À l'aube, Silvercoast s'illuminait de nuances pastel, tandis que la brume persistante de la pluie nocturne s'évaporait lentement vers la mer. Jour après jour, la silhouette scintillante de la ville semblait se redresser, libérée du poids du crime organisé et des armes ésotériques. Dans les quartiers autrefois rongés par la peur, la vie normale reprenait ses droits : marchés de plein air, devantures fraîchement rénovées, enfants qui s'élançaient en rollers sur les trottoirs. Même les docks délabrés résonnaient désormais d'un sentiment de renouveau, un contraste saisissant avec les transactions secrètes et la tension armée de quelques mois plus tôt.
Dans l'ancienne échoppe de barbier, Jared, Ava et Marcus émergèrent à la pâle clarté du matin, filtrant à travers les planches clouées aux fenêtres. La lampe suspendue—autrefois symbole de leurs veillées nocturnes—restait éteinte, laissant la lumière naturelle définir l'atmosphère. Réunis autour de la vieille table en bois, ils constataient que ses larges planches étaient presque débarrassées des liasses de documents et des plans d'infiltration qui, jadis, en recouvraient chaque centimètre.
Les suites du coup de filet au port
Les événements de la veille leur revenaient en mémoire : ils avaient, avec l'aide du détective Gallagher et des agents municipaux, déjoué la tentative du Groupe Dreznov de passer un marché avec d'anciens complices du Syndicat. Leur action rapide, couplée à la réactivité nouvelle de la ville, avait empêché l'intrusion de criminels étrangers. Les opérations de nettoyage s'étaient prolongées tard dans la nuit, laissant chacun épuisé mais soulagé de voir qu'aucune menace nouvelle ne s'implanterait facilement à Silvercoast.
Ava, tassée contre une tasse de thé ébréchée, chassait encore les vestiges de fatigue.
— « Je viens de recevoir un message de Gallagher. L'interrogatoire des types arrêtés a commencé, mais ils ne lâchent pas grand-chose. L'équipe de forensics examine la caisse et la mallette en métal qu'on a saisies. »
Marcus, assis sur un tabouret bancal, hocha la tête.
— « Rien d'étonnant. Les criminels venus de l'étranger ne sont pas bavards. Au moins, la police a des preuves matérielles—de quoi les poursuivre et dissuader d'autres tentatives. Peut-être qu'on n'entendra plus parler de Dreznov s'ils nous jugent trop préparés. »
Jared, debout près de la carte épinglée au mur, tapota du doigt une nouvelle note : « Dreznov – Coup de filet au port ». Sa cuisse, encore sensible à l'endroit où une balle l'avait frôlé des mois plus tôt, n'était plus qu'un rappel discret, plutôt qu'un vrai handicap.
— « Ils retenteront peut-être quelque chose plus tard, mais on leur a montré que la ville ne se laisse plus faire. C'est la preuve du chemin parcouru : on travaille main dans la main avec la police et des gangs réformés, on neutralise les menaces avant qu'elles ne dégénèrent. »
Le regard d'Ava dériva vers les Shades of Authority, rangées dans une petite sacoche posée près du coin de la table.
— « Quel parcours, en effet. Peut-être qu'on peut enfin s'éloigner de cette vigilance de tous les instants. La ville est loin d'être parfaite, mais elle est assez forte pour repousser de nouvelles prédations. »
Un calme s'installa, souligné par le léger ronronnement du chauffage. Tous songeaient à l'avenir, aux lettres et offres reçues ces dernières semaines : le contrat d'édition d'Ava, la proposition de poste technologique de Marcus au service de la ville, la réintégration possible de Jared à Bernington College. La ville n'exigeait plus leur dévotion à plein temps, rouvrant la voie vers les projets qu'ils avaient un jour imaginés.
Un émissaire de l'hôtel de ville
Leurs réflexions furent interrompues par de brefs coups frappés à la porte. Marcus échangea un regard intrigué avec Ava, puis se leva pour ouvrir. Par un interstice entre les planches, il aperçut un homme élégamment vêtu, tenant une mallette, qui attendait sans impatience sous la fine bruine. Marcus déverrouilla la porte et l'invita à entrer.
Il se présenta sous le nom de Lawrence Drummond, fonctionnaire à la Direction du Développement urbain. D'un sourire poli, il contrastait avec l'aspect rustique du salon de barbier.
— « Bonjour, » commença-t-il de sa voix posée. « Je viens de la part du maire et du conseil municipal. Puis-je m'entretenir un moment avec vous ? »
Le trio, sur la défensive mais curieux, l'invita à s'asseoir. Drummond ouvrit alors sa mallette et en sortit un dossier.
— « La ville sait que ce bâtiment vous a servi de quartier général non officiel. Aujourd'hui, alors que Silvercoast entre dans une nouvelle phase de reconstruction, nous examinons différents terrains à réhabiliter pour développer des projets collectifs. L'emplacement de ce salon de barbier, et… son histoire, suscitent un vif intérêt. »
Ava se pencha, l'expression partagée entre l'intérêt et la prudence.
— « Vous insinuez que la ville veut l'acheter ou le démolir ? »
Drummond leva les mains, secouant la tête.
— « Pas nécessairement. Il se trouve juste dans un secteur en plein essor. Certains promoteurs y voient un potentiel. Et du côté de la mairie, on reconnaît votre contribution historique—beaucoup pensent que ce lieu a joué un rôle clé dans la chute de l'empire de Vaughn. Nous nous demandions donc si vous comptiez le conserver ou si vous envisageriez un autre usage. »
Marcus fronça les sourcils, bras croisés.
— « On… n'y a pas vraiment réfléchi. C'est un peu notre base, on a sauvé la ville depuis ici. »
Jared, d'un air pensif, reprit :
— « Maintenant que le Syndicat n'est plus, avons-nous besoin d'en faire un bunker ? La ville pourrait peut-être transformer ce lieu, en faire un espace communautaire. »
Drummond sembla surpris, l'espace d'un instant.
— « Exactement. Certains membres du conseil parlent d'un musée ou d'un centre d'action urbaine. Nous ne vous mettons pas à la porte, bien sûr, mais nous aimerions savoir vos intentions. Si vous décidez de déménager, la ville pourrait conserver ce site comme un symbole culturel—un témoignage de la lutte contre la corruption. »
Ils échangèrent des regards, se rappelant les nuits passées à échafauder plans d'infiltration, négocier avec des criminels, pister des réseaux ésotériques. Le salon de barbier n'était plus seulement un lieu, mais le théâtre de leur unité et le monument de la résurrection de la ville. Toutefois, l'idée de le voir intégré à la renaissance de Silvercoast avait un attrait évident. À quoi leur servirait encore un QG clandestin, désormais qu'ils œuvraient aux côtés des institutions ?
Une décision émouvante
Drummond laissa le dossier entre leurs mains, puis s'en alla après des salutations courtoises. Derrière lui, l'échoppe sembla soudain chargée d'une émotion nouvelle : fallait-il conserver cet espace ou se laisser porter par la vague du renouveau ? Ils se rassemblèrent autour de la table pour examiner les plans, qui détaillaient divers projets de réaménagement, des allégements fiscaux, voire une somme symbolique si le bâtiment passait sous gestion municipale.
Marcus parcourut un plan d'aménagement.
— « Ils garderaient certains éléments d'origine, peut-être un petit panneau commémorant les opérations clandestines qui ont mis fin au règne de Vaughn. C'est… assez poétique. »
Ava effleura le sol où subsistaient encore quelques traces d'impacts de balles, se rappelant les nuits d'angoisse et de coups de fil en urgence.
— « On y a risqué nos vies. S'en séparer nous libérerait peut-être, mais ce serait aussi un déchirement. Cet endroit fait partie de nous. »
Jared capta leur regard, partageant leur émotion.
— « On ne sera pas des justiciers éternellement. La ville peut se défendre, avec notre soutien plus officiel. Préserver ce salon comme un lieu historique pourrait représenter la victoire collective. Et nous, on peut trouver un nouveau foyer, un nouveau bureau pour la suite. »
Marcus soupira, vaguement résigné.
— « Tu as raison. L'échoppe a rempli sa mission. En faire un symbole de mémoire officielle pourrait renforcer la cohésion de cette ère nouvelle. »
Ava hocha la tête, pensive, puis acquiesça avec conviction.
— « D'accord. On discutera des détails avec Drummond, pour prendre le temps de récupérer nos affaires—y compris les Shades. Mais ce bâtiment… la ville en a sans doute plus besoin que nous, désormais. »
Un étrange mélange de soulagement et de nostalgie les traversa. Ils prévoyaient de contacter Drummond pour fixer un calendrier, tout en songeant que leur rôle de "veilleurs" continuerait, mais de façon plus éparse, depuis d'autres points d'ancrage.
Plans silencieux et coup de fil décisif
En fin d'après-midi, une éclaircie illumina l'échoppe d'une lueur dorée. La lampe restait éteinte, et les faisceaux du soleil révélaient des tourbillons de poussière dans l'air. Ils reposèrent les dossiers d'aménagement, la conscience tranquille, assumant le sort probable de ce lieu. Puis ils se préparèrent à leur dernier rendez-vous de la journée, avec Gallagher, pour finaliser les aspects juridiques de l'affaire Dreznov.
Alors qu'ils rassemblaient leurs effets, le téléphone d'Ava sonna. Elle décrocha, entendant une voix inconnue à l'autre bout. Son maintien se raidit.
— « Allô ?… Je vois… C'est une grande nouvelle. Merci. »
Elle coupa la communication et se tourna vers les garçons.
— « C'était une journaliste locale. Les ex-membres du Syndicat arrêtés hier ont fait des aveux partiels. Ils évoquent un autre groupe affilié à Dreznov, qui opérerait en mer. Un bateau ou un navire servant de labo clandestin. On devrait avoir une nouvelle piste bientôt. »
Marcus grimaça.
— « Donc, ça n'est pas terminé. Le réseau Dreznov est peut-être plus étendu qu'on le pensait. »
Le regard de Jared se fit plus ferme, réminiscence de la détermination qui l'habitait autrefois.
— « La ville peut gérer, mais on reste prêts. Allons voir Gallagher ; on verra s'il suggère une nouvelle planque ou un contrôle portuaire. »
Ava hocha la tête.
— « Oui. Au moins, on ne sera pas seuls. Les gardes-côtes, les Claws, la police… on saura coordonner la défense. Si Dreznov veut faire entrer quoi que ce soit par la mer, ils auront affaire à une ville sur le qui-vive. »
Malgré la menace qui couvait, ils se sentaient portés par un sentiment de confiance. Une première victoire avait prouvé que Silvercoast ne pliait plus devant les criminels extérieurs. Les nouvelles alliances et les réformes en cours avaient déjà déjoué leurs plans, et sauraient recommencer.
Le soleil se couche
Ils quittèrent l'échoppe, verrouillant la porte derrière eux. Le geste résonnait comme un moment clé, un passage vers autre chose. Bientôt, ce bâtiment pourrait devenir un espace commémoratif, quittant les planchers usés et marqués par les balles, vestiges de leurs nuits d'angoisse. Dans la tiédeur du soleil couchant, ils avançaient avec l'assurance de ceux qui ont presque gagné la guerre, et dont la vigilance, désormais, s'inscrit dans une démarche plus large.
Même si le Groupe Dreznov restait une menace, ils croyaient fermement au sursaut citoyen de Silvercoast. La ville, libérée du joug de Vaughn, unie aux Claws, soutenue par des figures comme Gallagher ou Holmes, se découvrait une nouvelle identité. Et si une tempête se préparait au large, elle avait déjà surmonté pire.
Ava, Marcus et Jared montèrent dans leur voiture, échangeant des sourires sereins. Le moteur ronronna, et ils s'élancèrent vers leur rendez-vous avec Gallagher, la lumière rosée du ciel se reflétant sur la chaussée humide. Un silence d'acceptation pesa sur eux, tous prêts à affronter les ultimes défis ou incursions étrangères—cette fois, non plus comme de simples hors-la-loi en cavale, mais en protecteurs reconnus d'une ville qui avait retrouvé sa dignité.
Au fil des kilomètres, la conversation dériva sur des sujets plus légers : les premiers chapitres qu'Ava écrivait pour son livre, la démonstration technologique que Marcus allait présenter, la possible réadmission de Jared à Bernington. Leur vie s'orientait peu à peu vers un équilibre plus sain, leurs aspirations personnelles prospérant aux côtés de leur engagement pour préserver la fragile tranquillité de la ville. Le salon de barbier, bientôt érigé en lieu de mémoire, resterait à jamais associé au moment où ils avaient fait front commun contre la tyrannie—unis, ils avaient forgé des alliances ayant vaincu les heures les plus sombres.
Et tandis que le soleil disparaissait derrière la ligne d'horizon, ses derniers rayons dorant les eaux du port, ils percevaient le souffle apaisé de Silvercoast, soulagée de n'entendre ni coups de feu ni sirènes, prête à repousser toute future menace grâce à son unité et sa détermination. Ville autrefois brisée par la corruption, elle se dressait à présent, fière, appuyée sur des veilleurs toujours présents, même s'ils n'avaient plus besoin de combattre seuls.