Aniaba poursuivait sa marche à travers Hispaniola, absorbant chaque détail de l'île comme un prédateur guette son territoire. La forêt, dense et vibrante, semblait même le guider par moments. Les arbres imposants étaient d'une hauteur vertigineuse, leurs branches s'entremêlaient pour former une véritable cathédrale naturelle. Ici, la lumière du soleil se filtrant à travers le feuillage créait un spectacle hypnotisant de jeux d'ombres et de lumières. Chaque pas était accompagné d'un concert : les cris perçants des aras, les bruissements des feuilles caressées par la brise, et le murmure discret des ruisseaux cachés.
Mais sous cette apparence paradisiaque, une tension sous-jacente imprégnait l'air. Aniaba sentait la terre elle-même porter les cicatrices de la colonisation. Il était impossible d'ignorer les traces de violence : des clairières où les arbres avaient été arrachés pour faire place aux plantations, des camps abandonnés, et des sentiers marqués par les passages forcés des esclaves.
En atteignant les plaines, le contraste frappant le saisit. Les champs de canne à sucre s'étendaient à perte de vue, bordés par des habitations austères. Les esclaves travaillaient sous un soleil impitoyable, leurs silhouettes voûtées à force de labeur. Les contremaîtres étaient omniprésents, leurs fouets s'abattant régulièrement sur les dos nus pour maintenir un rythme infernal. Une fumée noire montait à l'horizon, signe d'un moulin à sucre en fonctionnement, où les produits du travail acharné étaient raffinés.
Aniaba s'éloigna de ces visions oppressantes pour atteindre un petit village niché au bord d'une rivière. Les cases, construites en bois et en chaume, étaient regroupées autour d'une place centrale où des enfants jouaient pieds nus, leurs rires perçant l'air. Les femmes, accroupies près de l'eau, lavaient des vêtement tout en échangeant des histoires. La vie ici semblait paisible, mais Aniaba détectait une nervosité sous-jacente, une crainte constante.
Les regards méfiants des habitants se tournaient vers lui, mais personne ne s'approcha. Son allure imposante, renforcée par une énergie surnaturelle qu'il ne comprenait pas encore pleinement, inspirait autant de crainte que de respect. Un vieil homme, assis à l'entrée de sa case, murmura quelque chose à une femme qui s'éloigna rapidement, jetant des regards furtifs en direction d'Aniaba.
« Ils sentent que je ne suis pas comme eux… » pensa-t-il, tout en s'avancçant lentement. Il savait que ce village pourrait être une source d'informations, mais il choisit de ne pas forcer le contact. Ces gens vivaient dans une terreur quotidienne, et leur confiance ne se gagnerait pas en un instant.
En reprenant son chemin, la forêt reprit ses droits. Cependant, cette partie de la jungle était différente. Les arbres étaient plus grands, leurs racines formant des arches massives. Les sons familiers de la nature étaient étrangement absents, remplacés par un silence pesant. Aniaba sentit un frisson le parcourir. Ce lieu était empreint de magie, une magie ancienne et indéniablement puissante.
Il s'arrêta devant un autel naturel, formé par les racines exposées d'un arbre massif. Sur cet autel étaient disposées des offrandes : des bouteilles de rhum, des fleurs fanées, et des coquillages étrangement lumineux. Les symboles gravés dans l'écorce rappelaient ceux qu'il avait vus dans le temple abandonné. Il posa une main sur l'arbre, et une énergie familière pulsa sous ses doigts, froide et vivante.
— Tu sens ça, prince ? murmura une voix dans son esprit. **Cette terre est un champ de bataille, et tu es son champion.**
Aniaba se redressa, inspirant lentement. Le Baron n'était pas là, mais sa présence restait omnipressante. Il savait que cette terre était bien plus qu'une simple île ; c'était un lieu où le visible et l'invisible se rencontraient, où chaque vie, chaque mort, laissait une empreinte indélébile.
« Si je dois libérer cette île, je dois d'abord comprendre ses habitants, vivants et morts. »
Il continua à marcher, chaque pas le rapprochant de son objectif. Hispaniola était une terre riche, mais son opulence était tachée de sang et de souffrance. Chaque paysage, chaque visage qu'il croisait lui rappelait l'étendue de la tâche qui l'attendait.