Chapitre 2 : La déesse-ogresse
- La terre des ogres sera bientôt en vue, Votre Altesse ! dit le capitaine.
- Très bien !
- La terre des ogres ? répéta Elisabeth, incrédule.
- Mais le double nous a dit de nous rendre dans les Devil areas ? s'inquiéta Martin.
Les ruines avaient été laissées loin derrière, le navire du souverain hégémonian avait repris son périple depuis une heure maintenant et se dirigeait vers le pic du continent nommé Soul.
- Je sais mais s'il y a quelqu'un qui puisse nous renseigner sur les intentions d'Inou, c'est bien elle, répondit Calvin V.
- Vous croyez qu'elle pourra nous aider ? demanda Svetlana.
- Hum ! Espérons déjà qu'elle soit chez elle.
Le Yoma land ou pays des ogres était une terre hostile située à quelques kilomètres à l'Ouest des ruines des îles Hakata. Le Yoma land était divisé en deux pays distincts, le Yoma land du Nord, plus civilisé, était le territoire de la reine Élise alors que le Yoma land du Sud, plus barbare, appartenait à un ogre nommé Tigre. En effet, contrairement à son voisin du Sud qui vivait en autarcie depuis toujours, le Yoma Land du Nord s'était ouvert au commerce extérieur (avec Hégémonia entre autres). D'ailleurs, les ogres du Nord étaient non seulement moins repoussants que ceux du Sud mais aussi plus raffinés.
Après plusieurs minutes de navigation, le navire accosta bientôt sur une large côte qui encerclait elle-même une immense forêt.
- Serez-vous des nôtres, général ? demanda Calvin V à la femme forte du pays d'Atlus qui se tenait à quelques mètres de lui.
Iktus n'avait pas l'air de bonne humeur. En effet, la femme générale n'avait plus ouvert la bouche depuis l'épreuve de Kanto.
- Non ! je me suis engagée à rencontrer le maître du monde d'en bas, pas à vous suivre dans vos déambulations
- Très bien.
À peine débarqué, Calvin V bondit hors du navire, se précipita à toute vitesse vers la forêt et s'y engouffra. Nos amis suivirent l'Empereur au pas de course à l'exception du général Iktus qui resta sur le navire. En effet, le souverain s'avéra être aussi rapide sur terre que le bambin ailé dans les airs.
Nos amis s'enfoncèrent donc durant près d'une heure dans une forêt sombre jusqu'à arriver devant un grand palais en bois massif.
- Qui va là ? dirent des voix rauques.
Nos amis furent immédiatement encerclés par des ombres massives.
- Calvin V, Empereur d'Hégémonia, dit le souverain des terres glacées du grand Nord.
À l'annonce du nom de l'empereur, les ogres, car il s'agissait bien de quatre ogres armés de gourdins, s'empressèrent d'accueillir le souverain des terres glaciales du grand Nord, ainsi que ses amis, avec les égards qui leurs étaient dus.
Les ogres étaient des créatures humanoïdes très laides, ils avaient la dentition de travers, les yeux exorbités, un nez épaté et une peau grisâtre, jaunâtre ou verdâtre. Néanmoins, il était clair que même si on les disait descendre du dieu Saturne qu'ils dérivaient plutôt d'humains de la seconde souche.
Les ogres qui montaient la garde étaient des soldats voilà pourquoi ils portaient une armure comme les membres de la garde rapprochée de l'Empereur hégémonian.
- Que faisons-nous au pays des ogres ? demanda timidement la dénommée Maeva à Martin.
- La reine des ogres est une très vieille amie de Son Altesse.
- La reine des ogres ?
- Oui ! Elle est dotée de certains pouvoirs divinatoires.
- Espérons qu'elle soit présente, dit Svetlana.
Maeva ne comprit pas la réflexion de la rousse, mais ne posa plus de questions.
Les membres de l'expédition furent donc escortés par deux ogres qui les conduisirent dans la salle du trône qui était décorée avec un luxe impérial et une orgie de pierres précieuses comme si la propriétaire voulut créer une ambiance stellaire.
Quel ne fut pas le choc de Maeva lorsqu'elle constata que la reine des ogres était en fait une ravissante jeune femme de taille moyenne qui n'avait absolument rien en commun avec ses sujets.
En effet, contrairement aux ogres, Élise était gracieuse et délicate en plus d'être chaudement vêtue. Ce qui distinguait encore plus la souveraine du Yoma Land du Nord, c'était le fait qu'Élise avait de longs cheveux d'un noir de jais qui recouvrait sa tête, alors que le crâne de la plupart des ogres était soit chauve soit partiellement garni.
- C'est elle, la reine des ogres ? chuchota Maeva.
- C'est surprenant, n'est-ce pas ? demanda Martin. On l'appelle la déesse-ogresse.
- Oui, mais le plus surprenant c'est que je la connais.
- Ah bon !
- Je l'ai vue un jour avec mon maître.
- Ton maître ?
- Je suis l'élève du maître du monde d'en bas.
- Wow ! fit Svetlana.
- Je comprends mieux pourquoi tu fais partie de l'expédition.
Lorsque Calvin vit Élise, il se pressa de lui baiser la main et Martin l'imita alors que les trois femmes firent la révérence.
La reine des ogres était une déesse-ogresse qui jadis avait fait la conquête de la partie nord du Yoma Land. Calvin V ne manqua pas de préciser que le nord du Yoma Land avait des relations privilégiées avec l'Empire hégémonian.
La déesse-ogresse regarda un à un ces visiteurs, mais lorsqu'elle posa ses yeux bleus sur Maeva, elle fixa intensément celle-ci comme si elle essayait de se rappeler où elle l'avait déjà vue.
Calvin V se pressa alors de présenter ses compagnons.
- Je vous présente quelques membres de ma garde personnelle ainsi que Maeva, un ancien membre du clan Hakata.
Martin, Maeva, Svetlana et Elisabeth s'inclinèrent de nouveau. Un éclair traversa alors le regard d'Élise.
- Je me disais bien que j'avais déjà vu ce visage, dit la reine du Yoma land du Nord.
- Chère Madame ! j'ai été déçu par votre absence lors de notre réunion.
- Excusez-moi, cher ami, mais j'avais mieux à faire. D'ailleurs, je ne porte aucun intérêt au maître du monde d'en bas.
- Je vois.
La déesse-ogresse ordonna à des ogres d'apporter des sièges à ses invités. Les ogres déboulèrent donc avec un nombre suffisant de siège pour nos amis qui s'assirent en face de la beauté du Yoma Land du Nord.
- Que me vaut votre visite ?
- Je suis venu vous demander si vous aviez des nouvelles de votre époux, demanda le monarque hégémonian.
- Veuillez m'excuser, Votre Altesse, mais je n'ai plus aucun rapport avec « cette personne », ricana la beauté du Yoma Land du Nord.
- Ah ! vous n'avez donc rien à nous apprendre sur les intentions d'Inou.
- Non ! je n'ai pas pour habitude de garder le contact avec les hommes qui ont rompu avec moi.
- Euh ! Bien entendu.
Le souverain hégémonian se tut un moment. Qui d'autre pourrait bien le renseigner sur Inou ?
- Tout ce que je sais, poursuivit la déesse-ogresse, c'est qu'il serait de retour par je ne sais quel miracle.
- Ah !
Calvin V était perdu dans ses pensées. Élise le remarqua et se décida de lui fournir toute l'aide dans elle était capable.
- Je pense que vous devriez poser vos questions à cet excentrique qui voit en cette personne une sorte de messie.
- Voulez-vous parler de Gonzo, cet ancien général du Shomijo du Sud ?
- Lui-même, confirma Élise. Cet énergumène est venu chez moi il y a deux semaines alors que je rentrais de voyage et il a commencé à me casser les oreilles à propos de son maître auquel il fallait apporter un soutien militaire.
- Un soutien militaire ? répéta Calvin, intrigué.
- Affirmatif !
- Il ne vous a pas donné les raisons pour lesquelles Inou aurait besoin d'un tel soutien ?
- Il m'a parlé de démons qui tenteraient de se révolter, etc.
- Je vois ! Et que lui aviez-vous répondu ?
- Bah ! Comme je vous l'ai déjà dit, cette « personne » et moi n'avions pas eu le moindre contact depuis plus de 10 ans et cet idiot de militaire m'a tellement énervée que je l'ai rapidement expulsé de mes terres.
- Ah ! je vois.
- Bref ! je ne pense pas que le « gamin » confierait d'importantes informations à un tel ahuri.
- Bien entendu, fit à nouveau le monarque hégémonian.
Toutefois, l'attitude d'Élise déplut fortement à Maeva qui s'emporta contre la reine des ogres.
- COMMENT POUVEZ-VOUS PARLER DE MAÎTRE INOU AVEC AUTANT DE LÉGÈRETÉ ? dit l'élève d'Inou en bondissant de son siège.
Les membres de la garde rapprochée de Calvin V sursautèrent, mais la reine des ogres loin d'être vexée, contempla Maeva toujours avec le même air amusé et lui répondit :
- Je me rappelle de toi, tu es la fille qu'Inou avait prise sous son aile.
- Exactement ! dit fièrement la quadragénaire.
- Je pensais qu'il n'existait plus de tueurs à gages, ironisa la déesse-ogresse.
- Inou n'a décimé que les plus dangereux, répliqua le disciple du maître du monde d'en bas.
- Apparemment, le gamin était clément.
- Hum !
- Chercherais-tu Inou pour venger les assassins qu'il a exécutés lors de son sacre ou est-ce pour laver l'honneur du légendaire clan Hakata? demanda Élise, d'un ton sarcastique.
- Ni l'un ni l'autre, objecta Maeva. Je veux juste retrouver mon maître.
- Quelle bonne fille !
Une veine palpita sur le front de la quadragénaire qui dévisageait la reine des ogres, toujours souriante. Élise semblait se délecter de la colère du disciple d'Inou.
- Je suis navrée, très chère, reprit Élise, mais je me dois de te dire que ton maître n'est qu'un gamin arrogant.
- Hein !
À ces mots, l'ancienne tueuse à gages quitta précipitamment la salle dans laquelle trônait la déesse-ogresse.
- J'avoue que je suis surpris de vous trouver ici, dit Calvin V pour changer de sujet.
- Disons que vous avez beaucoup de chance, ricana la déesse-ogre.
- Vous êtes le seul chef d'Etat que l'on ne trouve quasiment jamais dans son pays.
Élise se mit à rire.
- J'avoue que mes voyages me prennent tout mon temps.
- Hum ! vous n'avez pas peur que vos terres tombent dans les mains de vos ennemis durant votre absence.
Le chef du Yoma land du Nord ricana de nouveau.
- Les ogres du Yoma Land du Nord sont très bien entraînés et mon pays est très fortifié, donc je ne crains pas qu'il soit conquis.
- Hum ! votre assurance force l'admiration, chère amie.
Élise ricana de plus belle.
- Ne vous inquiétez pas le pays des ogres n'est pas sans protection en mon absence.
- Hum.
- HORTENSE !
Une ogresse à l'allure de vieille femme obèse apparut.
- Oui, Votre Altesse.
- Je vous présente Hortense, dit fièrement Élise. Je l'ai choisie pour diriger le pays à ma place lors de mes voyages - je l'ai formée moi-même.
- Hortense ?
- C'est la sœur de Glenda.
- Votre seconde ?
- Elle est décédée il y a deux jours, dit Hortense.
- Mes condoléances les plus sincères, dit l'empereur hégémoniane. C'était une grande guerrière.
- Merci, Votre Altesse, dit Hortense.
- C'est pour elle que vous êtes revenue, devina Calvin V.
- Exact ! fit Élise. Glenda a été une fidèle servante, elle a dirigé ce pays mieux que j'aurais pu le faire et ce depuis sa fondation.
- Et vous êtes ici pour combien de temps ?
- Je ne sais pas encore.
- Je vois.
La déesse-ogresse réfléchit un moment.
- Je vous conseillerais de vous rendre dans les Devil areas si vous espérez avoir des réponses à vos questions, dit-elle enfin.
- Encore les Devil areas ?
- Oui ! le général Gonzo m'a parlé de ces îles perdues avant que je ne l'expulse.
- Je vois.
- La légende dit que les Devil areas se trouve à l'Est de Jeda, ajouta la reine des ogres.
- Très bien.
***
Quelques heures plus tard, Calvin et les autres protagonistes revinrent sur le bateau et relatèrent à Maeva et Iktus ce qu'elles avaient raté.
Calvin raconta à l'ancien disciple d'Inou qu'Élise et Inou avaient divorcé quelque temps avant que le maître du monde d'en bas ne disparût dans l'explosion qui détruisit les îles Hakata.
Puis, nos amis, Iktus y compris, regagnèrent leurs cabines à l'exception de Maeva qui demeura seule sur le pont.
La jeune femme se rappela alors les conditions dans lesquelles elle fit la connaissance de celui qui fut son précepteur durant près de 5ans.
Il y a près de trois décennies, Maeva vit débarquer Inou dans la faction télékinétique du clan Hakata, il était âgé de neuf ans et Maeva avait deux ans de plus. Les dirigeants du clan se résolurent à l'envoyer au sein de cette faction exclusivement féminine parce qu'il était frappé d'un sceau qui l'empêchait d'invoquer les démons. Le petit Inou ne pouvait donc pas intégrer la faction principale du clan Hakata à laquelle appartenait son père avant sa désertion.
Puis, Maeva devint l'élève d'Inou lorsque celui-ci était âgé de 10 ans. À l'époque, Inou se livrait à des entraînements nocturnes, entraînements au cours desquels il pouvait laisser libre cours à sa maîtrise hors-norme de l'art de la télékinésie alors qu'en matinée il évitait d'attirer l'attention.
Maeva se rappela également que la dernière fois qu'elle vit son jeune maître, c'était il y a douze ans : les pouvoirs d'Inou avaient été découverts depuis des années et les membres du clan l'avait désigné pour être le futur chef du clan Hakata.
Perdue dans ses pensées, Maeva ne vit pas l'ombre qui était subitement apparue derrière elle.
- Tu ferais une proie facile ma chère.
La quadragénaire sursauta.
- Ah ! c'est vous.
La reine des ogres esquissa un sourire.
- Veuillez pardonner mon impétuosité, dit Maeva en s'inclinant devant la reine des ogres.
- Hum ! redresse-toi.
L'ancienne disciple d'Inou se redressa mais n'osa pas fixer la déesse-ogresse dans les yeux.
- Tu penses à lui, n'est-ce pas ? devina Élise.
Maeva rougit et détourna le visage.
- Je suis désolée pour ma désinvolture de tout à l'heure, poursuivit Élise.
- Ce n'est rien, fit Maeva.
- Tu l'aimes toujours, n'est-ce pas ?
Maeva regarda Élise d'un air gêné.
- Mais non, répliqua l'ancienne tueuse à gages. Il est mon maître, je m'inquiète juste pour lui c'est tout.
- Ton attitude est similaire à la mienne quand j'étais sa femme ou plutôt les quelques fois où je me suis comportée comme telle.
- Pourquoi dites-vous ça ? demanda l'élève d'Inou.
- Ah ! il ne t'a jamais raconté notre histoire ?
- Non, fit Maeva. Inou n'était pas du genre bavard sur sa vie privée.
- Hum ! je vois.
- La seule chose que je savais c'est juste qu'il fût marié à une ogresse…
Puis, l'élève d'Inou contempla Élise qui prit alors un air nostalgique.
- Vous aviez des problèmes ? risqua Maeva.
- Oh oui ! mais c'était uniquement de ma faute, assura la déesse-ogresse.
- Ne dites pas cela, je suis loin d'être une experte en relation amoureuse, mais on dit que dans un couple les torts sont souvent partagés.
- Tu dois avoir raison, mais encore faut-il que nous eussions fait un couple, Inou et moi.
- Pardonnez-moi, mais je ne vous suis pas, dit Maeva d'un air intrigué. N'étiez-vous pas sa femme ?
- Si, nous étions mariés, sauf que je n'ai pratiquement jamais été auprès d'Inou en près de 15 ans de mariage, expliqua Élise, un timide sourire aux lèvres.
- QUOI ? fit Maeva stupéfaite. Vous étiez mariés durant tout ce temps ?
- Oui ! nous nous sommes mariés alors qu'il n'avait que 13 ans.
- SI JEUNE ?
La déesse-ogresse fit une grimace.
- Eh ben ! Inou m'a demandé en mariage à cet âge et moi je ne savais rien des us et coutumes chez vous les humains, donc j'ai accepté sans me poser de question.
- Et vous ? Quel âge aviez-vous à cette époque ? s'enquit l'élève d'Inou, anxieuse.
Élise adressa un sourire à Maeva, puis lui fit un clin d'œil.
- Tu ne me croirais pas si je te le disais.
Maeva n'en revenait pas, mais Élise redevint sérieuse.
- J'aimais Inou, commença-t-elle. Pourtant, c'est mon fichu caractère, mais surtout mes absences répétées qui ont eu raison de notre union.
- Excusez-moi, mais je ne vous suis pas.
- Cela ne m'étonne guère, fit Élise. Personne ne pourrait comprendre le comportement que j'ai eu à l'égard de celui qui était mon époux.
L'élève d'Inou regardait la déesse avec un air ahuri.
- En 15 ans de mariage, reprit Élise, je n'ai rendu visite à Inou qu'à peine 5 fois.
Cette nouvelle laissa Maeva pantoise. Cependant, la déesse-ogresse poursuivit comme si de rien n'était.
- Je n'ai été qu'un courant d'air dans la vie du Pandorien alors que lui voulait me voir à tout prix, regretta la déesse-ogresse.
- …
- J'aurais dû me battre pour sauver mon mariage, sauf que je suis une ogresse et je n'ai jamais été aussi persévérante que toi.
Mais l'élève d'Inou ne parvenait toujours pas à comprendre les explications d'Élise, il lui fallait davantage de détails.
- Pardonnez mon indiscrétion, risqua Maeva. Mais, dans les îles Hakata où Inou et moi avions grandi, on nous surveillait en permanence sauf qu'il était possible d'aller et venir sans être vu à condition d'être prudent.
Élise écouta l'argumentation sans l'interrompre. L'ogresse savait pertinemment où Maeva voulait en venir.
- Aussi, poursuivit Maeva, les ogres vivent en communauté, donc je suppose que chez vous les conjoints devraient avoir un minimum de contacts. Quelles étaient donc les raisons pour lesquelles vous ne pouviez pas voir Inou plus souvent ?
Élise regarda alors Maeva d'un air triste, puis une larme fendit son beau visage.
Toutefois, sans dire un mot, la reine des ogres mit fin à la conversation en disparaissant subitement comme le faisaient certains habitants de l'univers de Fantasia.