Un léger voile flottait sur Silvercoast au lendemain de la grande inauguration de l'exposition du vieux salon de barbier. L'air épais de l'automne véhiculait à la fois un discret enthousiasme et un soulagement, effleurant les artères animées du centre-ville et se glissant dans les recoins plus calmes. La cérémonie, encore fraîche dans les esprits, avait révélé au grand jour la métamorphose des veilleurs, de simples clandestins à protecteurs officiellement salués. Pourtant, pour Jared, Ava et Marcus, les jours qui suivirent furent tout sauf inactifs—d'anciennes pistes appelaient à être résolues, de nouvelles questions surgissaient, et le pouls de la vigilance dans la cité, lui, ne s'arrêtait jamais.
Le matin d'après
Un jour était passé depuis l'inauguration. Les vitrines fraîchement refaites du salon de barbier exposaient, derrière le verre, les vestiges des murs criblés de balles, des panneaux numériques décrivant les stratégies secrètes, et de modestes hommages au rôle des veilleurs dans la chute du Syndicat. Déjà, des visiteurs venaient, attirés par les reportages locaux célébrant la valeur symbolique du lieu.
Ava s'était levée tôt, parcourant d'un regard les gros titres du jour sur son téléphone, tout en sirotant un thé au bord de la fenêtre de son appartement. Les articles saluaient le succès de la cérémonie, mentionnaient quelques extraits de son livre De l'ombre à l'aurore. Une fierté douce l'envahit, en voyant des témoignages de gratitude envers les veilleurs. Pourtant, elle gardait une part d'inquiétude : la ville avait beau avoir franchi un cap, il restait sans doute des comptes à régler ou des résidus enfouis du Syndicat.
Avant midi, elle se rendit à l'hôtel de ville pour un bref point du Guardian Council. Marcus la rejoignit dans le couloir menant à leur salle de réunion habituelle, portant un dossier mince rempli de mises à jour sur le système de sécurité. Son sourire était franc :
— « On ressent encore l'euphorie d'hier, pas vrai ? Ça fait drôle de voir le salon si… exposé. »
Ava hocha la tête.
— « J'adore que les gens puissent y entrer, contempler les impacts de balles, lire sur notre combat. Mais je ne peux m'empêcher de me dire que certains criminels, en voyant la ville s'auto-congratuler, pourraient en profiter pour agir en douce. »
Marcus haussa les épaules.
— « On reste sur le qui-vive. Et les nouveaux systèmes de la ville dissuadent toute tentative de revenir en force. »
Un léger signal d'alarme
Dans la salle de réunion, Jared discutait déjà avec le détective Gallagher et le conseiller Holmes. Quand Ava et Marcus entrèrent, Holmes leur fit signe d'approcher, pointant une série de documents imprimés étalés sur la table.
— « On pourrait avoir un petit souci, » annonça Holmes, en effleurant les pages du doigt. « Dans un district éloigné, on a signalé la présence d'un SUV avec des plaques étrangères. Il a roulé sur des routes secondaires, posant des questions bizarres sur d'anciens sites du Syndicat, puis a disparu. »
Jared fronça les sourcils.
— « Encore une éventuelle infiltration ? Ou un curieux un peu louche ? On a déjà rencontré des étrangers cherchant à récupérer de la contrebande ancienne. »
Gallagher feuilleta son dossier.
— « On ne peut être formels, mais la description concorde avec un contact Dreznov repéré autrefois. Peut-être qu'ils fouinent pour dénicher de la technologie ou des caches oubliées. La ville veut que vous meniez une petite enquête discrète, comme pour les fermes et les côtes. »
Ava jeta un regard à Marcus.
— « Bien sûr. Ça nous convient. Où commencer ? »
Holmes désigna un point sur la carte de la ville, clouée au mur.
— « Par ici, dans le sud-ouest, près d'un ancien labo du Syndicat. On croyait l'avoir démoli, mais il reste peut-être un sous-sol intact. Si des criminels cherchent des restes, ce site est plausible. »
Jared acquiesça.
— « On s'en charge. On mobilise quelques ressources du Guardian Council et on inspecte calmement. Pas de battage médiatique, on ne veut pas troubler l'ambiance post-cérémonie. »
Holmes sembla soulagé.
— « Merci. La ville préfère miser sur l'optimisme actuel. Pas besoin d'alimenter des craintes si ce n'est rien. »
Le plan de reconnaissance
Ils passèrent l'heure suivante à ficeler leur plan. Les veilleurs partiraient en SUV, escortés d'un agent de l'équipe de Gallagher et d'un ingénieur de la ville. Si l'ancien site du labo se révélait instable, ils auraient un pro pour évaluer le danger. Ils vérifieraient toute activité suspecte, et si quelque chose clochait, ils appelleraient du renfort.
En sortant de la salle, Marcus s'éclipsa pour récupérer du matériel de scan, pendant que Jared et Ava grimpaient dans le 4x4 pour aller chercher l'ingénieur municipal. Dehors, une bruine légère brouillait l'horizon, mais rien de bien méchant. Les mises à jour du système intégré signalaient aucun incident en cours. C'était une sensation familière : comme à l'époque du barbershop, mais à présent avec des moyens officiels.
Le site de l'ancien labo
En début d'après-midi, ils atteignirent la périphérie sud-ouest. Derrière des grillages coiffés de barbelés rouillés, on devinait les restes d'un petit labo lié au Syndicat, en partie démoli. Les herbes folles avaient pris possession du sol, des plaques de béton brisées pointant ici et là. Le portail scellait l'entrée. Les veilleurs se garèrent dehors, attendant l'arrivée de l'ingénieur Selina Ward et de l'agent Ramirez, de l'équipe de Gallagher.
Selina Ward, sortant d'une fourgonnette, les rejoignit avec sa mallette de capteurs et un dossier de plans.
— « D'après les archives, le gros du bâtiment est tombé, mais il restait un tunnel technique. Si des gens rodent ici, c'est pour ça. »
Marcus serra contre lui son ordinateur.
— « On fera un balayage rapide via le système de la ville, dès qu'on sera assez près. Voyons si la clôture est intacte. »
Ils longèrent le grillage sur un terrain humide, empruntant un passage où le métal semblait avoir été récemment découpé. Les bords tranchés du grillage indiquaient une intrusion clandestine. Une tension légère saisit les veilleurs.
— « On dirait qu'on a forcé l'entrée, » marmonna Ava en prenant des clichés. « Le conducteur du SUV a pu se faufiler et chercher quelque chose dans les décombres. »
L'agent Ramirez envoya un message radio à Gallagher : « On a trouvé un accès fracturé au vieux labo. On entre inspecter. » Ils franchirent donc l'ouverture, foulant des gravats humides. Les nuages filtraient la lumière, imprimant une ambiance étrange sur cet espace désolé.
Sous le sol
Rapidement, ils repérèrent une porte en partie enfouie menant à un sous-sol en béton. Selina scanna la zone.
— « La structure est fragile, mais en avançant prudemment, ça devrait aller. La ville n'a pas tout fait s'écrouler à l'époque, faute de moyens. »
Elle força la porte à l'aide d'un pied-de-biche, révélant un couloir sombre aux parois suintantes. Ava actionna la lampe de son téléphone, Marcus consultant ses capteurs pour vérifier l'absence de gaz toxique. Ramirez passa devant, torche à la main. Les veilleurs suivaient, tous ressassant leur passé d'infiltrations au barbershop—sauf qu'aujourd'hui, c'était un acte officiel, accompagné d'un équipement adéquat.
De l'eau gouttait du plafond, tombant sur le sol fissuré. Caisses brisées et débris de démolition jonchaient l'endroit. Ils avancèrent méthodiquement, à la recherche d'indices de passage récent. Jared, un instant, enfila les Shades pour scruter une éventuelle présence, ne ressentant aucun signal humain. Après quelques pas, ils débouchèrent dans une petite salle dont les murs s'étaient partiellement affaissés. Parmi les gravats, une boîte métallique, cabossée et à demi ouverte, montrait des traces de forçage. Marcus s'agenouilla pour l'examiner.
— « Elle est vide, mais on voit clairement qu'on l'a forcée il y a peu. Quelqu'un a emporté ce qu'il y avait. »
Ava photographia l'objet, échangeant un regard inquiet avec Jared.
— « Possiblement des restes d'artefacts ou de données. L'intrus est passé avant nous. » Elle désigna dans la boue des traces de bottes menant à un couloir effondré.
Selina, passant son scanner, lâcha :
— « La voûte n'est pas stable. Il serait dangereux d'essayer de creuser plus. Rien ne nous dit ce qu'ils cherchaient ici. »
Ramirez informa par radio :
— « On a trouvé une caisse forcée, sans trace de suspect. Il semble qu'ils ont déjà récupéré le contenu. »
Les veilleurs, un peu déçus, prenaient néanmoins acte de la situation : c'était là le quotidien d'un passé encombrant, parfois vide de sens, parfois lourd de menaces. Après avoir tout inspecté, ils retournèrent prudemment vers la surface.
Rapport de la découverte
Une fois à l'extérieur, sous la lumière grisâtre de l'après-midi, ils refermèrent provisoirement l'ouverture dans le grillage, et demandèrent une équipe pour barricader le site. Ava téléversa sur la base du Guardian Council ses clichés et un court descriptif : « Intrusion repérée, conteneur vide, contenu inconnu, pas de suspect sur place. » Marcus rédigea un petit compte-rendu, puis tous montèrent dans l'SUV.
Jared, fixant l'horizon, commenta :
— « Quiconque fait ça, il récupère des miettes d'un système défunt. Ils n'agissent pas ouvertement. On devra rester attentifs. Au moins on les a empêchés de creuser plus loin. »
Selina, l'ingénieure, promit de déposer un plan de comblement du sous-sol, rendant le site définitivement inaccessible. Ils rentrèrent à la mairie pour expliquer la situation. Durant le trajet, Ava souffla :
— « Même après l'expo, on voit encore ces bribes de contrebande, ces résidus technologiques. Probable que le Groupe Dreznov ou d'autres s'en emparent petit à petit. »
Marcus approuva :
— « Mais ils agissent en silence, pas d'affrontement direct. On finira par les coincer s'ils accumulent assez de "restes" pour constituer une menace. »
Jared, effleurant les Shades, se souvint de toutes leurs évasions passées.
— « On tiendra informé le Guardian Council. Pas de panique pour le moment, mais restons sur nos gardes. »
Un soir sous un ciel calme
Cette nuit-là, les veilleurs se retrouvèrent pour un dîner léger dans un petit café en bord de fleuve, commentant la découverte du site de labo. Le consensus était qu'un individu ou un groupe collectait ces vestiges du Syndicat, sans toutefois menacer la sérénité publique. Et tous se réjouissaient que les incidents restent mineurs, tandis que la ville digérait le succès de l'exposition du salon.
Ava réitéra que son passage littéraire pour l'inauguration était fin prêt, tissant les ténèbres du salon avec l'espoir qu'avaient représenté les veilleurs. Marcus confirma la fiabilité technique de sa démo. Jared esquissa un petit discours pour souligner combien la discrétion d'autrefois était devenue un partenariat officiel. Rien ne semblait remettre en cause la célébration à venir.
Ils longèrent ensuite la promenade, devisant paisiblement. Sous les lampadaires, Silvercoast rayonnait d'une douceur née de cette sécurité reconquise, loin des anciens diktats du Syndicat. Les illusions criminelles s'étaient estompées, remplacées par une gouvernance transparente et une mobilisation collective. Le dîner terminé, ils regagnèrent leur domicile, une poignée de mains discrète, un simple "bonne nuit" confiant. Aucune infiltration ne les attendait, aucune urgence pour débusquer un entrepôt clandestin—juste la satisfaction d'une cité protégée.
L'aube d'une détermination
Le lendemain, la cérémonie du salon approchait à grands pas—il ne restait plus qu'un jour. Les veilleurs se levèrent, vérifièrent la plateforme : aucune menace critique. Chacun poursuivit ses dernières mises au point. Ava se prépara à rencontrer quelques reporters pour convenir d'interviews le jour J. Marcus effectua un ultime test matériel. Jared s'assura que la scène, la signalétique et l'accueil seraient fin prêts.
Sous la surface de cette quiétude, tous ressentaient le frémissement de groupes occultes cherchant des "trésors" du Syndicat, mais l'étau municipal se resserrait—et aucune résurgence ne parviendrait aisément à s'implanter. Les veilleurs poursuivaient leur mission, protégés par l'optimisme ambiant et une organisation aguerrie.
Alors que le soleil montait et que la journée s'annonçait clémente, Silvercoast semblait avancer, unifiée. L'héritage du Syndicat reculait toujours plus, anéanti vestige par vestige. Et bientôt, l'ouverture officielle du salon de barbier commémorerait la lutte jadis clandestine, désormais consignée au grand jour—afin que personne n'oublie comment des veilleurs obstinés, épaulés par la cité, avaient fini par terrasser la peur. Dans la sérénité d'un ciel apaisé, ils conservaient leur détermination pour qu'aucun reliquat ni corridor oublié ne perturbe la page radieuse qu'ils s'attelaient à écrire.