'être dans mes appartements et encore moins sans ma permission."
Un silence s'abattit sur la pièce. Les deux se regardaient, anticipant chacun le prochain geste ou la prochaine parole de l'autre.