Chapter 2 - Chapitre 2 : Le réveil

Li Wei ouvrit les yeux, lentement, comme s'il émergeait d'un rêve profond et troublant. Son regard se posa sur un plafond voûté en pierre, strié de fissures anciennes et de traces de fumée. La lumière du matin filtrait à travers les rideaux épais de velours rouge, projetant des reflets dorés sur les murs de pierre grise. Il sentait une légère brise froide provenant des interstices des vieilles fenêtres, qui faisait danser les flammes vacillantes de la lampe à huile posée sur la table de chevet. L'air était chargé d'une odeur de vieux bois, de cire d'abeille et d'herbes médicinales. Il cligna des paupières, essayant de chasser la brume qui enveloppait son esprit. Où suis-je ? Ce n'est pas l'hôpital. Ce n'est pas non plus l'usine high-tech où j'ai travaillé. Non, cet endroit sent le passé, comme si j'avais été arraché à mon époque et projeté dans un autre monde.

Il tourna lentement la tête, prenant conscience de son environnement. La chambre était spacieuse, mais austère, avec des murs de pierre épais et des tapisseries usées accrochées aux murs. Une grande cheminée en pierre, noircie par des décennies de feux, trônait dans un coin. À côté, une armoire en chêne massif, aux portes sculptées de motifs floraux, semblait avoir traversé des siècles sans perdre sa solidité. Sur une table de chevet en bois usé, une vieille lampe à huile projetait des ombres vacillantes sur les murs, donnant à la pièce une ambiance à la fois chaleureuse et oppressante.

Li Wei se redressa doucement, sentant le poids du corps de William Carter, plus robuste et musclé que le sien. Ses mains, bien que calleuses, portaient les marques d'un entraînement rigoureux : des cicatrices fines, souvenirs d'escrime et de combat. Il les observa un moment, incrédule, avant de se lever avec précaution.

Il fit quelques pas dans la chambre, notant chaque détail avec curiosité. Il toucha les objets anciens : un miroir en argent terni, dont le cadre était orné de motifs délicats rappelant une époque révolue, un lit en bois massif avec des draps brodés aux armoiries de la famille Carter, et une vieille pendule de cheminée qui égrenait les secondes avec une précision mécanique. Une horloge sur le mur indiquait une heure matinale, chaque tic-tac amplifiant le silence de la pièce. Il ouvrit les tiroirs de la commode et découvrit des lettres anciennes et un journal intime écrit par William Carter, plein de pensées personnelles et de secrets.

Les pages étaient jaunies par le temps, et l'écriture fine et élégante révélait une âme tourmentée. Des phrases comme « La famille est en péril » et « Je dois trouver un moyen de sauver notre héritage » revenaient souvent, trahissant les inquiétudes de William. Li Wei feuilleta les pages avec précaution, s'arrêtant sur certains passages qui semblaient particulièrement lourds de sens. « Les dettes s'accumulent... Père ne sait plus quoi faire, » écrivait William dans une note datée de deux ans auparavant. Une autre page mentionnait : « Thomas ne cesse de me défier, mais je dois rester fort pour Eliza. Elle compte sur moi. » Un passage récent évoquait une rencontre mystérieuse avec un créancier aux intentions douteuses.

Sur le mur opposé, un grand écusson de la famille Carter était accroché, représentant un lion rampant sur fond d'azur, entouré de feuilles de chêne et surmonté d'une couronne. Li Wei pouvait sentir le poids de la lignée sur ses épaules, chaque détail de l'écusson lui rappelant la grandeur et la responsabilité héritées malgré lui. Des drapeaux aux mêmes armoiries pendaient des poutres du plafond, leurs couleurs fanées par le temps mais toujours imposantes. Li Wei s'approcha de l'écusson, touchant du bout des doigts les contours du lion sculpté.

« Ces symboles… Ils représentent une lignée, une histoire. Mais que signifie-t-elle pour moi maintenant ? » pensa-t-il en sentant une vague de responsabilité le submerger.

Dans un coin de la chambre, un portrait ancien attira son attention. Il représentait un homme aux traits asiatiques, vêtu d'un costume traditionnel chinois, mais avec une posture fière et noble. Sous le portrait, une inscription en lettres dorées disait : « Sir Li Wei Carter, 1789-1856. Fondateur de la branche orientale de la famille Carter. »

« Sir Li Wei Carter… Mon ancêtre ? Mais comment un Chinois est-il devenu un noble britannique ? » Il se souvint vaguement des histoires racontées par son père : un ancêtre qui avait quitté la Chine pour l'Angleterre au XVIIIe siècle, devenant un marchand prospère avant d'être anobli pour ses services à la Couronne. « C'est pour ça que je porte ce nom… Li Wei. Un héritage que j'ai toujours ignoré, » se dit-il en sentant un mélange de fierté et de perplexité.

Sur le bureau, un parchemin détaillait les possessions de la famille Carter :

Le château de Bodiam : Un joyau médiéval entouré de douves, avec ses tours imposantes et ses vastes terres agricoles. Sa maintenance coûte une fortune, et les réparations nécessaires sont nombreuses.

Des mines de charbon dans le Yorkshire, autrefois prospères mais maintenant en déclin. Les machines sont vétustes, et les ouvriers se plaignent des conditions de travail. Les grèves récentes ont exacerbé les tensions avec les mineurs.

Une usine textile à Manchester, endettée et mal gérée. Les commandes se font rares, et les créanciers menacent de fermer l'établissement. Les innovations technologiques manquent, rendant la concurrence difficile.

Des terres dans le Sussex, louées à des fermiers locaux. Les récoltes sont maigres cette année, et les fermiers réclament des réductions de loyer. La sécheresse récente a aggravé la situation agricole.

Li Wei soupira. « Une fortune en ruine… Et maintenant, c'est à moi de la sauver. »

Soudain, la porte s'ouvrit doucement. Une jeune femme entra, portant un plateau avec du thé et des médicaments. Elle avait des cheveux roux attachés en une tresse désordonnée, et ses yeux verts, vifs et perçants, le dévisagèrent avec un mélange d'inquiétude et de soulagement. Elle portait une robe simple et pratique, légèrement tachée de suie.

« Monsieur William, vous devriez vous reposer. Vous avez eu un choc hier, » dit-elle doucement, posant le plateau sur la table de chevet.

« William ? Qui êtes-vous ? Où suis-je ? » demanda Li Wei, encore confus.

« C'est moi, Maggie, votre domestique. Vous êtes chez vous, au château de Bodiam, » répondit-elle avec une note de tristesse dans la voix.

« William Carter… Ce n'est pas possible, » murmura Li Wei en se tournant vers la fenêtre, cherchant des réponses dans le paysage au-delà.

Maggie observa Li Wei avec curiosité, notant son comportement inhabituel. « Vous semblez… différent, monsieur, » dit-elle finalement.

« Différent ? Expliquez-vous, » répondit Li Wei, essayant de dissimuler son désarroi.

« Oui. Comme si vous ne saviez pas où vous étiez, » expliqua-t-elle doucement.

« Peut-être que je ne le sais pas. Mais je suis sûr que tout me reviendra bientôt, » dit-il avec une détermination fragile.

Maggie hésita un instant avant de parler, comme si elle pesait ses mots. « Monsieur, vous ne vous souvenez vraiment de rien ? Pas même de la baronnie ? »

Li Wei secoua la tête, essayant de dissimuler son désarroi. « Non… rien. Mais peut-être pourriez-vous m'expliquer. »

Maggie prit une profonde inspiration avant de commencer. « La famille Carter est une des plus anciennes familles nobles du Sussex. Votre ancêtre, Sir Li Wei Carter, était un marchand chinois qui a fait fortune en Angleterre. Il a été anobli par le roi George III pour ses services à la Couronne. Depuis, la famille a prospéré, mais ces dernières années… » Elle baissa les yeux, comme si elle hésitait à continuer.

« Ces dernières années ? » interrogea Li Wei, sentant l'angoisse monter en lui.

« Les dettes se sont accumulées, monsieur. Votre père a fait de mauvais investissements, et maintenant… » Maggie marqua une pause, cherchant les mots justes.

« Maintenant quoi ? »

« Maintenant, nous sommes au bord de la ruine. »

Maggie lui tendit une lettre, les mains tremblantes. « Monsieur, cette lettre est arrivée ce matin. Elle vient de la banque. »

Li Wei ouvrit la lettre et lut :

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Banque de Londres

15 janvier 1899

À l'attention de Monsieur William Carter,

Château de Bodiam,

Robertsbridge, Sussex de l'Est.

Monsieur,

Nous vous écrivons concernant le solde impayé de votre compte auprès de la Banque de Londres. Malgré nos précédents rappels, aucun paiement n'a été effectué pour couvrir les dettes accumulées par la famille Carter.

À ce jour, le montant total dû s'élève à 5 000 livres sterling, incluant les intérêts et les frais de gestion. Nous vous rappelons que cette somme doit être réglée dans les trente jours, faute de quoi des mesures de recouvrement seront engagées, y compris la saisie des biens de la famille Carter, y compris le château de Bodiam.

Nous comprenons que ces circonstances peuvent être difficiles, mais nous devons insister sur l'urgence de cette situation. Nous vous prions de bien vouloir nous contacter dès que possible pour discuter des modalités de remboursement.

Avec mes plus hautes considérations,

John Hargreaves

Directeur des Comptes Nobiliaires

Banque de Londres

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Li Wei releva les yeux, perplexe, mais gardant une expression stoïque. « Maggie, que se passe-t-il ? Pourquoi la famille est-elle ruinée ? »

« Je ne sais pas, monsieur. Mais nous devons agir vite. »

Li Wei resta immobile devant la fenêtre, les yeux fixés sur les douves du château de Bodiam. Les eaux calmes reflétaient les tours médiévales, créant une image à la fois majestueuse et inquiétante. Dans son esprit, les souvenirs de sa vie passée se mêlaient aux réalités de ce nouveau monde. Il pensa à l'explosion dans l'usine, à sa mort certaine, et à ce réveil dans un corps qui n'était pas le sien. Puis, il tourna son regard vers le portrait de Sir Li Wei Carter, son ancêtre, dont les yeux semblaient le fixer avec une intensité troublante.

« Sir Li Wei Carter... » murmura-t-il, comme s'il parlait à l'homme dans le portrait. « Tu as quitté la Chine pour l'Angleterre, tu as bâti un empire, et tu as laissé un héritage que je ne comprends pas encore. Mais maintenant, je suis ici, dans ton corps, dans ton monde. »

Il se rapprocha du portrait, touchant presque le cadre doré. « Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Est-ce un hasard, ou y a-t-il une raison à tout cela ? »

Un silence lourd planait dans la pièce, brisé seulement par le tic-tac régulier de la pendule. Li Wei sentit une résolution grandir en lui, une détermination qu'il n'avait jamais connue auparavant. Il se tourna vers Maggie, qui l'observait avec une expression à la fois curieuse et inquiète.

« Maggie, » dit-il d'une voix ferme, « je ne sais pas encore comment tout cela est arrivé, mais une chose est claire : je suis ici maintenant. Et si je suis ici, c'est pour une raison. »

Maggie inclina la tête, perplexe. « Que voulez-vous dire, monsieur ? »

Li Wei prit une profonde inspiration, sentant le poids de ses mots avant même de les prononcer. « Je ne suis peut-être pas William Carter, mais je porte son nom, son corps, et son héritage. Si je suis arrivé dans ce corps, c'est pour accomplir ce qu'il n'a pas pu faire. À partir de maintenant, je suis William Carter. Je suis ton maître, le chef de cette famille, et je vais tout faire pour la sauver. »

Maggie le regarda, les yeux écarquillés, comme si elle ne savait pas quoi dire. Puis, lentement, un sourire timide apparut sur ses lèvres. « Vous semblez différent, monsieur. Mais... différent en bien. »

Li Wei hocha la tête, sentant une étrange sérénité l'envahir. « Peut-être que c'est ce dont cette famille a besoin. Quelqu'un de différent. Quelqu'un qui n'a pas peur de changer les choses. »

Il se tourna à nouveau vers la fenêtre, contemplant les douves et les terres qui s'étendaient au-delà. « Sir Li Wei Carter, » murmura-t-il, « tu as bâti cet empire. Maintenant, c'est à moi de le protéger. »

Alors qu'il prononçait ces mots, un bruit sourd résonna dans le couloir. Des pas lourds approchaient, accompagnés de voix murmurantes. Li Wei se figea, écoutant attentivement.

« Il est réveillé ? » demanda une voix masculine, dure et autoritaire.

« Oui, monsieur Thomas, » répondit Maggie, nerveuse.

« Parfait. J'ai quelques questions à lui poser. »

Li Wei sentit son cœur battre plus vite. Thomas... le frère de William ? Il se demanda ce que cet homme voulait, mais une chose était sûre : il ne pouvait pas se permettre de se faire découvrir.

Il se précipita vers la porte, mais avant qu'il ne puisse l'ouvrir, elle s'ouvrit brusquement, révélant un homme grand et mince aux yeux bleus glacés.

« William, » dit Thomas avec un sourire qui ne touchait pas ses yeux. « Nous devons parler. »