Le lendemain matin, Léna se tenait devant la porte de l'ancienne librairie, tenant un petit paquet de documents et son téléphone, affichant un message de son futur propriétaire. Elle avait convenu d'une rencontre avec Monsieur Arnaud, le propriétaire des lieux, en début d'après-midi. On lui avait dit qu'il était un vieil ami de sa grand-mère, mais les années pouvaient transformer de chaleureuses relations en souvenirs lointains. L'enseigne au-dessus de la porte portait encore les contours effacés de « Librairie Marta », comme si le nom refusait de disparaître complètement, et Léna y voyait un bon présage.
Elle avait passé la matinée à rassembler ce qu'elle pouvait : des anciens documents de propriété, le bail de sa grand-mère, et même une lettre de recommandation d'une organisation artistique locale avec laquelle elle avait travaillé avant de quitter la ville. Léna savait que la sentimentalité ne suffirait pas à convaincre Monsieur Arnaud, mais elle espérait qu'une combinaison de pragmatisme et de sincérité le ferait. Après tout, ce n'était pas une simple boutique qu'elle souhaitait ouvrir. Elle rêvait d'un refuge culturel, d'un bien commun — un endroit qui non seulement paierait son loyer à temps, mais qui répondrait aussi aux besoins immatériels de la communauté.
Pour patienter avant la réunion, elle décida de parcourir à nouveau le quartier, se familiarisant avec son rythme. Une cloche d'école retentit au loin — probablement l'une des nouvelles écoles privées qui avaient vu le jour dans des quartiers plus éloignés. Un camion de livraison passa en grondant, le conducteur lui adressant un bref signe de tête. Elle aperçut Dara et Nina au coin de la rue, distribuant des flyers pour leur ciné-club, et Amir, assis sur son banc habituel, feuilletant un vieux journal. Même de loin, le vieil enseignant semblait un peu moins résigné que la veille, comme s'il attendait qu'un événement intéressant se produise.
En retournant vers la librairie, Léna ressentit l'importance de la conversation à venir avec Arnaud. Lorsqu'il arriva enfin — précisément à treize heures —, il s'approcha d'un pas mesuré, vêtu d'un costume gris et d'une chemise blanche impeccablement repassée, ses cheveux argentés soigneusement peignés. Il portait un petit portefeuille en cuir sous le bras. Malgré sa tenue formelle, ses yeux exprimaient une certaine chaleur lorsqu'il la salua.
« Léna, » dit-il en lui tendant la main. « Tu as bien grandi depuis la dernière fois que je t'ai vue. Je crois que tu n'étais qu'une adolescente quand tu es partie ? »
« C'est exact, » répondit Léna en serrant sa main. « C'est un plaisir de vous revoir, Monsieur Arnaud. Merci d'avoir accepté ce rendez-vous. »
Il hocha la tête, puis désigna la porte. « Entrons, voulez-vous ? J'ai les clés. Je les ai gardées précieusement toutes ces années. »
En montant sur le seuil, Arnaud sortit un lourd trousseau de clés et les examina méthodiquement. Certaines avaient terni avec le temps, et la serrure protesta légèrement, mais après un tour ferme, la porte s'ouvrit avec un grincement. Un souffle d'air vicié s'échappa, portant une odeur de poussière et de vieux papier.
L'intérieur était exactement comme Léna s'en souvenait, et pourtant différent. Ses souvenirs le peignaient avec une lumière chaude et des rangées d'étagères soigneusement entretenues. À présent, les étagères étaient à moitié vides, certaines penchées sur le côté. Une fine couche de poussière recouvrait chaque surface. Des cartons avaient été poussés dans les coins de manière désordonnée, comme si le temps lui-même avait tenté de ranger avant d'abandonner. Elle reconnut le comptoir en bois où sa grand-mère se tenait souvent, une petite cloche encore posée sur le coin. Une vieille échelle reposait contre une étagère du fond, ses barreaux lissés par des années d'utilisation.
Arnaud passa un doigt sur une étagère, laissant une traînée propre derrière lui. « Le bail de ta grand-mère a pris fin lorsqu'elle est tombée malade, et après son décès, je n'ai jamais trouvé de locataire à long terme. Certains ont proposé d'en faire une boutique ou un café, mais j'ai toujours hésité. Peut-être que j'attendais quelqu'un qui se soucierait de cet espace autant qu'elle. »
Léna fit un pas en avant et posa la main sur le comptoir, sentant le grain du bois sous sa paume. « Je vous en suis tellement reconnaissante. Mon projet n'est pas simplement de rouvrir la librairie. Je voudrais en faire un espace culturel et éducatif — à la fois bibliothèque, salle d'atelier, et peut-être un petit lieu pour des projections de films ou des lectures de poésie. Quelque chose qui aille au-delà du commerce. »
Arnaud croisa les bras, réfléchissant. « Les espaces culturels ne rapportent pas toujours un bon loyer. Tu comprends que j'ai mes responsabilités aussi. Le bâtiment a besoin d'entretien. Je ne suis pas opposé à ton idée — je l'admire même — mais il faut garantir une certaine fiabilité. Comment comptes-tu gérer cela ? »
Léna ouvrit son portefeuille et sortit un dossier. « J'ai travaillé dans le domaine des arts communautaires. J'ai une petite épargne, et je postule à des subventions. Il existe des associations qui soutiennent la lecture et l'éducation artistique. Mon objectif est de proposer des ateliers à prix abordables, d'organiser des événements sur donation, et peut-être de vendre quelques livres lors de petites expositions temporaires. J'espère que la communauté soutiendra ce projet une fois qu'elle en verra les bénéfices. Et si je gagne leur confiance, d'autres opportunités pourraient émerger : parrainages, partenariats avec des écoles locales ou même des programmes municipaux. »
Arnaud parcourut le dossier, hochant la tête de temps à autre. « Je vois que tu as bien réfléchi. Néanmoins, il te faudra du temps pour rénover l'endroit, acheter du stock et faire connaître ton projet. Je ne te demanderai pas une grosse caution, mais j'aimerais en avoir une modeste. Nous pourrions commencer avec un bail à court terme — disons six mois — et si tu parviens à le rendre viable, nous envisagerons un accord plus long. »
Léna sentit un soulagement l'envahir, mais elle le tempéra par prudence. « Six mois, c'est raisonnable. Merci beaucoup. Et je promets de respecter cet espace. La communauté semble enthousiaste à l'idée — rien qu'hier, j'ai rencontré plusieurs résidents qui pourraient s'impliquer : un ancien professeur prêt à animer des discussions, deux étudiantes qui veulent organiser des soirées cinéma, et l'épicière du quartier qui est déjà emballée par le concept. »
Arnaud posa son regard sur les vieilles étagères et les particules de poussière dansant dans la lumière tamisée. « Ce quartier a autrefois vibré au rythme de la culture, tu sais. La librairie de ta grand-mère en était souvent le cœur. Les temps ont changé, mais peut-être que c'est ce dont on a besoin maintenant — un nouvel endroit pour se rassembler. Très bien, Léna. Je vais rédiger un bail. Tu devras le faire examiner et le signer. Une fois que ce sera fait, les clés sont à toi, et tu pourras commencer à redonner vie à cet endroit. »
Léna le remercia sincèrement et lui serra la main une fois de plus. Après le départ d'Arnaud, elle resta dans la librairie un moment, explorant les lieux. La pièce à l'arrière, autrefois utilisée pour le stockage, pourrait devenir une salle d'atelier avec des tables et des chaises. La grande vitrine pourrait accueillir des expositions — peut-être des œuvres d'art réalisées par les jeunes du quartier ou des vitrines littéraires thématiques. Les hautes étagères près de la porte pourraient contenir des livres donnés par les résidents ou achetés à bas prix lors de ventes de bibliothèques.
Un léger bruit de grattement la fit sursauter. En se retournant, elle réalisa que quelqu'un se tenait à l'entrée. C'était Amir, qui s'appuyait légèrement sur le chambranle. Il avait dû suivre Arnaud et décider de jeter un coup d'œil. « Puis-je entrer ? » demanda-t-il.
« Bien sûr, » répondit Léna en souriant.
Amir entra prudemment, naviguant entre les piles de vieux cartons. Il regarda autour de lui, tapotant doucement le sol avec sa canne. « Poussiéreux, » murmura-t-il, « mais chargé de souvenirs. Je venais ici chercher des manuels pour mes élèves. Une fois, j'ai acheté un recueil d'essais sur l'histoire urbaine que Marta avait mis de côté rien que pour moi. »
Léna sourit. « Je me souviens que ma grand-mère m'en avait parlé. Elle disait que vous étiez l'un de ses meilleurs clients. »
Les yeux d'Amir s'adoucirent. « J'appréciais sa passion. Elle croyait autant aux idées qu'aux objets. J'ai hâte de voir ce que tu feras ici, Léna. »
« Merci, Amir, » répondit Léna. « J'espère que vous accepterez de diriger une ou deux discussions sur l'histoire de ce quartier. »
« Ce serait un honneur, » dit-il simplement.
Après le départ d'Amir, Léna ferma la porte derrière elle, glissant les clés qu'Arnaud lui avait données dans son sac. Leur poids symbolisait à la fois une responsabilité et une promesse. Tandis qu'elle se dirigeait vers son logement temporaire, elle réfléchissait déjà à ce qu'il fallait faire en premier : nettoyer, repeindre, et ouvrir les fenêtres pour laisser entrer un peu d'air frais.
Elle savait que ce ne serait pas seulement la librairie de sa grand-mère qu'elle faisait revivre, mais un cadeau pour toute la communauté. Un espace pour les histoires, pour l'imagination, et pour les liens qui redonnaient vie à ces rues fatiguées.