Une lumière tamisée baignait Silvercoast, un voile nuageux adoucissant les contours de ses quartiers nouvellement revitalisés. Finies, les enseignes criardes ou les devantures à demi-closes ; à la place, des rangées de boutiques coquettes et des trottoirs impeccables invitaient les piétons, tandis qu'un trafic modéré circulait dans le calme. Aujourd'hui, la météo n'annonçait aucune averse, libérant ainsi les veilleurs—Jared, Ava et Marcus—de la contrainte du parapluie. À quelques jours de l'inauguration de l'exposition sur l'ancien salon de barbier, ils ressentaient un mélange de fierté, de nostalgie, et la vigilance latente qui leur était propre, dans l'éventualité d'un ultime sursaut menaçant.
Matinée sur la place centrale
Il était déjà tard dans la matinée quand ils se retrouvèrent sur la Place Centrale, nouvel espace public créé non loin de la mairie. La place s'ouvrait sur de larges allées, des jardinières remplies de fleurs automnales et une grande fontaine gravée de l'emblème de la ville—une vague stylisée autour de la silhouette de Silvercoast. Familles et employés de bureau s'y côtoyaient, attirés par la douceur de l'air et l'animation ambiante.
Ava arriva la première, son stylo-caméra accroché au col, réflexe issu de son passé de justicière clandestine, même si ses fonctions actuelles au Guardian Council la détachaient d'une telle méthode. Non loin de là, elle repéra un stand à ciel ouvert proposant boissons chaudes et viennoiseries, avec une file de gens attendant patiemment. Elle se joignit à eux pour prendre un latte épicé, balayant la foule d'un regard discret qui ne la quittait jamais pleinement.
Marcus apparut ensuite, vêtu d'une veste légère et portant l'incontournable sac de son ordinateur. Il rejoignit Ava d'un signe de la main, son regard embrassant la place.
— « Pas mal de monde pour un matin en semaine, » observa-t-il, saluant la diversité de passants. « Les places publiques ont vraiment repris vie depuis qu'on a lancé ces rénovations. »
Ava lui adressa un bref sourire.
— « Oui. Difficile d'imaginer qu'il y a peu, ces rues étaient à demi désertes, marquées par les graffitis du Syndicat. Maintenant, il y a des familles, des stands, une effervescence. Ça me paraît encore irréel. » Elle tendit à Marcus un petit chausson à la cannelle au parfum de sucre et d'épices.
— « Merci, » répondit Marcus en croquant avec satisfaction. « Des infos sur d'éventuelles menaces ? Des reliquats de contrebande, des infiltrations étrangères ? »
Ava secoua la tête.
— « La plateforme est restée silencieuse cette nuit, à part quelques signalements de routine—nuisances sonores, véhicules suspects. Rien de majeur. Peut-être une journée tranquille, pour une fois. »
Arrivée de Jared et petite annonce
Jared les rejoignit peu après, dissimulant dans sa veste les Shades of Authority. Il salua le duo, laissant son regard flotter sur la place.
— « La ville semble d'excellente humeur, » observa-t-il en lâchant un léger soupir, heureux de cette ambiance. « Holmes m'a envoyé un message ce matin—il veut qu'on finalise les préparatifs de la cérémonie du salon de barbier. Nous aurons chacun un court discours, et Marcus fera une démonstration du système de sécurité. »
Marcus sourit, tapotant son sac d'ordinateur.
— « Je suis prêt. Rien de très technique, juste une présentation succincte de la manière dont les signalements sont transmis à toute la ville. On montrera comment on est passés du rôle de vigilantes à celui de garants officiels. »
Ava savoura son latte.
— « Pour ma part, je lirai un extrait de De l'ombre à l'aurore, sur la dernière nuit où nous étions encore clandestins dans le salon. Pas trop long, j'espère. »
Jared acquiesça.
— « Ça me semble parfait. J'évoquerai la façon dont on a allié réaménagement urbain et méthodes de veilleurs pour nettoyer la ville de l'intérieur. Un discours d'espoir, en somme. »
Ils traversèrent la place, slalomant entre petits groupes de personnes installées sur des bancs, dans la douceur d'un vent léger chargé d'une légère odeur de mer rappelant la proximité du port. Au-dessus d'eux, le ciel restait gris sans être menaçant, aucune trace de pluie en vue.
Un appel inattendu
Au moment d'atteindre un coin plus calme de la place, leurs téléphones vibrèrent simultanément. Un message urgent de Gallagher : « Petit incident près du pont Winston. Peut-être résidu de contrebande ou fausse alerte. Regardez le flux du Guardian Council. »
Marcus posa son ordinateur sur une table haute voisine. En quelques clics, il accéda au système intégré, et Ava, Jared se penchèrent pour lire. Un nouveau signalement venait d'un pêcheur local, déclarant avoir aperçu une petite caisse dérivant sous le pont Winston, moitié submergée, contenant apparemment un "truc qui brille" à l'intérieur. L'homme décrivait une lueur néon à travers les fentes de la caisse.
— « Étrange, » lâcha Ava. « Un scintillement ? Ça pourrait être des cristaux arcaniques ou un résidu chimique. »
Jared fit défiler la déposition.
— « Il a essayé de l'accrocher, mais la caisse a en partie coulé. Il n'a pu que l'apercevoir avant que le courant ne l'emporte. Aucune preuve de son contenu. Ça reste potentiellement dangereux. »
Marcus pianota sur le clavier, comparant la zone à la carte du fleuve.
— « Si c'est dans l'eau, risquant de dériver vers la mer, on peut appeler la patrouille pour la repêcher. Autant être prudents—si c'est de la vieille contrebande, il vaut mieux ne pas la laisser filer. »
Ava opina, saisissant son téléphone.
— « J'envoie un message à Gallagher. On peut aller voir le pont Winston, vérifier si la caisse s'est coincée quelque part. D'accord ? »
Ils décidèrent de se répartir les tâches : Marcus resterait près de la mairie pour coordonner la localisation sur la plateforme et aider la patrouille fluviale, tandis qu'Ava et Jared se rendraient sur place en voiture pour voir s'il restait quelque chose. Point n'était besoin d'un déploiement massif, mais ils savaient que la moindre brèche pouvait révéler plus grand.
En route vers le pont Winston
Jared et Ava montèrent dans le 4x4 du Guardian Council, se fraiant un chemin dans le trafic modéré jusqu'au pont Winston, un ancien ouvrage en pierre et métal orné de rambardes. Bien que supplanté par des voies plus modernes, le pont Winston restait fréquenté localement, accueillant aussi des pêcheurs qui s'installaient parfois à ses balustrades. Alors que le SUV roulait dessus, ils aperçurent l'eau large et boueuse, gonflée par les pluies récentes.
Ils se garèrent sur une zone prévue pour l'arrêt, feux de détresse allumés, puis s'approchèrent du parapet. Quelques badauds, dont un homme à la casquette usée—probablement le pêcheur à l'origine de l'alerte—se tenaient là. Reconnaissant les veilleurs, il leur désigna la partie amont du fleuve.
— « Vous êtes ceux du Guardian Council, non ? La caisse a coulé sous l'arche centrale, y a vingt bonnes minutes. J'ai pas pu l'attraper. »
Ava se pencha, scrutant le courant bouillonnant sous l'arche.
— « Merci pour l'info, monsieur. Avez-vous remarqué un logo ? Une inscription ? »
Il haussa les épaules.
— « Juste du bois sombre, pas très net. Ça brillait en vert à l'intérieur, comme du néon. Ça m'a paru suspect. Puis c'est passé sous le tourbillon… »
Jared fronça les sourcils, la main près de sa veste. Un écho de prudence lui soufflait que si la caisse contenait des restes d'artefacts, ça pouvait être inoffensif ou au contraire, toxique ou instable.
— « On va coordonner avec Marcus. La patrouille fluviale devrait la pister si elle dérive vers l'aval. »
Il appela aussitôt Marcus, qui confirma que la patrouille avait déjà dépêché un canot pour sonder la zone. Ava, de son côté, filma quelques instants le bouillonnement de l'eau sous l'arche, documents qu'elle verserait à la base de la ville. Peut-être qu'il ne s'agissait que de vieux déchets, peut-être d'un résidu arcane. Mieux valait ne rien négliger.
Un risque potentiel
Après quelques minutes, un bateau de patrouille apparut en amont, se maintenant au milieu du fleuve. Un agent à bord leur cria qu'ils allaient sonder la zone. Jared et Ava remercièrent, puis discutèrent à voix basse.
— « Si c'est des cristaux ou un bidon de produits, » supposa Ava, « la ville saura comment le traiter. Sinon, c'est un énième faux indice. »
Jared observa le courant, sombre et mouvementé.
— « Depuis quelque temps, on ne cesse de croiser ces petites reliques du Syndicat. Peut-être que des criminels tentent un trafic improvisé. Ou c'est juste un vieux conteneur qu'un éboulement a libéré. »
Le pêcheur, satisfait d'avoir alerté, finit par s'éclipser. Les veilleurs, quant à eux, se mirent en retrait, surveillant l'avancée du canot qui inspectait la zone, jetant une caméra submersible dans l'eau. Dans le silence qui régnait, ils se rappelèrent que parfois, de modestes signaux pouvaient déboucher sur une grosse découverte.
Une solution discrète
Finalement, l'officier à bord signala qu'ils avaient repéré un débris flottant, mais aucune caisse intacte. Sans doute s'était-elle brisée, libérant son contenu—ou alors elle avait coulé dans la vase du fond. Ils comptaient descendre le cours d'eau, espérant récupérer d'autres morceaux. Les veilleurs conclurent donc que, s'il y avait eu un reliquat criminel, il ne représentait plus de danger immédiat.
Ava nota dans le registre : « Signalement d'une caisse lumineuse sous le pont Winston, potentiel reliquat du Syndicat, introuvable après immersion. Fragments repêchés, pas de résidu apparent. » Jared saisit quelques photos, qu'il transmit à Marcus. Puis, leur mission achevée, ils laissèrent la patrouille clore l'opération et quitterent les lieux.
Réflexions de fin d'après-midi
De retour à la mairie, ils retrouvèrent Marcus. Le rapport final du système mentionnait des débris sans trace significative d'arcanique—quelques fils corrodés, rien de plus. Marcus haussa les épaules :
— « Probable vieux déchet abandonné. Au moins on a réagi vite. Ça prouve l'efficacité de la plate-forme. »
Jared hocha la tête.
— « Mieux vaut intervenir pour rien plutôt que laisser dériver un danger. On s'en sort bien. »
Ava soupira, à la fois soulagée et un peu lassée.
— « Encore un incident sans gravité ou presque. La ville reste en paix. On n'en est plus aux grosses opérations. Tant mieux. »
Holmes, arrivé pour suivre l'affaire, les remercia, soulignant qu'un an auparavant, ce genre de signal aurait pu être ignoré et dégénérer. Chester Crane, présent aussi, évoqua l'absence de rumeur côté ex-Syndicat, laissant penser qu'il ne s'agissait que d'un vestige inoffensif.
Une soirée de préparatifs
Le soir venu, les trois veilleurs dînèrent dans un petit restaurant du quartier du barbier, évoquant la cérémonie prochaine. Ils se repassaient la distribution des rôles : Ava lirait un extrait de son livre, Marcus ferait une mini-démo de la plateforme, Jared raconterait comment la méthode « des veilleurs » s'était muée en un projet urbain collectif. Le vieux bâtiment, naguère antre d'un combat secret et frénétique, se peuplerait bientôt de regards admiratifs venus célébrer son histoire.
Ils se séparèrent sous un ciel où se mêlaient des teintes violacées, marchant chacun vers sa destination. Ava devait finaliser l'impression de son ouvrage, Marcus tester encore son code, Jared revoir quelques notes pour son discours, insistant sur le lien entre ce passé clandestin et la bienveillance publique d'aujourd'hui.
L'affirmation discrète de l'aube
Au lever du jour suivant, la ville se réveilla sans alerte majeure, sans un seul appel exigeant une infiltration en urgence. Une nouvelle fois, la routine ordinaire se poursuivait, portée par la protection invisible des veilleurs et la cohésion du Guardian Council. Chacun se prépara, poussé par l'idée que l'inauguration du salon, dans seulement quelques jours, entérinerait la métamorphose accomplie.
Dans le calme matinal, Jared, Ava et Marcus se sentaient à la fois victorieux et sur leurs gardes : pour chaque reliquat découvert—soit un hangar isolé, un bidon flottant ou de vieilles caisses—ils neutralisaient un peu plus le souvenir oppressant du Syndicat. Une fois le salon officiellement transformé en musée, ils espéraient que la population saisirait l'ampleur de la progression : d'une poignée de justiciers sans moyens, la ville était passée à une entité unie, où chaque veille et chaque alerte s'intégraient à un système de prévention solide.
Et c'est ainsi que Silvercoast poursuivait sa route, débarrassée de la mainmise criminelle mais décidée à ne jamais retomber dans ses travers. Sous un ciel encore chargé de nuages, la cité affichait le doux visage d'un nouveau départ, soutenu par les veilleurs, dont les gestes patients consolidaient peu à peu toutes les fractures du passé. Le salon de barbier, foyer de tant de périls naguère, deviendrait bientôt la scène d'un hommage collectif, clôturant le sombre chapitre d'un Syndicat qui ne saurait plus se relever.